Condition d’activité du régime Dutreil : la Cour de cassation se prononce à son tour
Après le Conseil d’Etat, la Cour de cassation. En neuf mois de temps, nos deux juridictions suprêmes ont eu l’occasion de rendre d’importants arrêts sur l’appréciation de la condition d’activité du régime Dutreil transmission. Exit la doctrine de l’administration fiscale, la condition d’activité doit être appréciée en considération d’un faisceau d’indices lorsque la société éligible exerce une activité mixte. Ce qui est le cas des holdings animatrices de groupe.
Le régime Dutreil transmission permet, sous certaines conditions, de transmettre les titres d’une société sous le bénéfice d’une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit (article 787 B du Code général des impôts).
Le régime est applicable sous réserve, notamment, que :
- la transmission porte sur les titres d’une société exerçant une activité éligible, et que
- les titres soient conservés pendant une période globale d’au moins six ans.
La première de ces conditions – la condition d’activité – constitue depuis plusieurs années un terrain fertile de contentieux entre l’administration fiscale et les contribuables.
L’article 787 B du Code général des impôts prévoit que, pour être éligible au régime Dutreil, la société doit exercer une activité opérationnelle (industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale). Ainsi, le texte de loi n’exige pas expressément que l’activité opérationnelle soit exercée à titre exclusif ni même à titre principal.
Néanmoins, dans sa doctrine publique, l’administration fiscale a indiqué que, en cas d’exercice par la société d’une activité mixte, à la fois civile et opérationnelle :
- l’activité opérationnelle doit être prépondérante,
- le caractère prépondérant de l’activité opérationnelle doit s’apprécier au regard de deux critères cumulatifs que sont :
- le chiffre d’affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du chiffre d’affaires total de la société doit provenir de son activité éligible), et
- le montant de l’actif brut immobilisé (l’actif brut immobilisé doit représenter au moins 50 % du montant de l’actif brut total de la société)[1].
Les critères posés par la doctrine administrative ont été censurés par le Conseil d’Etat
Saisi d’un recours pour excès de pouvoir sur la question de la légalité de ces commentaires administratifs, le Conseil d’Etat a confirmé le principe consistant à imposer une condition d’exercice principal de l’activité éligible, mais a dans le même temps censuré les critères d’appréciation posés par la doctrine, jugés contraires à la loi[2].
Le Conseil d’Etat en a profité pour indiquer que la prépondérance d’activité doit, dans le silence de la loi, s’apprécier « en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ». Ce faisant, le Conseil d’Etat a laissé une certaine latitude pour apprécier le caractère principal de l’activité, ce qui est bienvenu tant les critères posés par la doctrine de l’administration s’avéraient inappropriés dans une multitude de cas.
On rappelle que si le Conseil d’Etat est compétent pour se prononcer sur la légalité de la doctrine administrative, seules les juridictions de l’ordre judiciaire – la Cour de cassation en tête – sont compétentes pour trancher sur le fond un litige en matière de régime Dutreil transmission.
Il restait donc à savoir si la Cour de cassation allait suivre la position ainsi prise par le Conseil d’Etat.
La Cour de cassation reprend à la lettre la position de principe du Conseil d’Etat
Dans son arrêt du 14 octobre[3], la Cour de cassation reprend textuellement la solution adoptée par le Conseil d’Etat en jugeant que le régime Dutreil s’applique aux transmissions de titres de sociétés ayant une activité mixte qui « exercent principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s’appréciant en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».
Appelée à se prononcer sur le cas spécifique d’une holding animatrice de groupe, la Cour ajoute :
- d’une part, que doivent être assimilées à ces sociétés ayant une activité mixte, dont la transmission des parts est éligible au régime de faveur, les sociétés holdings animatrices de groupe ;
- d’autre part, que le caractère principal de l’activité d’animation de groupe doit être retenu notamment lorsque la valeur vénale, au jour du fait générateur de l’imposition, des titres de ces filiales détenus par les sociétés holdings représente plus de la moitié de leur actif total.
Des précisions bienvenues sur l’éligibilité des holdings animatrices au régime Dutreil
Il est frappant de constater que la décision de la Cour ne se réfère à aucun moment à la doctrine administrative pour confirmer l’éligibilité des holdings animatrices de groupe au régime Dutreil. Il en ressort que, pour la Cour de cassation, une holding animatrice est considérée comme une société intrinsèquement commerciale, et son éligibilité procède donc de la loi elle-même et non d’une tolérance administrative qu’il conviendrait d’appliquer strictement.
