Des difficultés d’application des conventions fiscales en Afrique
L’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux du 13 décembre 2016 rappelle les conséquences dommageables de l’application de retenues à la source en contravention des dispositions des conventions fiscales. Il s’agit pourtant d’une pratique courante en Afrique.
Avec plus de trente conventions fiscales en vigueur, la France est le pays qui dispose du réseau conventionnel le plus étendu avec l’Afrique. Elle devance le Royaume-Uni et les Emirats Arabes Unis qui comptabilisent respectivement vingt-quatre et vingt conventions signées avec le continent africain.
Alors que les opérateurs économiques s’appuient sur ces conventions pour déterminer les conséquences fiscales de leurs activités, ils doivent, en pratique, faire face à certaines difficultés d’application.
Dans un arrêt du 13 décembre 20161, la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux s’est prononcée sur le caractère non déductible en France des impositions payées à l’étranger en contravention des dispositions des conventions fiscales. Il n’est pas anodin que cet arrêt concerne les conventions fiscales conclues avec l’Algérie, le Cameroun et le Congo.
La Cour a en effet considéré que les conventions fiscales conclues avec ces pays ont explicitement exclu la possibilité de déduire du résultat imposable en France les impôts acquittés en Algérie, au Cameroun ou au Congo, sans réserver le cas où le contribuable aurait été à tort, au regard des conventions fiscales applicables, soumis à l’impôt dans ces Etats.
Cette position, qui nous paraît contraire à un arrêt du Conseil d’Etat du 20 novembre 20022 ainsi qu’à la correcte interprétation de la portée des conventions fiscales, est l’occasion de revenir sur les difficultés d’application des conventions fiscales en Afrique.
Des difficultés d’application souvent relatives aux retenues à la source
Ces difficultés concernent généralement l’application des retenues à la source sur les rémunérations de prestations de services versées par des résidents d’un pays d’Afrique à des non-résidents. Il s’agit souvent de rémunérations d’assistance technique ou management fees.
Dans la plupart des cas, ces rémunérations n’entrent pas dans la catégorie des redevances au sens de la convention dès lors qu’elles ne relèvent pas des droits d’auteur ou n’entraînent pas de transfert de savoir-faire. En l’absence d’établissement stable du prestataire français dans le pays concerné, elles devraient donc être uniquement imposables en France.
Ce n’est pourtant pas toujours la position de l’administration fiscale du pays d’Afrique concerné qui aura tendance à interpréter de manière très large la notion de redevance. Elle pourra ainsi considérer que tout service rendu emporte transfert de savoir-faire ou que les « études techniques » parfois comprises dans la définition conventionnelle des redevances recouvrent l’ensemble des prestations d’assistance technique.
En Algérie, l’administration fiscale réclamait systématiquement le paiement de la retenue à la source au taux de droit commun de 24% ou au taux conventionnel de 12% selon les cas, sur les rémunérations brutes versées à des entreprises françaises dès lors que le service était rendu en Algérie, et ce en dépit des dispositions de la convention.
Cette pratique a été limitée à la suite de la rencontre entre l’administration fiscale française et l’administration fiscale algérienne à l’issue de laquelle il a été décidé que les prestations de services ne doivent être imposables en Algérie que si le prestataire y dispose d’un établissement stable. A ce jour, des difficultés persistent mais dans une moindre mesure.
Autre exemple, le Maroc, où il est fréquent que l’administration fiscale applique la retenue à la source de 10% sur l’ensemble des rémunérations de prestations de services ainsi que sur les frais de siège acquittés par les succursales marocaines de sociétés françaises en contravention avec les dispositions conventionnelles.
La réglementation des changes qui existe dans ces pays ajoute une difficulté supplémentaire en ce qu’elle subordonne le transfert effectif des rémunérations à l’étranger au respect des règles fiscales. Il n’est pas rare en pratique que les banques chargées d’effectuer le transfert des sommes à l’étranger exigent la preuve du paiement de cette retenue à la source en toutes circonstances. Certaines entreprises se voient donc contraintes de payer la retenue à la source alors même qu’elle n’est pas due pour s’assurer du paiement des sommes en cause. Elles peuvent ensuite déposer une réclamation contentieuse pour obtenir le remboursement du trop-perçu mais l’issue positive d’une telle procédure nécessite un suivi et peut prendre un certain temps.
