Défaut de titre de séjour : la mise à pied conservatoire n’est pas justifiée en l’absence de faute grave
22 février 2023
Dans un arrêt du 23 novembre dernier, publié au Bulletin (Cass. soc., 23 novembre 2022, n° 21-12.125), la Cour de cassation rappelle que si l’irrégularité de la situation d’un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail, elle n’est pas en soi constitutive d’une faute grave.
Conséquence logique : sauf à évoquer une faute distincte de la seule irrégularité de la situation du salarié, un employeur ne peut recourir à la mise à pied à titre conservatoire pendant la mise en œuvre de la procédure de licenciement du salarié étranger.
La seule irrégularité de la situation d’un travailleur étranger, si elle est une cause objective de rupture, ne constitue pas un motif de licenciement disciplinaire
En l’espèce, un salarié étranger avait été embauché en qualité de veilleur de nuit à compter du 13 juin 2012. Le 22 mai 2013, le salarié a été victime d’un accident de trajet et, conséquemment, absent de l’entreprise jusqu’au 11 avril 2014.
Au cours de cette absence, son employeur a sollicité, d’abord verbalement puis par deux courriers recommandés, la remise du titre de séjour autorisant le salarié à exercer son activité professionnelle.
A son retour dans l’entreprise, le salarié n’ayant toujours pas fourni ledit document, l’employeur lui a signifié sa mise à pied à titre conservatoire en raison de l’interdiction légale d’employer un salarié en situation irrégulière. Dans la foulée, l’employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable puis lui a notifié son licenciement pour «défaut de titre de séjour [l’] autorisant à exercer une activité salariée».
Le salarié a alors saisi le conseil de prud’hommes d’Evry en contestation notamment de son licenciement. Le Conseil a jugé que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et a débouté le salarié de toutes ses demandes.
Ayant interjeté appel de ce jugement, le salarié a sollicité la réformation du jugement et la condamnation de son ancien employeur à lui verser diverses sommes et notamment un rappel de salaires au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents.
La cour d’appel de Paris a confirmé le jugement, en considérant que l’irrégularité de la situation du salarié n’était pas contestée et que l’employeur n’avait d’autre choix que de procéder au licenciement.
Elle a toutefois condamné la société au versement de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L.8252-2 du Code du travail (indemnité égale à trois mois de salaire ou, si elles sont plus favorables, à l’indemnité légale, conventionnelle ou contractuelle de préavis ou de licenciement ou de rupture anticipée ou de fin de contrat à durée déterminée).
Le 23 novembre 2022, la Cour de cassation a cependant adopté une approche différente en considérant que :
-
- «l’irrégularité de la situation d’un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail exclusive de l’application des dispositions relatives aux licenciements et de l’allocation de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse» ;
-
- mais que cette irrégularité «n’est pas constitutive en soi d’une faute grave».
Selon la Haute juridiction, ce n’est qu’en présence d’une faute grave (ou lourde – v. Cass. soc., 18 déc. 2013, n° 12-18.548) que la mise à pied conservatoire et le non-paiement du salaire en résultant sont justifiés.
En conséquence, l’employeur n’ayant invoqué aucune faute grave à l’appui du licenciement comme cela ressortait de la lettre de licenciement, la Haute juridiction a considéré que les juges du fond auraient dû en déduire que le salarié «avait droit au paiement du salaire pour la période antérieure à la rupture du contrat de travail» et notamment pour la période couverte par la mise à pied.
Une mise à pied à titre conservatoire reste possible sous réserve d’invoquer une faute grave distincte de la seule irrégularité de la situation du travailleur
Il est vrai que pour l’employeur confronté à l’irrégularité de la situation de son salarié et donc à l’interdiction d’employer ce salarié conformément à l’article L.8251-1 du Code du travail, le recours à la mise à pied à titre conservatoire peut paraître tentant pour suspendre l’exécution du travail et le paiement de la rémunération le temps de la procédure de licenciement.
Dans l’affaire en question, le salarié avait été convoqué à un entretien préalable le 23 avril 2014 et mis à pied à titre conservatoire avant d’être licencié trois semaines plus tard. Aucune rémunération ne lui avait donc été versée pendant ces trois semaines.
A tort selon la Cour de cassation, dès lors que l’irrégularité de sa situation ne constituait pas un fait fautif (v. not. Cass. soc., 4 juill. 2012, n° 11-18.840).
Il n’est toutefois pas interdit aux employeurs d’invoquer une faute distincte de la seule irrégularité de la situation du salarié pour justifier le licenciement pour faute grave.
Ainsi, lorsque le salarié trompe l’employeur en faisant par exemple usage de faux papiers et/ou de faux titres de séjour, l’employeur est parfaitement en droit de faire état d’une telle faute, sous réserve de l’appréciation des juges du fond en cas de contentieux (pour des exemples de cas où la faute grave a été retenue v. Cass. soc., 18 février 2014, n° 12-19.214 ; 28 octobre 2014, n° 13-19.710).
En pareilles circonstances, il sera alors tenu de respecter la procédure disciplinaire, ce qui l’autoriserait le cas échéant à mettre à pied de manière conservatoire le salarié. L’employeur devra également mentionner la faute grave dans la lettre de licenciement.
