Crypto-actifs : vers une fiscalité harmonisée à l’échelle internationale ?
Les Etats visent à normaliser le traitement fiscal des crypto-actifs, mais des incertitudes demeurent pour les investisseurs, notamment en France.
Lever des fonds sans dépendre du système bancaire ou acquérir des œuvres d’art indestructibles sous forme de NFT : les avantages des actifs numériques, qu’il s’agisse des cryptomonnaies (currency tokens comme le Bitcoin) ou d’autres formes de jetons (utility, security tokens ou NFT) attirent toujours plus d’investisseurs. L’engouement va s’amplifier avec le développement de la réalité virtuelle en devenir, les Métavers intégrant l’usage des cryptos.
Ce marché mondial de 15 000 milliards de dollars de transactions en 2021 est une manne fiscale, que les Etats entendent exploiter. Si l’on peut espérer un régime incitatif et stable, l’édifice est encore en chantier avec des évolutions à court terme.
Avant de détailler le régime fiscal français encore incomplet, nous nous intéresserons aux démarches et propositions de l’OCDE et de l’Union européenne.
- Périmètre de la régulation fiscale attendue en matière de cryptos-actifs ?
Une régulation harmonieuse limitant le tax shopping et aussi le blanchiment et la fraude paraît nécessaire.
La qualification de l’actif permet celle des revenus ou gains qu’il génère et, partant, de son traitement fiscal. Par exemple, tous les pays ne considèrent pas le Bitcoin ou équivalent comme une monnaie. C’est le cas de la France (qui les considère comme un actif incorporel) ou du Japon (moyen de paiement légal), contrairement à la Belgique, l’Italie et la Pologne notamment (assimilation à une monnaie). Les Etats rattachent les cryptos aux catégories de revenus existantes : l’acquisition par mining[1], la vente contre une monnaie légale, d’autres cryptos ou biens sont des opérations imposables. Italie, Pays-Bas, Portugal et Suisse font favorablement exception, les échanges de monnaie virtuelle des particuliers n’y constituant pas un fait générateur d’imposition. Le traitement des NFT reste quant à lui à préciser par les Etats. Concernant la TVA, le régime a l’avantage d’être homogène dans l’UE (mais pas au-delà), la décision Hedqvist exonérant l’échange de cryptomonnaies contre des devises ou d’autres cryptomonnaies[2].
- Quelles propositions de l’OCDE à ce jour ?
L’OCDE travaille à définir un cadre harmonisé à la fiscalisation des cryptomonnaies et des NFT. Cela aboutirait à la préparation de modèles législatifs par l’OCDE, à transposer dans les législations des Etats après accord entre ses membres[3].
Dans son rapport sur la fiscalité des monnaies virtuelles[4], l’OCDE proposait aux Etats les principales actions suivantes :
- Intégration des cryptomonnaies dans le cadre fiscal existant, précisé par des instructions claires pour les contribuables.
- Adaptation du cadre par des lois nouvelles si nécessaire. L’OCDE préconise notamment un « traitement fiscal simplifié pour les négociants occasionnels »[5] afin d’éviter l’imposition des plus-values à chaque transaction. En ce sens, l’OCDE renforcerait l’assimilation à la monnaie pour de faibles montants.
- Démarches de transparence, en invitant les Etats à communiquer le raisonnement sous-jacent aux traitements fiscaux définis et à mettre progressivement en conformité les acteurs du marché (détenteurs de données fiscales utiles). En matière d’avoirs non révélés, cela pourrait donner lieu à des régularisations volontaires des contribuables auprès des autorités.
Concernant la tokenisation, i.e. l’inscription d’un actif (action, immobilier, etc.) sur un token y donnant droit, l’OCDE a examiné ses implications pour les marchés[6] et travaille à un traitement fiscal des NFT[7].
L’OCDE a annoncé lancer une consultation publique sur l’ajout des cryptomonnaies à l’échange automatique d’informations fiscales entre Etats[8].
- Droit de l’Union européenne
Les instances européennes œuvrent aussi à une évolution, comme en témoigne le règlement MICA[9] ciblant les règles d’émission et les prestataires de services sur crypto-actifs en particulier.
A travers DAC8, la directive relative à la coopération administrative et l’échange d’informations en matière fiscale (2011/16/UE, DAC) sera étendue aux cryptos. L’objectif est de solutionner le manque d’informations sur leur utilisation par les contribuables (ce qui suppose d’en définir le champ et les intermédiaires en cryptos) et la disparité existante en matière de sanctions (pour décourager l’évasion fiscale). L’adoption attendue en 2022 renforcera la transparence, par exemple sur l’anonymat.