En Guinée, la première convention fiscale bilatérale entrée en vigueur en 2004 est celle conclue avec la France. Ce n’est que récemment que l’administration fiscale a cessé d’en ignorer purement et simplement les dispositions. S’il est vrai que son application est désormais reconnue par l’administration fiscale, des cas isolés de remise en cause ne sont cependant pas exclus.
Il convient de souligner que la mauvaise application des conventions n’est pas toujours le fait des administrations fiscales locales. Il n’est ainsi pas rare que les bénéficiaires de services appliquent cette retenue à la source par méconnaissance des dispositions conventionnelles ou par prudence afin d’éviter tout risque de paiement de rappels de droit auxquels s’ajoutent des pénalités pouvant être significatives.
Une PME française a ainsi été confrontée à une situation dans laquelle son client avait prélevé et versé au Receveur des impôts du Bénin l’impôt au titre des rémunérations qui lui étaient dues. Malgré plusieurs tentatives et recours auprès de l’administration fiscale béninoise démontrant que les sommes n’étaient pas dues en application des dispositions de la convention conclue entre la France et le Bénin, l’entreprise n’a toujours pas pu obtenir le remboursement des sommes en cause.
Il peut être utile d’expliquer en amont les règles applicables au bénéficiaire des services, quitte à lui fournir une position écrite de l’administration fiscale ou d’un conseil, afin d’éviter ces situations.
D’autres difficultés d’application des conventions fiscales peuvent survenir.
La loi de finances pour 2013 a introduit dans la législation gabonaise une limite de 10% du bénéfice imposable pour la déductibilité des frais généraux de siège, frais d’études et d’assistance technique, financière ou comptable etc. relatifs aux services rendus par une personne morale étrangère à une entreprise gabonaise.
La question s’est posée de savoir si la déductibilité des sommes versées à des entreprises françaises échappait à cette limite conformément aux dispositions de la clause de non-discrimination prévue dans la convention fiscale conclue entre le Gabon et la France en 1995. En effet, la limite ne concerne pas les sommes versées à des entreprises gabonaises. Il n’existe pas, à notre connaissance, de position officielle de l’administration fiscale sur ce point. Il est à craindre que le Gabon, à l’instar de la Côte d’Ivoire ou du Cameroun, introduira des dispositions visant à étendre l’application de ces limites aux paiements versés à des entreprises nationales afin de faire échec à l’application de la clause de non-discrimination.
La situation s’améliore cependant…
Ceci étant dit, ces difficultés deviennent moins fréquentes. Cela tient d’abord au fait que la plupart des pays disposent maintenant, au sein de leurs administrations fiscales, de structures dédiées aux grandes entreprises ayant un personnel plus aguerri aux questions d’application des conventions fiscales.
Il n’est d’ailleurs pas rare d’obtenir l’abandon de redressements envisagés en matière de retenue à la source lorsque le contribuable se prévaut des dispositions conventionnelles.
Ensuite, la pratique des conventions fiscales augmente du fait de la multiplication des flux d’affaires à l’international entraînant les pays africains à étendre leur réseau conventionnel. On compte ainsi une trentaine de conventions signées par les pays d’Afrique depuis 2015.
Cependant, même lorsque les dispositions d’une convention sont appliquées correctement, les entreprises ne sont pas à l’abri de mauvaises surprises. Ainsi par exemple, certains Etats comme le Mali et le Sénégal, ont-ils introduit dans leur droit interne des dispositions aux termes desquelles lorsque les rémunérations versées à un prestataire étranger ne sont pas soumises à un impôt sur le revenu dans l’Etat concerné, la TVA due au titre de ces rémunérations n’est pas déductible pour le débiteur. Autrement dit, lorsque l’application de la retenue à la source est écartée en application de la convention, la TVA, au taux 18% dans ces deux pays, constitue une charge pour le bénéficiaire des services.
Enfin, certains Etats, comme le Burkina Faso, interdisent expressément les clauses de prises en charge de l’impôt d’un tiers (clauses de gross-up). Il convient par conséquent d’apporter une attention particulière aux clauses fiscales des contrats de prestations de services, afin d’éviter les coûts parfois très significatifs de remise en cause. Cette attention est d’autant plus importante dans le cadre de relations intragroupe à l’heure où les contrôles en matière de prix de transfert se multiplient.
Notes
1 CAA Bordeaux, 13 décembre 2016, No. 15BX01655.
2 CE, 20 novembre 2002, No. 230530, Etablissement Soulès.
Auteur
Deana d’Almeida, avocat,
Head of Tax – Africa Practice. Spécialiste reconnue de la fiscalité internationale pour les pays d’Afrique francophone.