Compatibilité avec le marché intérieur d’un régime français d’aide au développement d’installations de production hydroélectrique
20 juin 2018
Par une décision SA.49181 (2017/N) du 11 décembre 2017, la Commission européenne a déclaré compatible avec le marché intérieur un régime d’aide notifié par la France et visant à soutenir, par des appels d’offres organisés au cours de la période 2017-2021, le développement de la filière hydraulique de taille moyenne sur le territoire métropolitain (hors espaces insulaires), soit les installations d’une puissance comprise entre 1 et 4,5 MW (à l’exclusion des stations de pompage).
L’appel d’offres qui fait l’objet du régime notifié est divisé en deux « familles » :
- la famille 1 concernera les installations nouvelles implantées sur de nouveaux sites, de puissance supérieure ou égale à 1 MW, pour une puissance maximale cumulée de 60 MW; et
- la famille 2 des installations nouvelles équipant des seuils existants, de puissance supérieure ou égale à 1 MW, pour une puissance maximale cumulée de 45 MW.
Dans le contexte de la transition énergétique et conformément aux lignes directrices de la Commission concernant les aides d’Etat à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020, influencées par les « contrats pour différence » britanniques, il s’agit de verser aux producteurs ainsi sélectionnés un complément de rémunération qui s’ajoutera au produit de la vente de leur électricité sur le marché (règle « pay as bid« ). La France avait déjà notifié des régimes d’aide sous le nouveau régime, mais dans les secteurs éolien, photovoltaïque et géothermique.
Le Gouvernement a indiqué à la Commission européenne avoir évalué le coût de la mesure à 29,4 millions d’euros par an, soit 588 millions d’euros sur 20 ans, durée des contrats de complément de rémunération qui seront conclus par EDF-OA avec les lauréats de ces appels d’offres. Il a pris pour hypothèse un prix spot de marché à 40 €/MWh, un volume moyen de production de 4 000 heures par an et un tarif moyen de 110 €/MWh (soit un montant moyen de complément de rémunération de 70 €/MWh).
La décision est très classique et l’on ne peut que se féliciter de voir la France notifier désormais ces régimes d’aide aux moyens de production d’électricité à partir de sources « renouvelables » avant de les mettre en œuvre.
On se limitera à souligner quatre aspects.
En premier lieu, la Commission européenne prend acte du nouveau circuit de financement de ces aides, à partir du budget de l’Etat. Ces dépenses seront financées en effet à partir du compte d’affectation spéciale « Transition énergétique », alimenté depuis le 1er janvier 2017 par une fraction de la taxe intérieure sur les houilles, les lignites et les cokes et surtout une fraction du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers et assimilés : c’est désormais l’automobiliste dont le véhicule consomme de l’essence ou du gazole qui finance les « énergies renouvelables » et non plus le consommateur d’électricité. Il existe certes toujours une « CSPE » (en réalité l’ancienne TICFE, bizarrement rebaptisée CSPE), mais elle alimente un autre compte d’affectation spéciale au sein du budget de l’Etat, qui finance notamment les surcoûts de production dans les territoires ultramarins et les systèmes électriques insulaires, ou encore le chèque énergie. Curieusement, on lit ou l’on entend encore très souvent dire que le soutien aux « renouvelables » repose sur « la CSPE ».
En deuxième lieu, le Gouvernement a choisi d’étendre à la production hydroélectrique la prime aux « investissements participatifs » (égale ici à 3 €/MWh) pour les projets des collectivités territoriales et pour ceux des sociétés par actions ou coopératives dont au moins 40% du capital est détenu, distinctement ou conjointement, par vingt personnes physiques domiciliées dans le département d’implantation du projet ou dans les départements limitrophes, une ou plusieurs collectivités territoriales, ou encore des groupements de collectivités, ainsi que ceux dont 40% du financement est apporté par au moins vingt personnes physiques ou par des collectivités territoriales. Ce dispositif est déjà utilisé pour les projets éoliens et photovoltaïques.
L’idée du Gouvernement est que l’acceptabilité locale et donc les chances de succès de ces projets en seront accrues. La France a en effet souligné auprès de la Commission européenne que les petites installations hydroélectriques suscitent souvent l’hostilité de certaines associations locales de protection de l’environnement ou de pêcheurs. Ce dispositif de prime aux investissements participatifs reste toutefois, de manière générale, en phase expérimentale et la France s’est engagée à cette occasion à ce qu’il fasse l’objet d’une évaluation avant la fin de 2018.
En troisième lieu, deux critères seront utilisés pour sélectionner les lauréats : le prix (sous réserve de prix-plafonds : 120 €/MWh pour la famille 1 et 130 €/MWh pour la famille 2) et la qualité environnementale des projets, établie à partir d’un barème. Le préfet de région pourra en outre déclarer une offre inacceptable lorsqu’il sera manifeste que l’installation projetée ne pourra pas bénéficier de l’autorisation environnementale mentionnée à l’article L.181-1 du Code de l’environnement. Ceci dit, l’aléa administratif et contentieux demeurera pour ces projets, qui devront ensuite obtenir chacune des autorisations requises par les diverses législations applicables et qui seront donc confrontés à la concurrence des divers usages de l’eau et aux multiples réticences qui surgissent désormais face à tout aménagement d’un cours d’eau. Les plus anciens riverains de la Durance pourraient pourtant, comme bien d’autres, rappeler les dégâts que provoquait fréquemment la rivière avant que les hydroélectriciens n’en stabilisent le lit et n’en régulent le débit. Les avantages relatifs de la production hydroélectrique seraient d’autant plus nets si l’on prenait en considération les externalités liées à la problématique des métaux et des « terres rares ».
On relèvera en dernier lieu que la France a exposé à la Commission européenne, lors de cette notification et sur un mode très concret, les raisons de son désaccord avec la logique des appels d’offres « technologiquement neutres » qui prévaut à Bruxelles. En effet, la Commission a clairement mentionné dans ses lignes directrices précitées sa préférence pour ces appels d’offres, qui porteraient moins atteinte, selon elle, à la concurrence. Elle admet toutefois assez facilement que l’on s’en écarte s’il existe des raisons objectives pour ce faire. Au cas d’espèce, la France a expliqué que les installations concernées ont des coûts nettement supérieurs à ceux d’autres technologies renouvelables : dans des appels d’offres précédents, les lauréats ont proposé des prix situés entre 93 et 123 €/MWh pour des installations dans de nouveaux sites, alors que les lauréats des appels d’offres récents sur des ouvrages photovoltaïques proposaient des prix compris entre 85 et 95 €/MWh pour les installations sur bâtiments et entre 79 et 105 €/MWh pour les installations sur ombrières, tandis que les grandes installations au sol ont des coûts encore inférieurs ; dans l’éolien, le cahier des charges du dernier appel d’offres a fixé un plafond de prix à 74,8 €/MWh. En conséquence, dans un appel d’offres technologiquement neutre, les projets hydroélectriques seraient sans doute systématiquement évincés. Au demeurant, les critères environnementaux utilisés pour la notation des offres hydroélectriques sont nécessairement définis de façon très spécifique, puisqu’ils concernent essentiellement la continuité écologique des cours d’eau. La Commission a admis ce raisonnement, comme elle l’avait fait pour la technologie géothermique, qui n’est pas une technologie suffisamment mature pour être mise en concurrence avec d’autres sources d’énergie renouvelables.
Auteurs
Christophe Barthélemy, avocat associé, droit de l’énergie et droit public
Claire Vannini, avocat associé, droit de la concurrence national et européen
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