Pour un dialogue de qualité en assemblée générale
Vouloir améliorer les relations entre actionnaires et émetteurs doit conduire à réconcilier les principes et la pratique. En théorie, le législateur a investi le conseil d’administration des pouvoirs les plus étendus pour déterminer les orientations de l’activité et la bonne marche de la société et ce, dans la limite du respect de l’intérêt social et des pouvoirs expressément dévolus à l’assemblée générale.
L’assemblée générale conserve des compétences précises mais somme toute résiduelles, à savoir principalement, la modification des statuts ; l’approbation des comptes et affectation des résultats ; les décisions de nomination, révocation et rémunération des administrateurs ; l’approbation des conventions réglementées. Mais, en pratique, l’actionnaire en sa qualité d’apporteur de capitaux et de copropriétaire économique exige désormais davantage. Il faut donc réconcilier l’idéal inscrit dans la norme de droit et les attentes des acteurs.
En confiant par le contrat de société la direction opérationnelle à un conseil d’administration, l’actionnaire n’entend pas en réalité se départir totalement de maîtrise de la stratégie de la société. Pour cela, l’équilibre des compétences entre assemblée et conseil doit restituer au propriétaire des prérogatives fondamentales et, en même temps et de façon convergente, conférer au conseil la réactivité que suppose la marche des affaires, y compris dans des circonstances exceptionnelles. L’on mesure que l’équilibre n’est pas aisé et est aussi affaire d’occurrence.
A cette aune, la récente modification de la compétence de principe en matière de défense anti-opa en période d’offre publique réalisée par la loi Florange au profit de l’organe de direction devrait rester un droit spécial. Alors même que l’initiateur frappe, il n’est pas imaginable que l’apporteur de capitaux puisse être évincé de la préparation de la riposte, du choix des armes ou de l’acceptation. En conséquence, les appels actuels à la réintroduction d’une certaine neutralité du conseil par la voie statutaire permise par la loi ne doivent pas surprendre.
Cet équilibre décidé des pouvoirs et des compétences doit recevoir une traduction effective aussi et surtout à l’occasion des assemblées générales annuelles.
Cela nécessite d’abord un consentement mieux éclairé des actionnaires. Un travail important a d’ores et déjà été réalisé dans le sens d’une plus grande intelligibilité du titre des résolutions soumises. Il peut être sans doute amélioré. En outre, la proposition de révision de la directive
«Droits des actionnaires» en cours de discussion ira dans le sens d’un accès facilité des actionnaires de sociétés cotées aux informations nécessaires avant l’assemblée générale.
Il faut ensuite fluidifier le dialogue pré- et en cours d’assemblée générale. Des voix s’élèvent pour demander la présence systématique de tous les administrateurs lors de l’assemblée générale. Nous resterons circonspects sur cet absolu. La présence de l’administrateur référent (le cas échéant renforcée par celle des administrateurs présidents de comité) nous apparait comme suffisante et répond par construction à cette demande. En revanche, organiser une plus grande et régulière consultation des actionnaires par ce référent est une voie à explorer et à adapter à chaque cas.
Enfin, un droit de regard plus important sur des questions devenues sensibles au regard des intérêts actionnariaux s’impose.
Observons que le sujet sensible du «say on pay» n’est pas l’arme absolue agitée par certains mais au mieux une occasion d’exprimer par un vote consultatif sur des rémunérations individuelles une opinion sur le degré d’acceptabilité de celles-ci. Pour autant, des améliorations sont souhaitables tant sur le périmètre (inclusion des retraites à prestations définies) que sur l’information générale et individuelle donnée par les émetteurs sur les rémunérations de leurs mandataires sociaux.
Autre piste, comme en témoignent des réflexions actuelles de place, les cessions d’actifs ayant un caractère significatif et/ou stratégique devront faire l’objet d’un vote préalable des actionnaires. L’état actuel des textes ne donne pas une voix suffisante dans certains cas aux actionnaires. Là encore la voie est étroite entre la réactivité nécessaire en affaires et la protection des intérêts des actionnaires qui peuvent légitimement considérer que la physionomie de la société est susceptible d’évoluer significativement par ces opérations. Elle appelle une solution souple.
Quant au dialogue avec les agences de conseil en vote, il n’a pas encore atteint la maturité attendue. Les dossiers démontrent que l’insuffisance d’explications ajoutée à une tardiveté chez certains émetteurs, et des postures voire positions dogmatiques éprouvées parfois chez certaines agences, confinent alors à un dialogue de sourds. L’émetteur retire bien souvent sa résolution et prive la société d’une arme utile. Nous pensons que la recommandation de refus d’approbation des comptes de l’exercice devra être réservée à des circonstances tout à fait exceptionnelles.
Auteur
Bruno Zabala, avocat au sein du département de la doctrine juridique.
Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 2 mars 2015