Contentieux civil et administratif en matière de constructions : une vigilance extrême s’impose
Avant de débuter tous travaux de construction, il est nécessaire d’être vigilant quant aux règles opposables aux autorisations d’urbanisme et aux dommages pouvant être causés aux tiers. Ces derniers disposent de nombreuses voies de recours au croisement de différentes législations : droit de l’urbanisme mais également droit privé.
Ces voies de recours peuvent tendre à l’annulation des autorisations d’urbanisme, et/ou à l’octroi de dommages et intérêts, voire à la démolition de la construction quand bien même cette dernière serait construite conformément à l’autorisation d’urbanisme délivrée au constructeur.
Les voies de recours en droit de l’urbanisme
Le recours pour excès de pouvoir à l’encontre des autorisations d’urbanisme
Une autorisation d’urbanisme peut être contestée par tout tiers disposant d’un intérêt à agir. Aux termes de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, a un intérêt à agir tout tiers qui détient ou occupe régulièrement un bien ou qui bénéficie sur ce bien d’une promesse de vente, d’un bail ou d’un contrat préliminaire de vente en l’état futur d’achèvement, à la condition essentielle, cependant, que le projet autorisé soit de nature à affecter directement ses conditions d’occupation ou de jouissance. Cet intérêt à agir s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.
Le recours des tiers est limité dans le temps. Le délai de recours à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme court à l’égard des tiers à compter du premier jour (d’une période continue de deux mois) de son affichage sur le terrain. Il appartient au bénéficiaire de l’autorisation de prouver la régularité et la continuité de l’affichage, et ce par tous les moyens : attestations sur l’honneur des voisins, attestations par des officiers de police municipale, constats établis par huissiers de justice. L’affichage de l’autorisation d’urbanisme obéit à un certain formalisme quant au lieu et aux mentions que doit comporter le panneau d’affichage. A défaut d’affichage régulier, le délai de recours ne court pas. En tout état de cause, aucune action en vue de l’annulation d’une autorisation d’urbanisme n’est plus recevable à l’expiration d’un délai d’un an «à compter de l’achèvement de la construction ou de l’aménagement».
Un tiers contestant une autorisation d’urbanisme devant le juge administratif ne peut invoquer tout motif pour solliciter et obtenir l’annulation d’une autorisation d’urbanisme ; seuls peuvent être invoqués des motifs tirés du non-respect des règles d’urbanisme, c’est-à-dire notamment du plan d’occupation des sols, du plan local d’urbanisme ou encore du règlement national d’urbanisme. Ainsi les motifs tirés de la violation de servitudes de droit privé ou les règles du droit civil ne peuvent être invoqués.
Les juges administratifs disposent de différentes prérogatives : ainsi, lorsque le projet contesté est affecté d’un seul vice susceptible de régularisation, le juge peut n’annuler que partiellement le permis et surtout fixer un délai dans lequel le titulaire du permis sollicitera la régularisation du vice. Le juge peut également, ab initio, surseoir à statuer s’il constate qu’une régularisation du permis contesté est possible par la voie d’un permis modificatif. Enfin, le juge peut condamner les personnes physiques ou morales à des dommages-intérêts en cas de recours considéré comme abusif. La condamnation peut être prononcée si l’action «excède la défense des intérêts légitimes du requérant et [cause] un préjudice excessif au bénéficiaire du permis».
Action en démolition et en dommages et intérêts
Le constructeur d’un immeuble édifié confor¬mément à un permis de construire (donc en toute régularité) n’encourt pas uniquement le risque de voir son permis annulé, mais également celui de voir sa construction démolie et d’être condamné à des dommages et intérêts.
En effet, l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme précise qu’un propriétaire peut être condamné par le tribunal de l’ordre judiciaire à démolir sa construction dès lors que le permis de construire aura été annulé par le juge administratif. Dans cette hypothèse, l’action en démolition doit être engagée au plus tard dans le délai de deux ans qui suit la décision, devenue définitive, de la juridiction administrative. Ce même article précise que le constructeur peut être condamné à des dommages et intérêts dès lors que le permis de construire a été annulé. Le même délai de deux ans est ouvert pour engager une action en dommages et intérêts.
Les voies de recours en droit privé
Les voisins gênés par l’édification d’une nouvelle construction disposent de plusieurs actions devant les juridictions civiles, soit pour éviter ou retarder l’édification, soit pour obtenir réparation du préjudice qu’elle leur cause.
L’action en responsabilité civile pour violation d’une règle d’urbanisme
Lorsqu’une construction a été édifiée en violation des règles d’urbanisme et que le propriétaire voisin démontre que la violation de ces prescriptions lui cause un préjudice, il peut introduire une action en responsabilité délictuelle devant la juridiction civile sur le fondement des articles 1143 et 1382 du Code civil aux fins d’obtenir la destruction de l’ouvrage en cause. Il est de jurisprudence constante que la violation des règles de l’article R. 111-21 du Code de l’urbanisme peut être invoquée au soutien d’une action en démolition engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
Les actions en responsabilité civile pour violation d’une règle de droit privé
L’autorisation d’urbanisme est délivrée sous réserve des droits des tiers, sans aucune vérification quant au respect des règles de droit privé. Toutefois, toute personne s’estimant lésée par la méconnaissance de son droit de propriété ou d’autres dispositions de droit privé peut faire valoir ses droits en saisissant les juridictions civiles, et ce même si l’autorisation d’urbanisme respecte les règles d’urbanisme. Le fondement juridique de son action pourra alors varier en fonction des circonstances propres à chaque espèce et s’appuyer, outre sur les règles classiques de la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle, sur notamment la théorie des troubles anormaux de voisinage.
Sur le fondement de cette théorie, le tiers voisin, qui s’estime lésé en raison de la construction voisine, peut requérir soit la suppression totale, soit l’atténuation du trouble anormal de voisinage et/ou la compensation pécuniaire du trouble subsistant, consistant en une perte de valeur de sa propriété. Ce régime autonome repose sur le principe selon lequel «nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage». Chaque fois que le tiers voisin pourra établir l’existence d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage résultant des travaux de construction ou de la construction, en tant que telle, il pourra se prévaloir de ce régime qui ne nécessite ni la démonstration d’une faute ni celle de la qualité de gardien. L’action en trouble anormal de voisinage impose que soient démontrées l’existence d’un trouble personnel et l’anormalité du trouble allégué. L’appréciation du caractère anormal du trouble (par rapport aux obligations ordinaires du voisinage) ou manifestement excessif n’est pas liée à un manquement à des dispositions légales ou réglementaires, mais est fonction des circonstances de temps et de lieu. S’agissant des troubles résultant de la construction d’un immeuble, le fait que celle-ci soit conforme au permis de construire et respecte les servitudes de vue sur les fonds voisins ne fait pas obstacle à une action de la part de la victime pour trouble de voisinage.
A l’inverse, l’illégalité de la construction (au regard de l’autorisation d’urbanisme obtenue) ne suffit pas à établir l’existence d’un trouble anormal de voisinage.
Auteurs
Céline Cloché-Dubois, avocat en droit de l’énergie, environnement, droit public, droit immobilier & construction.
Charlotte Félizot, avocat en matière de Contrats de l’Entreprise et Droit Immobilier.
*Contentieux civil et administratif en matière de constructions : une vigilance extrême s’impose* – Article paru dans La Lettre de l’Immobilier, Option Finance le 16 mars 2015