Les conséquences de la suppression de l’obligation de consulter le comité d’entreprise sur les accords collectifs
9 mai 2016
On sait qu’en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, «il résulte de la combinaison des articles L 431-5 et L 432-1 [de l’ancien] Code du travail que la décision du chef d’entreprise doit être précédée par la consultation du comité d’entreprise quand elle porte sur l’une des questions ou mesures visées par le second de ces textes, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que la décision en cause est une décision unilatérale ou prend la forme de la négociation d’un accord collectif d’entreprise portant sur l’un des objets légalement soumis à l’avis du comité d’entreprise ; que cette consultation doit avoir lieu concomitamment à l’ouverture de la négociation et au plus tard avant la signature de l’accord» (Cass., Soc., 5 mai 1998, n°96-13498).
La loi Rebsamen du 17 août 2015 a entendu clairement mettre fin à cette jurisprudence en introduisant à l’article L 2323-2 du Code du travail un nouvel alinéa aux termes duquel : «Les projets d’accord collectif, leur révision ou leur négociation ne sont pas soumis à l’avis du comité d’entreprise».
Quelles sont les conséquences de cette disposition ? Comment se concilie-t-elle avec les compétences consultatives ponctuelles du comité d’entreprise prévues par l’article L 2323-46 du Code du travail aux termes duquel : «Le comité d’entreprise est informé et consulté en cas de problèmes ponctuels intéressant les conditions de travail résultant de l’organisation du travail, de la technologie, des conditions d’emploi, de l’organisation du temps de travail, des qualifications et des modes de rémunération…».
Plusieurs arguments incitent à donner toute sa portée à cette nouvelle disposition et à écarter toute consultation du comité d’entreprise sur un projet d’accord collectif lorsque celui-ci porte sur une question qui relève normalement des compétences du comité d’entreprise.
Le premier est tiré des travaux préparatoires de la loi. Selon l’étude d’impact,
«l’obligation de consulter le comité d’entreprise sur les accords d’entreprise apparaît aujourd’hui superflue… L’intérêt de la consultation du comité d’entreprise n’apparaît plus comme avéré du fait du renforcement du lien entre comité d’entreprise et délégué syndical et de la mesure de la représentativité des organisations syndicales. Cette consultation apparaît comme une procédure formelle qui n’apporte pas d’effet utile à la procédure, dès lors que les acteurs de la négociation pour les salariés sont souvent élus au comité d’entreprise et que la mesure de l’audience des organisations syndicales est calée sur les résultats des élections du comité d’entreprise».
La seule disposition qui prévoyait une consultation spécifique du comité d’entreprise sur un projet d’accord a été abrogée par la loi du 17 août 2015 : il s’agit de l’article L 3312-7 qui prévoyait que le projet d’accord d’intéressement devait être soumis pour avis au comité d’entreprise avant sa signature.
Le second est tiré de la place de cette disposition dans le Code du travail : cette disposition a en effet été introduite au 2e alinéa de l’article L 2323-2 du Code du travail, c’est-à-dire dans la sous-section 1 «Mission générale d’information et de consultation du comité d’entreprise» de la section première «Attributions économiques» du chapitre 3 relatif aux attributions du comité d’entreprise. Il s’agit donc d’une disposition ayant une portée générale.
Le troisième est tiré de la distinction fondamentale en droit du travail entre les décisions unilatérales de l’employeur et les accords collectifs. Cette distinction a retrouvé toute sa portée dans la jurisprudence de la Cour de cassation depuis que, par une série d’arrêts du 27 janvier 2015, la Chambre sociale a jugé que «les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle» (Cass., Soc., 27 janvier 2015, n°1322 179 ; 1325 437 ; 1314 773). De ce point de vue, l’arrêt EDF du 5 mai 1998 apparaît aujourd’hui très daté dans la mesure où il s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence qui ne reconnaissait pas cette distinction.
C’est ce qui a conduit l’Union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS) dans une lettre circulaire n°017-15 du 5 octobre 2015 à indiquer très clairement qu’ «il n’est désormais plus obligatoire, en cours de négociation sur un accord RTT, par exemple, de solliciter l’avis du comité d’entreprise sur le projet d’accord».
Cette suppression de l’obligation de consulter le comité d’entreprise sur les projets d’accords collectifs comporte néanmoins trois limites :
- elle ne concerne pas le CHSCT : dans tous les cas où le Code du travail impose la consultation du CHSCT, celui-ci doit être consulté même si la mesure fait l’objet d’un accord collectif ;
- elle ne concerne que le projet d’accord collectif et non ses mesures d’application : dans la mesure où celles-ci impliqueraient une consultation du comité d’entreprise, celui-ci doit continuer à être consulté ;
- enfin, si le projet d’accord s’inscrit dans le cadre d’une décision de réorganisation plus large de l’entreprise, la consultation du comité d’entreprise reste nécessaire : cela peut être le cas, par exemple, d’une réorganisation de l’entreprise qui se traduit notamment par un accord sur la durée du travail.
Lors d’une conférence sur la mise en œuvre de la loi Rebsamen qui s’est tenue au cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre le 14 avril 2016, la Direction générale du travail a indiqué son accord sur cette interprétation.
Auteur
Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat, Of Counsel, Département social.
Les conséquences de la suppression de l’obligation de consulter le comité d’entreprise sur les accords collectifs – Article paru dans Les Echos Business le 9 mai 2016
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