Concentrations : attendre impérativement le feu vert !
Par une décision publiée le 20 décembre 20161, l’Autorité française de la concurrence a adressé une ferme mise en garde, au travers du prononcé d’une sanction significative de 80 millions d’euros, à l’égard de pratiques dites de gun jumping, c’est-à -dire de mise en oeuvre anticipée et donc non autorisée d’opérations de concentrations.
Le rappel est net : tant que l’autorisation de l’opération n’a pas été donnée, il existe un risque qu’elle soit refusée ou abandonnée ; en outre, sauf rares cas de dérogations dûment motivées, la notification de l’opération à l’Autorité suspend la réalisation de la concentration. Dès lors, la réalisation concrète d’une opération de concentration, sous la forme notamment soit d’un transfert des actifs –et des droits attachés– de la cible, soit de l’exercice d’une influence déterminante sur tout ou partie des activités de la cible, indépendamment ou avant même tout transfert de la propriété des actifs, ne saurait intervenir avant l’autorisation. De même encore, jusqu’à la délivrance de l’autorisation, les parties ne peuvent cesser de se comporter comme des concurrents et l’acquéreur ne peut exercer en avance un contrôle de droit ou de fait sur la cible.
De telles obligations sont présentées par l’Autorité comme visant à lui garantir l’exercice effectif de son pouvoir de contrôle et à empêcher qu’une mise en oeuvre anticipée produise des effets sur les marchés considérés avant son analyse concurrentielle.
Au cas particulier, deux opérations de concentration (prise de contrôle de SFR et d’OTL par Numericable Group) avaient été autorisées après leur notification par l’Autorité en 2014. Après ces autorisations, l’Autorité a donc décidé de sanctionner un contrôle de fait par acquisition d’une influence déterminante appréciée via une grille d’analyse du caractère concentratif des pratiques reposant sur les circonstances de droit ou de fait. Seront notamment recherchés tout changement structurel, la mise en oeuvre de relations commerciales ou l’échange d’informations visant à anticiper l’opération.
En l’espèce, ont notamment été reprochées diverses interventions dans la gestion de la cible (relevant de sa politique commerciale et promotionnelle, de projets opérationnels et stratégiques en cours comme l’acquisition d’un autre opérateur, etc.) qui ont été considérées comme excédant des droits protégeant les intérêts financiers de l’acquéreur ainsi qu’un droit de contrôle exercé par l’acquéreur sur des décisions stratégiques nécessitant son approbation préalable pendant la phase de suspension.
De même, l’évolution anticipée (sous la forme de coordination ou de retard de projets) des relations commerciales entre la cible et l’acquéreur, en décalage avec la situation antérieure au rapprochement, a été mise en exergue comme un élément concentratif. Des échanges d’informations stratégiques systématiques ou ponctuels ayant pour objet ou pour effet d’anticiper l’opération ont été également constatés, concernant notamment les performances économiques, les prévisions commerciales, les prix futurs, les prochaines animations promotionnelles, les appels d’offres en cours, des chiffres d’affaires individualisés, des listes de clients et des données de coûts de la cible. L’Autorité a ici relevé qu’outre le caractère confidentiel de chaque information isolée, l’exhaustivité des données échangées avait accru la dimension sensible de chacune.
En outre, l’Autorité a précisé qu’un dispositif (au demeurant, semble-t-il, pas toujours respecté) par lequel les informations sont échangées entre les juristes d’entreprise n’est pas estimé satisfaisant, les intéressés n’étant pas considérés comme indépendants de la direction de leur entreprise.
Si l’Autorité avait déjà sanctionné des entreprises pour défaut de notification, c’est la première fois qu’elle réprime la mise en oeuvre prématurée d’une concentration, notifiée et en cours d’examen. Elle a même précisé dans son communiqué de presse que l’amende de 80 millions d’euros est inédite en France et dans le monde. Soulignons enfin que l’Autorité a considéré comme délibéré le manquement à la réglementation et que les sociétés mises en cause n’avaient contesté ni les faits ni leur qualification juridique.
Note
1 Décision n°16-D-24 du 8 novembre 2016.
Auteur
Denis Redon, avocat associé en droit douanier et droit de la concurrence, CMS Bureau Francis Lefebvre Paris
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