La Cour de cassation et les clauses de juridiction asymétriques
Après les arrêts Banque Rothschild (Cass. 1re civ., 26 septembre 2012, n°11-26.022) et Danne Holding (Cass 1re civ., 25 mars 2015, n°13-27.264), la Cour de cassation revient une fois encore sur la question de la licéité des clauses attributives de compétence asymétriques.
En l’espèce, la société eBizcuss (revendeur agréé de la marque Apple) et la société Apple Sales International avait conclu un contrat contenant une clause attributive de juridiction en faveur des tribunaux irlandais. Cette clause offrait en outre à Apple Sales International la faculté de saisir les juridictions compétentes au regard du siège social d’eBizcuss ou encore le tribunal du pays dans lequel Apple Sales International aurait subi un préjudice1.
La Cour de cassation a reconnu la licéité de cette clause attributive de juridiction au motif qu’elle « permettait d’identifier les juridictions éventuellement amenées à se saisir d’un litige opposant les parties à l’occasion de l’exécution ou de l’interprétation du contrat » et répondait donc à « l’impératif de prévisibilité auquel doivent satisfaire les clauses d’élection de for« . Pour la Haute juridiction, une clause d’élection de for paraît valable dès lors que sa rédaction permet aux juges d’identifier les tribunaux qui pourraient être saisis du litige opposant les parties, et ce alors même que les parties ne disposent pas d’options équivalentes (et donc du même pouvoir) dans le choix de la juridiction compétente (Cass 1re civ., 7 octobre 2015, n°14-16.898).
Néanmoins, elle juge que la clause n’était en l’espèce pas applicable au litige et fait sienne la jurisprudence Cartel Damage Claims aux termes de laquelle la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison ne sont applicables aux litiges relatifs à la responsabilité encourue par une partie, du fait d’une infraction au droit de la concurrence, qu’à la condition d’y faire expressément référence (CJUE, 21 mai 2015, aff. C-352/13). Or ici, la clause ne faisait aucune référence aux pratiques anticoncurrentielles dénoncées par eBizcuss. Elle ne faisait pas davantage référence à la notion de compétence en matière délictuelle (« tort »).
En cette période de jurisprudence mouvante, la plus grande prudence doit donc être adoptée lors de la rédaction des clauses attributives de juridiction et les clauses rédigées d’une manière large et précise devront recevoir la préférence des praticiens.
Note
1 « This Agreement and the corresponding relationship between the parties shall be governed by and construed in accordance with the laws of the Republic of Ireland and the parties shall submit to the jurisdiction of the courts of the Republic of Ireland. Apple reserves the right to institute proceedings against Reseller in the courts having jurisdiction in the place where Reseller has its seat or in any jurisdiction where a harm to Apple is occurring ».
Auteurs
Stéphanie de Giovanni, avocat en droit commercial et contrats internationaux.
Aliénor Fèvre, avocat en droit commercial et contrats internationaux.