CVAE et déductibilité des dépenses de mécénat : la fin des hésitations ou le début de nouvelles problématiques ?
Par une décision du 9 mai 2018 rendue en assemblée plénière des chambres fiscales (n°388209, CRCAM de Pyrénées-Gascogne), le Conseil d’Etat admet que les dépenses courantes de mécénat sont déductibles de la valeur ajoutée, laquelle sert de base à la fois au plafonnement de la CET et au calcul de la CVAE.
Une interprétation contestable de l’administration
La question de la prise en compte des dépenses de mécénat dans le calcul de la valeur ajoutée en tant que charges d’exploitation faisait l’objet depuis plusieurs années d’un vif contentieux. L’administration fiscale n’hésitait pas en effet à contester systématiquement dans le cadre des vérifications de comptabilité diligentées en matière de CVAE la déduction des dépenses de mécénat de la valeur ajoutée quand bien même celles-ci avaient été comptabilisées par les entreprises vérifiées au compte 62 « Autres services extérieurs », lequel est un compte de charges d’exploitation (déductibles de la valeur ajoutée).
L’administration soutenait que lesdites dépenses de mécénat étant dépourvues de contrepartie, elles constituaient des libéralités. Selon elle, les entreprises n’apportaient pas la démonstration probante de l’existence d’une contrepartie tangible auxdites dépenses de mécénat d’où à son sens la requalification en libéralités. Or, les libéralités sont toujours comptabilisées en charges exceptionnelles et de ce fait, étant exclues du résultat courant d’exploitation, sont donc non déductibles de la valeur ajoutée.
Le sort des dépenses de mécénat au regard de la CVAE dépendait-il du point de savoir si elles doivent être comptablement enregistrées parmi les charges d’exploitation courantes ou parmi les charges exceptionnelles ?
Dans ses conclusions sur l’affaire jugée le 9 mai 2018, le rapporteur public Yohann Bénard précisait qu’ « ainsi que l’expose le Mémento comptable Francis Lefebvre, les dépenses de mécénat « sont assimilables à des dons » et doivent à ce titre être comptabilisées, conformément au plan comptable général : soit en tant que charges d’exploitation au compte 6238 « Divers (pourboires, dons courants …), rattaché au poste comptable 623 « Publicité, publications, relations publiques » lui-même inclus dans le poste 62 « Autres services extérieurs » ; soit en tant que charges exceptionnelles au compte 6713 « Dons, libéralités » rattaché au poste 671 « Charges exceptionnelles ».
Le rapporteur public ajoutait que « L’existence de cette alternative ne signifie nullement que les entreprises qui effectuent des dons ou des dépenses de mécénat disposent d’un quelconque choix en termes de comptabilisation : soit les dépenses en cause ont un caractère récurrent et constituent donc des charges courantes ; soit, à l’inverse, elles présentent un caractère non-récurrent, et doivent alors être comptabilisées en charges exceptionnelles ».
Il concluait ainsi que d’un point de vue comptable, c’est donc la distinction entre charge récurrente et charge non-récurrente, c’est-à-dire entre charge courante et charge exceptionnelle, qui commande la classification comptable à retenir.
Le principe posé dans la décision du 9 mai 2018
Le Conseil d’Etat, réuni en assemblée plénière, a pleinement suivi les conclusions du rapporteur public, jugeant que les dépenses de mécénat doivent être comptabilisées comme des charges d’exploitation, et donc au compte 62 « Autres services extérieurs », lorsqu’elles s’inscrivent dans l’activité habituelle et ordinaire de l’entreprise.
Dès lors que lesdites dépenses ont été régulièrement enregistrées à un compte de charges d’exploitation, c’est-à-dire en conformité avec les règles comptables, le Conseil d’Etat, consacrant une nouvelle fois le principe de la connexion entre comptabilité et fiscalité, conclut que leur déductibilité de la valeur ajoutée ne souffre aucune discussion.
La comptabilisation par chaque entreprise des dépenses de mécénat en charge d’exploitation ou en charge exceptionnelle selon leur caractère récurrent ou occasionnel, devient donc une question déterminante au regard de la CVAE.