Comment réagir en cas de constat par l’employeur d’une situation irrégulière de son travailleur étranger ?
Dans l’arrêt commenté la Cour de cassation rappelle que l’irrégularité de la situation d’un travailleur étranger «constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail exclusive de l’application des dispositions relatives aux licenciements et de l’allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse» (v. déjà Cass. soc., 4 juill. 2012, n° 11-18.840 ; Cass. soc., 1er oct. 2014 n° 13-17.745).
L’irrégularité de la situation du travailleur étranger constitue donc une cause sui generis de rupture du contrat de travail, qui ne nécessiterait pas l’application des dispositions relatives notamment à la procédure de licenciement.
Il semble néanmoins préférable et plus précautionneux pour l’employeur de demander par écrit au salarié de justifier de sa situation et de le convoquer à un entretien préalable, afin d’éviter qu’un juge puisse considérer que la rupture du contrat de travail a été prononcée avec légèreté blâmable.
La Haute juridiction avait en effet jugé que le défaut de titre autorisant le salarié à travailler doit s’apprécier au jour de l’entretien préalable. Le licenciement ne sera alors justifié qu’à défaut pour le salarié d’être en mesure de produire à cette occasion, un justificatif du titre l’autorisant à travailler ou un «justificatif de dépôt de demande» pour le renouvellement de ce document (Cass. soc., 19 déc. 2007, n° 06-44.995).
La prudence commanderait en conséquence pour les employeurs de respecter les différentes étapes de la procédure de licenciement s’ils envisagent de mettre un terme à la relation contractuelle qui les lie à un travailleur dont le titre de séjour ou l’autorisation de travail auraient expirés au cours de l’exécution du contrat de travail (convocation / entretien / notification motivée de la rupture).
L’entretien pourrait ainsi être l’occasion de faire le point sur la situation du travailleur, afin notamment de vérifier si des démarches sont en cours auprès de l’administration.
En pratique, en cas de dépassement du délai de validité du titre de séjour ou en l’absence d’autorisation de travail, il est envisageable de coupler l’engagement de la procédure avec une suspension du contrat de travail du salarié qui ne revêtirait alors pas la qualification de «mise à pied conservatoire».
Cette solution n’est toutefois pas optimale car une lecture stricte des textes portant interdiction d’emploi des travailleurs étrangers en situation irrégulière pourrait conduire à considérer qu’il convient de mettre fin au contrat de travail dès l’expiration de la période de validité des titres ou autorisations.
Mais cette dernière hypothèse pourrait s’avérer particulièrement préjudiciable pour le travailleur étranger qui, le cas échéant, pourrait faire grief à son employeur d’avoir agi dans la précipitation.
Il est vrai qu’en raison de délais allongés de traitement des demandes par l’administration, le défaut de titre de séjour ou d’autorisation de travail peut n’être que momentané.
Le risque en cas de licenciement «précipité» d’un salarié étranger est alors celui d’une condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (v. par ex. lorsque l’employeur avait connaissance d’une régularisation en cours : Cass. soc., 6 nov. 2001, n° 99-42.054).
Il convient donc pour les entreprises qui embauchent des travailleurs étrangers d’être particulièrement vigilantes et d’effectuer un suivi rigoureux de la situation de leurs salariés.
Les employeurs ne doivent pas hésiter à solliciter leurs salariés par écrit et en amont de la date d’expiration de leur titre de séjour (au moins 3 mois avant), afin de s’assurer que les démarches nécessaires ont été entreprises pour assurer le renouvellement de leur titre de séjour.
Quelles indemnités de rupture verser au salarié en situation irrégulière ?
En cas de période d’emploi illicite, dès l’embauche ou lorsque l’employeur conserve à son service un salarié étranger qui n’est plus autorisé administrativement à travailler, ce salarié a droit en application de l’article L.8252-2 du Code du travail au versement d’une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire ou, si elles sont plus favorables, à l’indemnité légale, conventionnelle ou contractuelle de préavis ou de licenciement ou de rupture anticipée ou de fin de contrat à durée déterminée.
La jurisprudence a précisé que l’indemnité de préavis ne se cumule pas avec l’indemnité forfaitaire visée ci-dessus : seule la plus élevée des deux indemnités est due (Cass. soc., 29 janv. 2008, n° 06-44.983).
Dans l’hypothèse où un salarié étranger est engagé régulièrement mais que le titre l’autorisant à travailler en France n’est pas renouvelé, il semblerait que l’article L.8252-2 précité ne soit pas applicable, ce texte visant spécifiquement l’existence d’une «période d’emploi illicite» (en ce sens : Cass. soc., 3 avril 2019, n° 17-17.106).
L’employeur qui aurait diligenté une procédure de licenciement pour mettre un terme à la relation contractuelle du salarié étranger serait donc tenu de verser les indemnités afférentes à la rupture et notamment l’indemnité de licenciement.
Il a en revanche été jugé que le salarié ne peut prétendre au versement de l’indemnité compensatrice de préavis, sa situation irrégulière ne lui permettant pas de l’effectuer (Cass. soc., 14 octobre 1997, n° 94-42.604).
Haiyan Cai, Juriste, Marie Leclerc, Avocat et Ghislain Dintzner, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
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