Quand la désignation d’un délégué syndical rend caduque les décisions de l’employeur
7 octobre 2014
Lorsqu’en l’absence de délégué syndical, l’employeur a unilatéralement décidé de remplacer le paiement des heures supplémentaires par un repos compensateur de remplacement, la désignation postérieure d’un délégué syndical rend caduque cette décision et impose à l’employeur de négocier un accord d’entreprise.
L’article L. 3121-24 du Code du Travail autorise l’employeur à remplacer le paiement de tout ou partie des heures supplémentaires et des majorations y attachées par un repos compensateur dit «de remplacement». Ce remplacement doit, en principe, être organisé par accord collectif d’entreprise ou de branche. Par exception, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, ce remplacement peut être mis en place unilatéralement par l’employeur, à condition que le comité d’entreprise ou les délégués du personnel, s’ils existent, ne s’y opposent pas.
Le repos compensateur de remplacement : une alternative aux jours de réduction du temps de travail
Cette faculté offerte aux entreprises dépourvues de délégué syndical permet notamment :
- de travailler plus de 35 heures par semaine en ouvrant droit à des repos compensateurs de remplacement comparables à des jours de réduction du temps de travail et ainsi réduire de fait, la durée annuelle de travail ;
- d’éviter de recourir à la conclusion d’un accord d’aménagement du temps de travail requérant soit la désignation d’un délégué syndical, soit la validation par la Commission Paritaire de la Branche, soit la ratification à la majorité du personnel ;
- de maîtriser la masse salariale, le paiement des heures supplémentaires étant remplacé par des repos compensateurs de remplacement ;
- de conserver le contingent d’heures supplémentaires pour d’éventuelles heures supplémentaires ponctuelles. En effet, les heures supplémentaires faisant l’objet d’une compensation sous forme de repos compensateurs de remplacement, ne s’imputent pas sur le contingent d’heures supplémentaires.
Les parallèles avec les accords d’aménagement du temps de travail s’arrêtent toutefois là : en effet, les repos compensateurs ainsi accordés englobent les majorations pour heures supplémentaires d’une part et, d’autre part, l’utilisation de ces repos compensateurs est à l’initiative exclusive du salarié.
La mise en place dans les entreprises sans représentant du personnel est relativement simple : elle requiert une décision de l’employeur portée à la connaissance des salariés et le constat de l’absence d’opposition du comité d’entreprise ou des délégués du personnel s’ils existent. Une mention dans les contrats de travail est également nécessaire lorsque le repos compensateur de remplacement s’intègre dans un forfait en heures.
Il était considéré jusqu’à récemment que cette décision de l’employeur s’appliquait tant qu’aucune nouvelle décision ou un accord collectif portant sur le même sujet n’était pas intervenu.
La décision de l’employeur d’accorder des repos compensateurs cesse automatiquement en cas de désignation ultérieure d’un délégué syndical
Dans une décision du 24 juin 2014, la Cour de cassation a précisé que la décision unilatérale devenait caduque en cas de nomination d’un délégué syndical. La Cour de cassation considère en effet que «faute de procurer un avantage au salarié, la décision par laquelle, en l’absence de délégué syndical, l’employeur instaure le repos compensateur de remplacement, ne constitue pas un acte soumis aux règles de dénonciation des engagements unilatéraux». Elle devient donc caduque par suite de l’assujettissement de l’entreprise à l’obligation annuelle de négocier s’il ne lui a pas été substitué un accord collectif dans le cadre de cette négociation.
En l’espèce, l’employeur soutenait qu’une décision unilatérale continue de produire effet tant qu’elle n’est pas régulièrement dénoncée par l’employeur, soit en respectant la même procédure que pour la dénonciation des usages, soit par la conclusion d’un accord collectif portant sur le sujet.
La Cour de cassation rejette cet argument, considérant que l’engagement unilatéral de l’employeur doit créer des droits plus importants pour les salariés que ceux qu’ils tiennent de la loi ou de la convention collective. Or, l’article L. 2121-24 du Code du Travail considérant que le repos compensateur de remplacement est équivalent au paiement des heures supplémentaires et des majorations, la loi elle-même exclut toute notion d’avantage.
La vigilance est requise lors la première négociation annuelle obligatoire
En conclusion, la mise en œuvre de la notion de caducité, inhabituelle en droit du travail, oblige les entreprises ayant mis en place unilatéralement des repos compensateurs de remplacement, à réexaminer la situation dès la désignation de délégués syndicaux en leur sein. En effet, au terme de la première Négociation Annuelle Obligatoire suivant cette désignation, l’octroi de repos compensateurs de remplacement n’est plus valable et le salarié peut revendiquer le paiement des heures supplémentaires et des majorations. Comme de surcroît, le non-paiement des heures supplémentaires constitue un délit pénal et peut conduire à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur, la plus grande prudence est recommandée.
Enfin, cette solution pourrait être transposable aux autres dispositifs dont la mise en œuvre unilatérale est subordonnée au non assujettissement à la Négociation Annuelle Obligatoire tels que la prise en charge des frais de carburant domicile-lieu de travail.
Auteurs
Alain Herrmann, avocat associé en droit social
Laetitia Blanloeil, avocat en droit social
Article paru dans Les Echos Business le 6 octobre 2014
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