Concentrations : attention aux déclarations trompeuses lors des opérations d’acquisition
Le 18 mai 2017, la Commission européenne a infligé une amende inédite de 110 millions d’euros à Facebook en raison des informations inexactes ou dénaturées que la société avait fournies lors du rachat de WhatsApp en 2014 (Communiqué IP/17/1369).
Dans le cadre du contrôle d’une opération de concentration, la Commission peut réclamer, par simple demande ou par voie de décision, aux personnes physiques, entreprises et associations d’entreprises concernées tous les renseignements nécessaires à l’examen du dossier (Règl. n°139/2004 du 20 janvier 2004, art. 11, § 1). Les intéressées doivent alors coopérer et faire preuve de bonne volonté dans la communication des informations attendues par la Commission, indépendamment de l’incidence de celles-ci sur le résultat final de l’évaluation de l’opération.
C’est précisément sur le fondement d’un manquement à cette obligation que la Commission européenne a infligé une sanction à Facebook dans le cadre de son acquisition de WhatsApp. En effet, lors de la notification de l’opération à la Commission en 2014, la société Facebook avait informé cette dernière qu’elle ne pourrait pas établir de manière fiable la mise en correspondance automatisée entre les comptes d’utilisateurs de Facebook et ceux de WhatsApp. Pourtant, dès août 2016, WhatsApp avait mis à jour ses conditions générales d’utilisation et sa politique de confidentialité, introduisant la possibilité d’association des numéros de téléphone des utilisateurs de WhatsApp avec les profils Facebook.
En réaction, la Commission avait adressé à Facebook une communication des griefs en décembre 2016, dans laquelle elle a relevé que les employés de celle-ci avaient bien connaissance des possibilités techniques d’associer les données des comptes Facebook et WhatsApp au moment de la notification de l’acquisition. Facebook avait donc fourni des renseignements inexacts et dénaturés dans le formulaire de notification mais aussi dans la réponse à la demande de renseignements. Ces deux infractions procédurales sont, selon la Commission, d’une particulière gravité en ce qu’elles ne lui ont pas permis d’obtenir toutes les informations nécessaires à l’appréciation de l’opération qu’elle a autorisée ; et ce, même si elle avait intégré dans son examen le cas de figure écarté par Facebook et si, in fine, les éléments erronés ou dénaturés fournis n’ont pas eu d’incidence sur le résultat de la décision d’autorisation.
Or, en cas de fourniture, de façon délibérée ou par négligence, d’un renseignement inexact ou dénaturé qui serait contenu dans un mémoire, une notification, une réponse à une demande de la Commission, ou en cas de non-fourniture d’un document demandé par voie de décision, les sociétés s’exposent à une amende pouvant atteindre 1% du chiffre d’affaires total réalisé par l’entreprise concernée (Règl. n°139/2004, art. 14 § 1). La Commission peut alors moduler le montant de l’amende en tenant compte de la nature, de la gravité et de la durée de l’infraction, ainsi que des circonstances atténuantes et aggravantes (Règl. préc., art. 14 § 3). En l’espèce, la Commission a considéré que la coopération de Facebook au cours de la procédure d’infraction justifiait la fixation de l’amende à un montant de 110 millions d’euros, sanction présentée comme à la fois proportionnée et dissuasive.
La fourniture inexacte d’informations n’avait donné lieu jusqu’ici qu’à de rares décisions de sanction, toutes prises sur le fondement du Règlement n°4064/89 du 21 décembre 1989 prévoyant des règles différentes de fixation des amendes. La condamnation de Facebook constitue ainsi la première sanction de ce type d’infraction depuis l’entrée en vigueur du Règlement Concentrations du 20 janvier 2004.
Si elle reste encore – si ce n’est exceptionnelle – du moins rare en pratique, une telle décision ne doit pas manquer d’attirer l’attention des entreprises sur la nécessité de prendre au sérieux les demandes de renseignements émanant des autorités de concurrence et de s’assurer de la sincérité des informations qu’elles communiquent. Surtout, elle témoigne de l’émergence d’un contentieux du non-respect des procédures de contrôle des concentrations, récemment illustré en droit interne par la double condamnation prononcée pour gun-jumping et non-respect des engagements souscrits dans le cadre du rachat de SFR1, qui traduit clairement la volonté des autorités de concurrence de dissuader tout manquement en la matière.
Note
1 Voir Elisabeth Flaicher-Maneval : « Concentrations : les engagements ne doivent pas être pris à la légère« . Option Finance 15 mai 2016 n°1414
Concentrations : attention aux déclarations trompeuses lors des opérations d’acquisition – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 12 juin 2017