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Dessins et modèles communautaires : de la portée territoriale d’une décision adoptée par une juridiction nationale à l’encontre de codéfendeurs établis dans deux Etats membres différents

Dessins et modèles communautaires  : de la portée territoriale d’une décision adoptée par une juridiction nationale à l’encontre de codéfendeurs établis dans deux Etats membres différents

Nintendo est titulaire de plusieurs dessins et modèles communautaires concernant des télécommandes, des connecteurs et différents accessoires pour ses consoles de jeu.

BigBen Interactive SA, leader européen dans la conception et la distribution d’accessoires de jeux vidéo, fabrique notamment des accessoires compatibles avec la console de jeux Wii de Nintendo, qu’elle commercialise auprès de différents acheteurs en Europe et notamment de sa filiale allemande, BigBen Interactive.

Nintendo, considérant que ces produits violent ses propres dessins et modèles communautaires, demande à la juridiction allemande :

  • d’interdire la fabrication et la vente des produits litigieux, ainsi que l’utilisation de leur image à des fins publicitaires,
  • la communication des informations comptables relatives aux ventes antérieures,
  • des indemnités,
  • le remboursement des frais d’avocat,
  • la publication du jugement, et
  • la destruction et le rappel de tous les produits faisant l’objet du litige.

La juridiction allemande décide alors de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) trois questions préjudicielles.

La première question concerne la portée des ordonnances que la juridiction de renvoi sera amenée à adopter et notamment le point de savoir si les mesures prises en application de l’interdiction de contrefaçon, c’est-à-dire les demandes annexes à la demande principale peuvent avoir un effet juridique sur l’ensemble du territoire de l’Union.

Dans une décision concernant la marque de l’Union européenne (UE), la Cour de justice a déjà jugé que l’interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon doit s’étendre à l’ensemble du territoire de l’Union (CJUE, 12 avril 2011, C-235/09, DHL Express France). La Cour a également considéré, dans une autre affaire, que l’interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ainsi que les obligations annexes qui en découlent doivent être considérées comme un tout, en ce sens qu’en l’absence de mesures coercitives l’interdiction de contrefaçon serait dépourvue de tout effet dissuasif (CJUE, 14 décembre 2006, C-316/05). En conséquence, il serait injustifié de traiter différemment les demandes principales et les demandes annexes.

Eu égard à la similitude entre la marque de l’UE et le dessin ou modèle communautaire, rien n’empêche d’appliquer cette jurisprudence aux dessins et modèles communautaires. Au contraire, la protection uniforme sur tout le territoire de l’Union des dessins ou modèles communautaires contre les actes de contrefaçon serait mise à mal si les mesures prises afin de la mettre en œuvre concrètement étaient dépourvues d’effet sur l’ensemble de ce territoire et se limitaient au territoire sur lequel est située la juridiction les ayant adoptées (voir conclusions Yves Bot, 1er mars 2017).

La Cour approuve ce raisonnement et répond à la première question préjudicielle que « dans des circonstances telles que celles au principal où la compétence internationale d’un tribunal des dessins ou modèles communautaires saisi d’une action en contrefaçon est fondée, à l’égard d’un premier défendeur, sur l’article 82, paragraphe 1, du règlement 6/2002 et, à l’égard d’un second défendeur établi dans un autre État membre, sur cet article 6, point 1, lu en combinaison avec l’article 79, paragraphe 1, du règlement 6/2002, au motif que ce second défendeur fabrique et livre au premier les produits que ce dernier commercialise, ce tribunal peut, sur demande de la partie requérante, adopter des ordonnances à l’égard du second défendeur portant sur les mesures relevant de l’article 89, paragraphe 1, et de l’article 88, paragraphe 2, du règlement n° 6/2002, couvrant également des comportements de ce second défendeur autres que ceux liés à la chaîne de livraison susmentionnée et ayant une portée qui s’étend à l’ensemble du territoire de l’Union » (CJUE, 27 septembre 2017, C-24/16 et C-25/16, Nintendo Co. Ltd / BigBen Interactive Gmbh et BigBen Interactive SA).

