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Directive européenne sur la transparence salariale : du nouveau pour l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes

Directive européenne sur la transparence salariale : du nouveau pour l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes

La Directive 2023/970 du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur parue au Journal Officiel de l’UE du 17 mai devra être transposée d’ici le 7 juin 2026 par les Etats membres.

 

Ce texte a été annoncé au début de son mandat par la Présidente Ursula von der Leyen, constatant que les démarches volontaires ne suffisent pas à résorber les écarts de rémunérations entre les femmes et les hommes : ceux-ci s’élèvent encore à 12,7% en 2021.

 

Ainsi, et même si ce principe est consacré par le droit de l’Union européenne depuis l’adoption du Traité de Rome en 1957, force est de constater que les disparités sont toujours là et partant l’objectif de la nouvelle directive est d’instaurer l’effectivité du droit à l’égalité de rémunération.

 

La Directive rappelle à cet égard que

 

«L’application du principe de l’égalité des rémunérations devrait être améliorée en mettant fin à la discrimination directe et indirecte en matière de rémunération. Rien n’empêche pour autant les employeurs de rémunérer différemment des travailleurs accomplissant un même travail ou un travail de même valeur sur la base de critères objectifs, non sexistes et dépourvus de tout parti pris, tels que la performance et la compétence».

 

Quelques difficultés d’interprétation/ un texte source de difficultés d’interprétation

 

Même si l’adoption de ce texte doit être saluée, ce dernier n’est pas sans soulever des difficultés pratiques d’application, notamment s’agissant de la définition de la notion de «travail de même valeur» puisque le texte se contente de prévoir que :

 

« Les États membres prennent, en consultation avec les organismes pour l’égalité de traitement, les mesures nécessaires pour veiller à ce que des outils ou des méthodes analytiques soient disponibles et facilement accessibles pour soutenir et guider l’évaluation et la comparaison de la valeur du travail conformément aux critères énoncés au présent article».

 

Il pose également la question de ce qu’il faut entendre par le terme de «rémunération».

 

A cet égard, la Directive indique très largement que cette notion recouvre «les salaires, les traitements ou tout autre avantage, payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice, la notion de « rémunération » devrait englober non seulement le salaire, mais également les composantes complémentaires ou variables de la rémunération. En ce qui concerne les composantes complémentaires ou variables, il convient de tenir compte de toutes les prestations qui s’ajoutent au salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, que le travailleur perçoit directement ou indirectement, en espèces ou en nature. Ces composantes complémentaires ou variables peuvent comprendre, sans s’y limiter, les primes, la compensation des heures supplémentaires, l’indemnisation des déplacements, les indemnités de logement et de repas, l’indemnisation de la participation à des formations, les indemnités en cas de licenciement, les indemnités légales de maladie, les indemnités légales obligatoires et les pensions professionnelles».

 

L’instauration de nouvelles obligations de reporting

 

La Directive prévoit plusieurs nouveautés, la principale résidant dans l’introduction d’une nouvelle obligation pour les employeurs de produire un rapport sur les données relatives à l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes.

 

Il convient de préciser que ce texte s’applique aux employeurs des secteurs public et privé et à tous les travailleurs qui ont un contrat de travail ou une relation de travail au sens du droit, des conventions collectives et/ou des pratiques en vigueur dans chaque État membre, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice.

 

Il s’applique, en outre, aux candidats à un emploi puisque le texte rappelle que «un élément important de l’élimination de la discrimination en matière de rémunération est la transparence des rémunérations avant l’embauche».

 

Cette mesure tenant à l’établissement d’un rapport entrera en vigueur progressivement en fonction de la taille des entreprises.

 

Ainsi, les entreprises de plus de 150 salariés devront élaborer ce rapport 4 ans après l’entrée en vigueur de la Directive, soit à compter du 7 juin 2027.

 

Ensuite, le rapport devra être produit tous les ans pour les entreprises d’au moins 250 salariés et tous les 3 ans pour celles employant entre 150 et 249 salariés.

 

Les entreprises de 100 à 149 salariés devront, quant à elles, préparer leur rapport d’ici 8 ans (soit à compter du 7 juin 2031) puis renouveler l’exercice tous les 3 ans.

