Contentieux indemnitaire des pratiques anticoncurrentielles : les exigences probatoires
Par un arrêt du 10 mai 2017, la cour d’appel de Paris vient clarifier les conditions de preuve du préjudice subi par les victimes de pratiques anticoncurrentielles.
Cet arrêt réaffirme de manière générale que, même en présence d’une décision de condamnation de l’Autorité de la concurrence, la victime doit démontrer que les pratiques dont elle demande réparation, d’une part, constituent bien des pratiques anticoncurrentielles génératrices de fautes civiles et, d’autre part, sont directement à l’origine des préjudices qu’elle allègue.
Le nouveau régime de responsabilité civile issu de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles (ententes, abus de position dominante, etc.) prévoit toutefois des aménagements en matière de preuve qui devraient faciliter la réparation des victimes. Cette directive a été récemment transposée en droit français par l’ordonnance 2017-303 du 9 mars 2017 et un décret daté du même jour (Voir D. Redon « De nouveaux outils pour favoriser les actions en réparation pour pratiques anticoncurrentielles » BRDA n°10/17).
Le nouveau dispositif reste néanmoins silencieux sur la question de l’évaluation du préjudice de trésorerie. Le principe étant celui de la réparation intégrale du ou des préjudices subi(s) par la victime de pratiques anticoncurrentielles (CJUE 20 septembre 2001, Courage, aff. C-453/99 et la directive précitée), se pose la question de la réparation de cet éventuel préjudice de trésorerie subi par la victime.
Celui-ci consiste en la perte subie par la victime du fait de l’indisponibilité pendant une certaine période du capital correspondant à la réparation prononcée. Il peut se calculer en appliquant un taux au montant des dommages-intérêts « principaux », par exemple, le taux de rémunération du capital dans le secteur concerné, le taux WACC (« Weighted Average Cost of Capital »), etc.
En l’espèce, les sociétés Orange et Orange Caraïbes avaient été condamnées en 2009 par l’Autorité de la concurrence pour pratiques anticoncurrentielles (clauses d’exclusivité dans les accords de distribution, programme de fidélisation, pratiques de ciseau tarifaire, etc.). La société Outremer Télécom, s’estimant victime de ces pratiques, avait intenté contre ces sociétés une action en réparation de son préjudice devant le tribunal de commerce de Paris.
Ce dernier a accueilli cette action et condamné les sociétés Orange et Orange Caraïbes à payer au demandeur près de 8 millions d’euros de dommages-intérêts.
La Cour d’appel réforme partiellement ce jugement. Seules certaines pratiques sont considérées comme constituant une faute génératrice de préjudice à l’égard d’Outremer Télécom et seule Orange Caraïbe est in fine condamnée à payer des dommages-intérêts.
En ce qui concerne l’actualisation du préjudice, la Cour d’appel rappelle que le droit à réparation couvre non seulement les pertes subies et le manque à gagner mais aussi le paiement des intérêts. La Cour d’appel suit la règle posée par la CJUE qui a précisé que la réparation intégrale du préjudice doit inclure la compensation des effets négatifs résultant de l’écoulement du temps depuis la survenance du préjudice causé par l’infraction, à savoir l’érosion monétaire, mais également la perte de chance subie par la partie lésée du fait de l’indisponibilité du capital (guide pratique de la Commission européenne concernant la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).
La Cour d’appel affirme qu’il incombe à la victime qui souhaite obtenir réparation d’un préjudice correspondant au coût moyen du capital de rapporter la preuve de la perte de chance découlant directement de la non disponibilité de la somme correspondant à la réparation du préjudice (hors actualisation).
En l’espèce, la Cour considère qu’Outremer Télécom n’a pas fait état de projets précis et aboutis d’investissements auxquels elle aurait dû renoncer à cause des pratiques anticoncurrentielles subies, et encore moins des rendements attendus de ces projets. Il n’est donc pas suffisant d’invoquer, comme Outremer Télécom l’a fait, des perspectives générales et vagues de développement de l’activité.
Si cette question du préjudice de trésorerie peut, à première vue, paraître accessoire en termes de réparation des victimes, il s’agit en réalité d’une composante potentiellement importante du préjudice subi.
Soulignons enfin que la cour d’appel de Paris vient de rendre publiques le 20 octobre dernier des fiches méthodologiques sur la réparation du préjudice économique.
CA Paris 10 mai 2017, n°15/05918
Auteur
Amaury Le Bourdon, avocat en droit de la concurrence et droit de la distribution