La condamnation d’un dirigeant à une interdiction de gérer doit être motivée
Les circonstances de l’espèce étaient les suivantes : la société Siminvest, était en état de cessation des paiements et faisait « l’objet d’une enquête ordonnée par le tribunal de commerce »1. Une remontée de trésorerie avait été opérée par une des sociétés du groupe, la société PO8.1, au profit de Siminvest, ces deux sociétés ayant un dirigeant commun.
Une partie des sommes remontées correspondait au règlement de factures relatives à des prestations de services effectuées par Siminvest à la société P08.1, mais plus de 700 000 euros avaient été versés sans contrepartie, dans « l’unique intérêt de la société Siminvest ». La société P08.1 s’est alors aussi retrouvée en état de cessation des paiements. Le dirigeant commun a été poursuivi pour abus de biens sociaux. En première instance, le tribunal a relaxé le dirigeant, retenant l’idée d’intérêt de groupe. La cour d’appel a retenu la qualification de l’abus de biens sociaux, infirmant le jugement de première instance, et a condamné le dirigeant qui avait « délibérément sacrifié la société P08.1 et placé celle-ci dans l’impossibilité absolue de désintéresser ses créanciers ». Le dirigeant s’est pourvu en cassation, invoquant l’absence de caractérisation de l’élément intentionnel exigé par l’article L.241-3 4° du Code de commerce. Il critiquait également l’absence de motivation de la peine complémentaire d’interdiction de gérer de 5 ans. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi (Cass. Crim. 1er février 2017, n°15-85199).
Pour caractériser les éléments matériels constitutifs de l’abus de biens sociaux dans ce contexte de groupe de sociétés (défini comme l’ »usage contraire à l’intérêt social pour favoriser une société dans laquelle l’auteur de l’abus est intéressé ») la Cour relève que « le transfert de trésorerie a été réalisé dans l’unique intérêt de la société Siminvest »,  « sans contrepartie pour la société P08.1″ et qu’il « excédait les possibilités financières de la société P08.1 ».
Les juges de première instance avaient estimé que l’élément intentionnel faisait défaut, le transfert de trésorerie n’ayant pas été opéré de manière occulte. Ici, la Cour approuve le jugement d’appel selon lequel  « il se déduit que le prévenu a nécessairement eu conscience d’accomplir un acte contraire aux intérêts de la société PO8.1″ et valide une jurisprudence constante, selon laquelle l’absence de dissimulation n’ôte pas le caractère intentionnel d’un abus de biens sociaux1.
La solution de l’arrêt s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence « Rozenblum »2 qui a posé les critères d’appréciation de l’existence de l’intérêt de groupe pouvant justifier un concours financier : il « ne doit ni être dépourvu de contrepartie ou rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celles qui en supportent la charge ». En l’espèce, la remontée de trésorerie a eu lieu « en l’absence de convention de trésorerie […] entraînant la déconfiture » de la société P08.1 ; elle constitue un abus de biens sociaux. La décision n’est pas véritablement originale mais reste un des rares exemples de cas dans lesquels le fait justificatif de l’intérêt de groupe n’est pas retenu.
L’arrêt mérite davantage d’attention sur un second point. Le dirigeant a été condamné à titre principal à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et 30 000 euros d’amende, et à titre complémentaire, à une interdiction de gérer de 5 ans. Jusqu’alors, il était posé que « les juges répressifs disposent, quand à l’application de la peine dans les limites fixées par la loi, d’une faculté discrétionnaire dont ils ne doivent aucun compte »3. La Cour opère ici un revirement de jurisprudence remarquable : toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée. Les juges du fond sont tenus de motiver la nature, le quantum et le régime des peines prononcées « en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle » (art. 132-1 du Code pénal). En l’espèce, la cour d’appel a suffisamment motivé le prononcé de la peine complémentaire en soulignant la gravité des faits (« le prévenu a délibérément sacrifié la société »), la situation personnelle du dirigeant condamné (« ayant suivi une école de commerce », « il bénéficiait de revenus fonciers de l’ordre de 10 000 euros par mois »). Dorénavant, la condamnation d’un dirigeant à une interdiction de gérer doit être motivée et prendre en compte les circonstances de l’infraction, la personnalité de l’auteur, sa situation matérielle, familiale et sociale. En pratique, cette solution sera une arme supplémentaire pour les conseils pour contrôler la proportionnalité de la peine infligée à un dirigeant et échapper à des peines complémentaires systématiques.
Notes
1 Cass. Com., 2 avril 2014, n°13-80010
2 Cass. Crim., 4 février 1985, n°84-91581
3 Notamment Cass. Crim., 3 novembre 1955, Bull.crim.n°540
Auteurs
Benoît Provost, avocat counsel, intervenant principalement sur des opérations de consolidation et restructuration pour le compte de sociétés cotées et non cotées.
Pierre Bondu, avocat, en Corporate