Comment qualifier des titres souscrits lors d’une recapitalisation avant cession ? Le trouble persiste…
À propos de CAA Paris, 23 novembre 2022, no 21PA05210, Sté Agapes
Par sa décision Crédit Agricole , le Conseil d’État avait admis qu’une société peut comptabiliser des titres d’une même filiale à la fois en titres de participation et en titres de placement sur le fondement de la réglementation comptable bancaire.
Cette jurisprudence est-elle transposable aux entreprises qui relèvent du plan comptable général ? L’arrêt Agapes rendu le 23 novembre 2022 par la cour administrative d’appel de Paris maintient la porte entrouverte.
À l’automne 2013, la société Flunch a recapitalisé deux de ses filiales avant d’en liquider une, puis d’absorber l’autre moins de deux ans après. Elle a alors déduit des moins-values à court terme sur titres de participation de son résultat imposable 2015.
À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration a remis en cause la déduction de la partie desdites moins-values afférentes aux titres émis lors des augmentations de capital sur le fondement du dispositif anti-abus du 2 bis de l’article 39 quaterdecies du CGI.
Après le rejet de sa requête par le tribunal administratif de Montreuil, la société Agapes, tête du groupe d’intégration fiscale dont la société Flunch est membre, a persisté à faire valoir devant le juge d’appel que les moins-values litigieuses n’entraient pas dans le champ d’application de ces dispositions aux motifs :
– d’une part, que leur lettre vise expressément les moins-values résultant de la cession des titres de participation, et non pas des opérations d’absorption ou de liquidation ; et,
– d’autre part, que les moins-values litigieuses concernaient en fait des titres de placement.
La CAA de Paris a brièvement écarté le premier moyen en considérant que les opérations de fusion ou de liquidation sont assimilables à des opérations de cession dès lors qu’elles se traduisent par un transfert de l’actif social de la société absorbée ou liquidée. Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du juge de l’impôt retenant une interprétation extensive de la notion de cession d’éléments d’actifs.
La Cour a ensuite répondu par la négative, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, à la question plus intéressante de savoir si les titres issus des recapitalisations avant cession, pouvaient être qualifiés de titres de placement alors que les titres de la même société acquis antérieurement constituaient des titres de participation.
Bien que la motivation de cette solution apparaisse discutable, cet arrêt ne semble a priori opposer aucun obstacle au principe d’une dissociation de la comptabilisation des titres sur le fondement du Plan comptable général (PCG).
1. Selon la CAA de Paris, les titres issus des augmentations de capital des filiales constituent des titres de participation compte tenu des circonstances particulières de l’espèce
L’article 219 du CGI adopte une connexion fiscalo-comptable totale pour l’identification des titres de participation puisqu’il vise expressément « les titres de participation revêtant ce caractère sur le plan comptable ». Reprenant la lettre du PCG de 1982, le Conseil d’État définit les titres de participation sur le plan comptable comme « ceux dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise, notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle ». Il juge de manière constante « qu’une telle utilité peut notamment être caractérisée si les conditions d’achat des titres en cause révèlent l’intention de l’acquéreur d’exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d’exercer une telle influence ».
Il résulte de ces principes, rappelés par la CAA de Paris, que l’identification des titres de participation s’appuie sur la réunion de deux critères appréciés lors de l’acquisition des titres : (i) l’entreprise doit avoir acquis les titres pour les posséder durablement ; et (ii) la détention des titres doit être utile à son activité.
De manière inédite, la Cour a ensuite considéré que les titres émis ultérieurement par la même société ne peuvent recevoir une qualification comptable différente dès lors qu’à la date de leur souscription l’acquéreur entend conserver le contrôle de la société jusqu’à sa disparition, par absorption ou par liquidation, ou jusqu’à la cession du contrôle à un tiers.
Appliquant cette analyse à l’espèce, la Cour a jugé que la requérante n’était pas fondée à se prévaloir d’une erreur comptable dès lors (i) que les titres litigieux avaient été comptabilisés dès l’origine en tant que titres de participation, et (ii) que la société mère avait entendu conserver le contrôle de ses filiales à la suite des recapitalisations, peu important que ce contrôle aboutisse à leur absorption ou liquidation.
Cette solution rejoint en un sens la position exprimée par l’administration dans sa doctrine selon laquelle dès lors qu’une entreprise détient des titres de participation dans une société, alors toutes les acquisitions ultérieures de titres doivent être qualifiées de titres de participations.