L’utilisation de sociétés écrans ou coquilles dans un Etat de l’UE pour la détention de cryptos est ciblée par le projet de directive exigeant des critères de substance minimale pour les holdings financières détenant des actifs principalement transfrontaliers (projet de directive 2021/0434 ATAD III qui entrerait en vigueur au 1er janvier 2024)[10]. A défaut de remplir ces critères, le bénéficiaire effectif ou actionnaire sera imposé sur les revenus et gains par transparence comme si la société sans substance n’existait pas. Cette société ne bénéficierait par ailleurs plus des conventions fiscales et des allégements fiscaux prévus par les directives. En matière de crypto-actifs, la question du caractère transfrontalier des revenus ou gains devrait donner lieu à des réponses compliquées et l’impact de l’absence du bénéfice des conventions fiscales et des directives (intérêts, dividendes et redevances principalement) reste à évaluer. Les entreprises bancaires ou financières et fonds AIFM sont exclus du dispositif, comme les prestataires de services sur crypto-actifs.
- Edification de la fiscalité française des cryptos
A compter de 2019, les lois de Finances ont complété la législation. Pour les particuliers, les plus-values occasionnelles sur actifs numériques sont soumises à la flat tax de 30% selon l’article 150 VH bis du CGI. Un sursis en cas d’échange sans soulte entre actifs numériques a été aménagé.
Depuis 2020, les comptes étrangers d’actifs numériques sont à déclarer (article 1649 bis C du CGI).
En 2022, la loi de Finances a apporté une contribution restreinte avec deux mesures pour les particuliers au 1er janvier 2023 :
- La possibilité de bénéficier sur option du barème progressif dans le cadre des plus-values sur cessions d’actifs et non plus seulement du PFU de 30%.
- L’assimilation à travers l’article 92 du CGI du trading professionnel des actifs numériques aux opérations de bourse professionnelles imposées dans les BNC, selon le degré de sophistication des opérations (souvent nombreuses du fait de la volatilité) et l’importance des gains du contribuable au regard de ses revenus professionnels (BOI BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-10).
S’agissant des sociétés à l’IS, les opérations entrent aussi toutes dans la base imposable, ce qui impose un suivi rigoureux.
- Propositions parlementaires à mettre en œuvre ?
Les évolutions fiscales récentes découlent principalement des propositions du député Pierre Person. Sur 11 propositions formulées initialement, plusieurs sont effectives outre les dispositifs évoqués[11]. On peut citer l’exclusion des charges déductibles des pertes liées à la dépréciation des crypto‑actifs pour les Jeunes Entreprises Innovantes et, en matière de TVA, des précisions sur sa date d’exigibilité pour les Initial Coin Offering (BOI-RES-000054) et le non-assujettissement de la rémunération du mining en l’absence de bénéficiaire déterminé (BOI-TVA-CHAMP-10-10-10).
D’autres de ces propositions, bien qu’écartées par la loi de Finances pour 2022, préfigureraient les projets à venir :
- Un abattement annuel sur les cessions de crypto-actifs à hauteur de 3 000 euros, écarté pour éviter un système de paiement parallèle.
- Un régime de report d’imposition de la plus-value similaire au régime d’apport-cession de l’article 150-0 B ter du CGI en cas d’apport de crypto-actifs. A ce jour, le contribuable doit s’acquitter de l’ensemble des plus-values latentes réalisées à titre personnel sur ses crypto-actifs alors qu’il n’a pas reçu de liquidités en contrepartie de son apport.
- L’alignement des attributions de tokens gratuits sur le régime des attributions d’actions, au motif qu’un token n’est pas similaire à une action.
- Incertitudes persistantes dans le cas des NFT
L’amendement à la loi de Finances 2022 proposant une imposition des NFT selon le sous-jacent a été rejeté pour prolonger la réflexion du gouvernement. Pour les NFT d’œuvres d’art, l’incertitude est forte. Un collectionneur personne physique pourrait voir sa plus-value imposée en tant qu’actif numérique (flat tax de 30%), bien meuble incorporel (19% d’impôt sur le revenu et 17,2% de prélèvements sociaux) ou œuvre d’art (taxe forfaitaire de 6,5 % du prix de vente). D’autres questions complexes sont à résoudre, comme le lieu de situation des NFT lorsque leur créateur perçoit une rémunération à chaque fois que le NFT change de main ou leur traitement successoral.
[1] Activité de vérification et d’enregistrement des transactions, rémunérée en monnaie virtuelle.
[2] CJUE, n° C-264/14, Skatteverket contre David Hedqvist, 22 oct. 2015
[3] Comme en octobre 2021 pour l’imposition minimum de 15 % des multinationales dès 2023.
[4] OCDE, Fiscalité des monnaies virtuelles Panorama des traitements fiscaux et des sujets émergents de politique fiscale, oct. 2020
[5] Ibid. p. 63
[6] OCDE, The Tokenisation of Assets and Potential Implications for Financial Markets, janv. 2020
[7] Bloomberg Tax, OECD Looking at Ownership, Taxing Rights in NFT Study, Feb. 22 févr. 2022
[8] OECD Tax Talks, 21 févr. 2022
[9] Règlement Markets in Crypto Assets, adopté le 14 mars 2022 par la Commission ECON du Parlement de l’UE.
[10] Cf. Option Finance du 7 mars 2022, ATAD III : passer la substance des holdings au filtre de la directive société écran s’impose dès cette année, Michel Collet
[11] Assemblée Nationale, rapports d’information n°1624 du 30 janv. 2019 et n°4753 du 1er déc. 2021
Article paru dans Option Finance le 28/03/2022
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