Conciliation du droit à l’information par le biais du registre des sociétés et du droit à l’oubli
Depuis sa consécration, par la décision « Google Spain » de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le droit à l’oubli ne cesse de faire l’objet d’interrogations.
Ainsi, plusieurs questions préjudicielles ont été posées par la Cour de cassation italienne au sujet de l’articulation entre :
- les obligations de publicité mises en place dans le cadre des registres des sociétés, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (directive 68/151 du 9 mars 1968) ;
- et les exigences du droit à l’oubli, qui permet à un individu d’obtenir la suppression d’informations à caractère personnel le concernant.
En l’espèce, le gérant d’une société ayant fait faillite avait demandé à une chambre de commerce de rendre anonyme ou de bloquer les données qui le liaient à son ancienne société, au motif que ces informations le discréditaient et l’empêchaient de poursuivre son activité commerciale.
La CJUE a été interrogée sur le point de savoir si les États membres « pouvaient, voire devaient, permettre aux personnes physiques, de demander à l’autorité chargée de la tenue du registre des sociétés de limiter, à l’expiration d’un certain délai après la dissolution de la société concernée et sur la base d’une appréciation au cas par cas, l’accès aux données à caractère personnel les concernant, inscrites dans ce registre ».
La Cour de justice relève dans un premier temps que la directive 68/151 précitée a notamment pour but de « protéger les intérêts des tiers par rapport aux sociétés par actions et aux sociétés à responsabilité limitée, dès lors qu’elles n’offrent comme garantie à l’égard des tiers que leur patrimoine » et qu’elle ne comporte aucune précision quant au sort des données d’identification des personnes capables d’engager la société à la dissolution de cette dernière.
Malgré l’absence de délai et de précision sur l’obligation de conserver ces données à la dissolution de la société, la CJUE considère que des actes juridiques peuvent subsister après la dissolution de la société. En conséquence, compte tenu de la « multitude des scénarios possibles, il apparaît impossible d’identifier un délai unique, à compter de la dissolution d’une société à l’expiration duquel l’inscription desdites données dans le registre et leur publicité ne serait plus nécessaire » (CJUE, 9 mars 2017, C-398/15).
Dans un second temps, la CJUE met en balance le but légitime poursuivi par le registre des sociétés et le principe de respect à la vie privée auquel participe le droit à l’oubli, pour considérer qu’il n’existe aucun délai obligatoire à compter duquel les États membres devront obligatoirement supprimer ou anonymiser ces données. La CJUE précise qu’il appartiendra, le cas échéant en fonction des situations particulières et concrètes, de procéder à l’anonymisation de ces données sur demande de la personne concernée en tenant compte « du délai écoulé depuis la dissolution de la société, de l’existence éventuelle de raisons prépondérantes et légitimes qui seraient, le cas échéant, de nature à justifier exceptionnellement de limiter l’accès de tiers aux données », ce qui relèvera de l’appréciation des juridictions de renvoi en fonction de l’état du droit national.
En l’espèce, la CJUE relève néanmoins que « la seule circonstance que, prétendument les immeubles d’un complexe touristique […] ne se vendent pas en raison du fait que des acheteurs potentiels de ces immeubles ont accès à ces données dans le registre des sociétés, ne saurait suffire à constituer une telle raison, compte tenu notamment de l’intérêt légitime de ces derniers de disposer de ces informations ».
Ainsi il appartiendra aux juges du fond, et avant eux, aux responsables de traitement tenant les registres des sociétés, d’apprécier au cas par cas s’il existe des raisons prépondérantes et légitimes pour que les informations personnelles, par ailleurs peu nombreuses, puissent justifier de limiter leur accès aux tiers. La CJUE exclut ici le fait que le lien entre le nom du requérant et la situation de faillite de sa précédente société puisse constituer une telle raison prépondérante et légitime. Les autres hypothèses restent donc à déterminer par les juridictions nationales.
Auteur
Prudence Cadio, avocat, droit de la Propriété Intellectuelle et des Nouvelles Technologies