2. La méthode de qualification des titres employée par la Cour suscite des interrogations
Au cas particulier, les motifs de l’arrêt sèment un certain trouble au regard de la méthode de qualification des titres. Les observations suivantes n’ont donc pas vocation à se prononcer sur le bien-fondé de la solution retenue par la CAA, mais plutôt à s’interroger sur le raisonnement qui devrait être tenu par le juge fiscal et sur la pertinence de son appréciation des critères comptables de qualification de titres.
Concernant les étapes du raisonnement, le Conseil d’État a considéré dans sa décision Crédit Agricole précitée, en s’appuyant sur un avis de l’Autorité des normes comptables, que dans la mesure où les titres d’une même société peuvent figurer simultanément dans différentes catégories comptables, conformément à la réglementation comptable applicable au secteur bancaire, il convient alors de déterminer lors de chaque acquisition la catégorie comptable dont ces titres relèvent au regard des définitions précisées par cette réglementation.
Dans ces conditions, la Cour n’aurait-elle pas dû s’interroger ab initio sur la transposition de la décision Crédit Agricole aux entreprises non bancaires : c’est-à -dire déterminer si l’absence de précisions par le PCG, similaires à celle figurant dans la règlementation comptable applicable au secteur bancaire, devait nécessairement conduire à considérer que l’acquéreur a une intention unique liée à l’utilisation procurée par les titres d’une même société et pas une intention propre à chaque acquisition ?
En cas de réponse positive, on pourrait alors se demander si une société détenant des titres de participation peut qualifier des titres nouvellement acquis de cette même société en titres de placement en démontrant que l’augmentation de capital s’accompagne d’un changement d’intention de l’acquéreur remettant en cause l’utilité de l’intégralité de la participation. Outre que les cas dans lesquels cette faculté serait ouverte ne sont pas aisés à identifier, cela signifie en pratique que la société devrait transférer les titres initiaux dans la même catégorie que celle retenue pour les titres issus de l’apport, avec les conséquences fiscales qui en découlent.
À l’inverse, dans l’hypothèse où le PCG permettrait de considérer que la société a une intention propre à chaque acquisition, les critères retenus par la CAA pour qualifier les nouveaux titres n’apparaissent pas en ligne avec ceux retenus par le Conseil d’État, qui confirme que l’utilité des titres à l’activité de l’entreprise est le critère essentiel, l’utilité ne se limitant d’ailleurs pas à l’existence d’une influence ou d’un contrôle sur la filiale.
Or, il apparaît que la Cour s’est uniquement concentrée sur le critère du contrôle pour se prononcer sur la classification comptable des titres. En effet, les motifs de l’arrêt semblent faire prévaloir le contrôle des filiales, antérieurement et postérieurement aux augmentations de capital, sur l’intention de la société mère, dès leur émission, d’annuler les titres dans les 18 mois. Ce faisant, cet arrêt ne nous paraît pas témoigner d’un suivi scrupuleux des règles comptables pour qualifier les titres conformément à la jurisprudence du Conseil d’État. Sans préjuger de l’exactitude de la solution retenue, on peut se demander s’il n’aurait pas été plus rigoureux de vérifier si le critère d’utilité était rempli.
Plus spécifiquement, on peut regretter que la Cour ne s’interroge pas sur la véritable utilité d’une détention de titres dont on sait dès leur acquisition qu’ils ont vocation à être cédés.
On peut enfin regretter que la Cour ne se soit pas expressément prononcée sur l’appréciation du critère de possession durable à la date des augmentations de capital préalables à la cession des titres litigieux. La solution aurait-elle été la même si les annulations étaient intervenues moins d’un an après les recapitalisations ?
3. Un dénouement prochain sur la possibilité ou non de classer différemment les titres d’une même société
Si certains auteurs ont pu estimer que la décision Crédit Agricole devait être cantonnée aux entreprises du secteur bancaire, certains auteurs ont à l’inverse avancé des arguments militant pour que le classement comptable des titres soit déterminé par l’intention à l’origine de chaque acquisition et que le classement des titres initiaux ne prédétermine pas le classement des titres acquis ultérieurement. Dans son arrêt, la CAA de Paris semble avoir adhéré à cette dernière analyse, mais la messe n’est probablement pas encore dite.
Compte tenu des nombreux enjeux fiscaux attachés à la notion de titre de participation, il faut espérer que le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi contre cet arrêt, se prononce enfin sur la transposition ou non de la solution Crédit Agricole aux entreprises qui relèvent du PCG. À cet égard, il serait souhaitable que le juge fiscal interroge l’Autorité des normes comptables via la procédure d’amicus curiae afin d’assurer la sécurité juridique des opérations.
Par Sarah Dardour-Attali, avocate associée, et Adrien Merchadier, avocat, CMS Francis Lefebvre
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