La Cour pose également une règle claire : le caractère principal de l’activité d’animation est caractérisé « notamment » lorsque la valeur vénale des titres des filiales opérationnelles animées représente plus de la moitié de l’actif total de la holding animatrice.
Plusieurs enseignements peuvent à notre avis en être tirés.
Tout d’abord, la condition d’exercice de l’activité principale devrait être considérée comme systématiquement remplie lorsque plus de la moitié de l’actif réel de la holding animatrice est composée de titres de filiales opérationnelles animées. Cette automaticité dans l’appréciation de cette condition d’activité apporte indiscutablement de la sécurité juridique, à un régime qui en avait besoin en l’absence de règles clairement édictées par le texte de loi sur le sujet.
Ensuite, la Cour se réfère aux valeurs réelles et non aux valeurs comptables pour apprécier le caractère principal de l’activité. Cet éclairage est à nouveau le bienvenu, sachant que, dans les différentes affaires portées au contentieux, les services vérificateurs de l’administration fiscale ont pu se prévaloir alternativement des valeurs réelles ou des valeurs comptables. La position de la Cour est d’ailleurs à nouveau parfaitement en ligne avec celle adoptée par le Conseil d’Etat en la matière[4].
Enfin, la Cour de cassation prend le soin de préciser que la référence à la valeur vénale des titres des filiales est « notamment » pertinente pour apprécier le critère de prépondérance, ce qui laisse penser que la valeur vénale d’autres actifs nécessaires à l’animation du groupe pourrait également être prise en considération dans l’appréciation de ce critère.
Nous pensons évidemment aux prêts intragroupe et aux actifs immobiliers portés par les holdings et donnés en location aux filiales pour les besoins de l’exploitation de leur activité opérationnelle.
A quelle date apprécier le respect de la condition d’activité ?
La question se pose enfin de la date à laquelle la condition d’activité doit être appréciée : au jour de la conclusion du pacte Dutreil, au jour de la transmission des titres, pendant toute la période d’engagement collectif de conservation, ou encore pendant toutes les périodes d’engagement collectif et individuel de conservation ?
Si le texte de loi n’apporte pas, en lecture directe, de réponse à cette question, l’Administration fiscale a pris parti en indiquant dans sa doctrine que la condition d’exercice de l’activité éligible doit être appréciée « pendant toute la durée de l’engagement collectif et de l’engagement individuel »[5].
Dans son arrêt du 14 octobre dernier, la Cour de cassation apporte un élément de réponse en jugeant que la condition d’activité doit être respectée « au jour du fait générateur de l’imposition », c’est-à -dire au jour de la transmission.
Est-ce à dire que la condition d’activité devrait être appréciée uniquement au jour de la transmission, et non sur toute la période de conservation des titres ? La lecture des conclusions de l’avocat général, si elles viennent à être publiées, nous en donnera peut-être la réponse.
En tout état de cause, la Cour de cassation devrait avoir prochainement l’occasion de se prononcer sur ce sujet, puisque la question a été soulevée dans une affaire portée devant la Cour d’appel de Rennes, laquelle a rendu une décision le 8 octobre 2019 favorable à l’administration[6]. Or, selon nos informations, un pourvoi a été formé contre cette décision d’appel.
Rappelons enfin à cet égard que la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger, dans le cadre d’un autre dispositif fiscal de faveur (TEPA ISF) qui posait également une condition d’exercice d’une activité opérationnelle ainsi qu’une période minimale de conservation des titres, que l’exercice continu de l’activité pendant la période de conservation des titres ne pouvait être imposé dans le silence de la loi[7]. Ce qui avait conduit le Législateur à modifier par la suite le texte de loi…
[1] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10-20140519 n° 20
[2] Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 23/01/2020, n° 435562, Bardin
[3] Cass com., 14 octobre 2020, n° 632 FS-P+B
[4] Cf. sur le régime de l’article 150-0 D ter, l’arrêt du Conseil d’État du 13 juin 2018, n° 395495, Cofices
[5] BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 §10
[6] CA Rennes 8 octobre 2019, 17/08339
[7] Cass com, 2 février 2016, 14-24441
Auteurs
Philippe Gosset , avocat counsel en droit fiscal
Isabelle Pichard, avocat en droit fiscal
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