La deuxième question visait à déterminer si la notion d’« actes de reproduction à des fins d’illustration » comprend le fait, pour un tiers, d’utiliser l’image des produits incorporant des dessins ou modèles communautaires protégés aux fins de commercialisation de ses propres produits.

En effet, l’article 20 du règlement 6/2002 prévoit certaines limitations des droits conférés par le dessin ou modèle communautaire, parmi lesquelles figurent les « actes de reproduction à des fins d’illustration […], pour autant que ces actes soient compatibles avec les pratiques commerciales loyales, ne portent pas indûment préjudice à l’exploitation normale du dessin ou modèle et que la source en soit indiquée ».

En l’espèce, BigBen Interactive utilise l’image des produits incorporant le dessin et modèle communautaire de Nintendo dans la promotion de ses propres produits compatibles avec la console Wii. Toutefois, cette reproduction peut-elle être qualifiée d’illustration ?

Pour l’avocat général, c’est bien le cas. Ainsi, un tiers qui commercialise de manière licite des produits destinés à être utilisés avec des produits spécifiques correspondant à des dessins ou à des modèles communautaires et qui reproduit ces derniers afin d’expliquer ou de démontrer l’emploi conjoint des produits qu’il commercialise et d’un produit correspondant à un dessin ou à un modèle protégé, accomplit un acte de reproduction à des fins d’« illustration », au sens de l’article 20, § 1, sous c), du règlement 6/2002.

La Cour de justice en conclut que : « un tel acte étant ainsi autorisé au titre de [l’article 20, §1, sous c) du règlement 6/2002] pour autant qu’il respecte les conditions cumulatives fixées [par cet article], ce qu’il revient à la juridiction nationale de vérifier ».

En dernier lieu, la juridiction de renvoi cherche à clarifier si la notion d’« autres sanctions » au sens de l’article 89 du règlement 6/2002 comprend des demandes annexes à une action en contrefaçon, telles que la fourniture de documents comptables, des indemnités, le remboursement des frais d’avocat, le rappel et la destruction des produits contrefaits ou encore des publications.

A cette fin, il faut préserver l’équilibre entre les intérêts de la personne dont la responsabilité est mise en cause et ceux de la personne lésée. Ainsi quand il est reproché à un même défendeur différents actes de contrefaçon, commis dans différents États membres, il convient pour identifier le fait générateur du dommage, de se référer non pas à chaque acte de contrefaçon, mais d’apprécier, de manière globale, le comportement dudit défendeur, afin de déterminer le lieu où l’acte de contrefaçon initiale a été commis ou risque d’être commis.

Une telle interprétation permet à la juridiction saisie d’identifier aisément la loi applicable, en employant un critère de rattachement unique lié au lieu où l’acte de contrefaçon qui se trouve à l’origine de plusieurs actes reprochés à un défendeur a été commis. Cela garantit la prévisibilité de la loi, même dans le cas des ventes en ligne à destination de plusieurs Etats membres. En effet, le lieu où le fait générateur du dommage s’est produit est dans ce cas celui du déclenchement du processus de la mise en ligne de l’offre de vente.

Dans ces circonstances, le « pays dans lequel il a été porté atteinte à ce droit » prévu par l’article 8, § 2, du règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles est celui du lieu où le fait générateur du dommage s’est produit. Dans des circonstances où sont reprochés à un même défendeur différents actes de contrefaçon commis dans différents États membres, il convient, non pas de se référer à chaque acte de contrefaçon reproché, mais d’apprécier de manière globale le comportement dudit défendeur afin de déterminer le lieu où l’acte de contrefaçon initial, qui est à l’origine du comportement reproché, a été commis ou risque d’être commis par celui-ci.

 

Auteur

José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle

 

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