 

Les entreprises de moins de 100 salariés échappent à cette mesure, étant cependant précisé que la Directive laisse la possibilité aux Etats membres de permettre aux employeurs concernés de fournir des informations à titre volontaire.

 

Rappelons qu’en France, les employeurs d’au moins 50 salariés ont d’ores et déjà l’obligation de calculer et publier chaque année l’index de l’égalité entre les femmes et les hommes sur la base de 4 ou 5 critères selon la taille de l’entreprise et qu’en dessous d’un certain nombre de points, elles doivent mettre en place des mesures de correction ou de progression.

 

Une implication des représentants du personnel et une information renforcée

 

Le dispositif instauré par la Directive va plus loin et prévoit une étape supplémentaire : celle de l’évaluation conjointe devant être effectuée avec les représentants du personnel lorsque :

 

    • le rapport révèle une différence du niveau moyen de rémunération d’au moins 5%,
    • l’employeur ne justifie pas cette différence par des critères objectifs non sexistes,
    • l’employeur ne remédie pas à cette différence injustifiée dans un délai de 6 mois à compter de la communication des données.

 

 

Dans les entreprises qui ne seraient pas dotées de représentants du personnel, la Directive prévoit que les travailleurs devront désigner des représentants aux fins de réaliser cette évaluation conjointe.

 

Il est également prévu un renforcement des droits individuels à l’information.

 

En effet, quelle que soit la taille de l’entreprise, la Directive confère le droit aux candidats à un emploi d’obtenir des informations sur le niveau de «rémunération initiale ou la fourchette de rémunération» pour le poste concerné ainsi que «les dispositions pertinentes de la convention collective appliquées par l’employeur en rapport avec le poste».

 

Quant à eux, les salariés peuvent «demander et recevoir par écrit» une information sur «leur niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunération moyens, ventilés par sexe, pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail ou un travail de même valeur que le leur».

 

Un aménagement de la charge de la preuve et des sanctions effectives

 

Le texte prévoit un renversement de la charge de la preuve impliquant que si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il appartiendra à l’employeur de prouver l’absence de discrimination.

 

Notons qu’en la matière, la Cour de cassation a récemment jugé que le principe d’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes justifie la communication de bulletins de paie d’autres salariés, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, quand bien même cette mesure porterait atteinte à leur vie personnelle, dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve (Cass. soc., 8 mars 2023, n°21-12.492).

 

Autre disposition importante du texte : les travailleurs qui auront subi une discrimination salariale fondée sur le sexe pourront  recouvrer intégralement les arriérés de salaire et les primes ou paiements en nature qui y sont liés, une indemnisation pour les opportunités manquées, la réparation de leur préjudice moral et de tout préjudice causé par d’autres facteurs pertinents, dont peut notamment faire partie la discrimination intersectionnelle (c’est-à-dire la discrimination basée sur plusieurs motifs) ainsi que des intérêts de retard.

 

La Directive prévoit, à cet égard, que les délais de prescription ne devraient pas commencer à courir avant que «le plaignant ait pris connaissance ou puisse raisonnablement être supposé avoir pris connaissance de cette violation ou de ce manquement» et que «Les États membres devraient être en mesure de décider que le délai de prescription ne commence pas à courir alors que la violation est en cours ni avant la fin du contrat de travail ou de la relation de travail».

 

En la matière, la législation française prévoit, pour l’heure, que la prescription de l’action court «à compter de la révélation de la discrimination».

 

Enfin, le texte prévoit classiquement que les Etats membres devront mettre en place un dispositif de sanction effectif, proportionné et dissuasif, tenant compte de toute circonstance aggravante ou atténuante pertinente applicable aux circonstances de la violation.

 

Ce dispositif devra comprendre des amendes fixées sur la base du droit national qui «pourraient être fonction du chiffre d’affaires annuel brut de l’employeur ou de sa masse salariale totale».

 

Si la France est d’ores et déjà dotée de dispositifs visant à favoriser l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et, plus particulièrement, à supprimer les écarts de rémunération, une adaptation de ces mesures en vue d’assurer leur conformité au droit européen est à prévoir dans les années à venir. Une affaire à suivre donc…

 

AUTEURS

Caroline FROGER-MICHON, Avocate associée CMS Francis Lefebvre Avocats

Camille BAUMGARTEN, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

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