Les nouvelles problématiques en la matière
Si par cette décision du 9 mai 2018, le Conseil d’Etat met fin à l’analyse soutenue par l’administration consistant à effectuer un retraitement fiscal des écritures comptables du contribuable, il ne peut être exclu que cette solution de principe génère de nouvelles problématiques.
A commencer par celle de la distinction à opérer entre dépenses courantes de mécénat et dépenses exceptionnelles de mécénat…
Comment désormais, et notamment sur la base de quels critères matériels et factuels, les services fiscaux admettront-ils que des dépenses de mécénat présentent un caractère récurrent et non occasionnel ?
Jugeront-ils comme nous l’espérons que la notion de récurrence doit s’apprécier au niveau de l’entreprise mécène et non de chacun des bénéficiaires ou de chacune des dépenses de mécénat comptabilisées ? Admettront-ils que la qualification récurrente résulte d’une analyse d’ensemble des actions de mécénat engagées chaque année ou au titre de chaque exercice par l’entreprise quels qu’en aient été les bénéficiaires, le montant et le volume, à l’exclusion de toute analyse propre à chaque dépense ?
Il est à espérer que l’administration fiscale développe au cas des dépenses de mécénat, les mêmes raisonnements que ceux qu’elle oppose actuellement pour la prise en compte ou non dans le chiffre d’affaires et la valeur ajoutée des plus et moins-values de cessions d’immobilisations corporelles et incorporelles.
Rappelons en effet que les plus-values de cessions d’immobilisations impactent le chiffre d’affaires et la valeur ajoutée lorsqu’elles présentent un caractère normal et courant au regard de l’activité exercée par l’entreprise redevable, c’est-à-dire lorsqu’elles font partie « du cycle de production de l’entreprise » comme l’indique elle-même l’administration fiscale dans sa doctrine opposable au contribuable. Toutefois, il est également fait état dans cette doctrine du fait que le caractère normal et courant d’une cession résulte de l’appréciation de chaque situation de fait.
Au regard de ces commentaires, il est donc plus que probable que la question du caractère courant ou exceptionnel des dépenses de mécénat donnera lieu à une analyse individuelle propre à chaque entreprise vérifiée.
Par ailleurs et puisqu’il est à espérer que cette solution de principe sur les dépenses de mécénat incite de nouvelles entreprises à engager, sur un rythme récurrent, des actions de mécénat, la question se pose de savoir à partir de quelle imposition à la CVAE et donc de quel exercice comptable les services fiscaux admettront-ils l’effectivité du caractère récurrent et donc la déductibilité de la dépense ? sera-t-il ainsi possible d’exclure de la valeur ajoutée dès le premier exercice de leur comptabilisation lesdites dépenses de mécénat ?
A ce titre et dès lors que la comptabilisation des dépenses de mécénat en résultat courant est déterminante, il est primordial, comme de nombreux auteurs s’accordent déjà à le dire, que les entreprises se constituent une documentation circonstanciée démontrant leur engagement récurrent et non seulement occasionnel en matière de mécénat.
Au nombre des éléments de cette documentation, figureraient par exemple un état récapitulatif par année ou par exercice social si celui-ci ne coïncide pas avec l’année civile, recensant l’ensemble des actions de mécénat menées par l’entreprise depuis sa première dépense, lequel état mentionnerait également l’identité des bénéficiaires, le montant des dépenses, les motifs qui ont présidé au choix de ce bénéficiaire (visibilité de l’entreprise au regard du bénéficiaire concerné, défense de l’image de marque, association de l’entreprise à une action de communication etc.). Figureraient encore dans cette documentation les décisions internes relatives à la politique de communication de l’entreprise ainsi que les divers écrits d’engagement envers des bénéficiaires identifiés, les diverses correspondances échangées, les diverses recherches effectuées sur les objectifs et les cibles envisagés.
Telles sont à ce jour nos recommandations quant à la portée de la décision du 9 mai 2018 pour sécuriser la situation des entreprises qui comptabilisent des dépenses de mécénat en charges d’exploitation et les déduisent de leur valeur ajoutée.
Auteur
Vanessa Chiffert, avocat, fiscalité locale