Comment définir le sens d’une fusion ?
Le sens d’une fusion relève de l’appréciation souveraine des parties à l’opération. Ces dernières doivent se livrer à un examen attentif, au cas par cas, des circonstances précises dans lesquelles l’opération doit intervenir avant de déterminer le sens à retenir. Quelques pistes de réflexion sont ci-après exprimées sur cette délicate question pratique.
Fusion entre une société mère et sa filiale
- L’absorption de la filiale par la mère est naturellement privilégiée
L’absorption de la filiale par la mère présente un intérêt évident lorsqu’elle permet la mise en oeuvre du régime simplifié prévu par l’article L. 236-11 du Code de commerce, c’est-à-dire lorsque la filiale est détenue à 100%. Des précautions restent cependant à prendre :
- si l’absorbée a émis des valeurs mobilières donnant accès au capital : l’obligation de désigner un commissaire aux apports subsistera. Le nombre de titres de capital de l’absorbante auquel les porteurs des valeurs mobilières pourront prétendre sera déterminé sur avis du commissaire aux apports (article L. 228-101 al.2) ;
- si l’absorbée a émis des obligations : il y aura lieu de réunir les obligataires en assemblée générale pour statuer sur la fusion ou, à défaut, de leur offrir le remboursement de leurs titres ;
- les associés de la mère absorbante réunissant au moins 5% du capital peuvent demander en justice la désignation d’un mandataire aux fins de convoquer l’assemblée générale extraordinaire (AGE) pour qu’elle se prononce sur la fusion. Aucun délai légal n’est prévu pour procéder à cette demande. En pratique, des problèmes de calendrier peuvent surgir si l’opération est engagée en fin d’exercice (intérêt, dans ce cas, de convoquer l’AGE de l’absorbante en toute occurrence).
Lorsque le régime simplifié ne s’applique pas, l’opération s’organise, en application de l’article L. 236-3 II du Code de commerce, dans le cadre d’une fusion-renonciation puisque la mère absorbante ne peut émettre de nouveaux titres que pour rémunérer les associés minoritaires de la filiale absorbée.
- Une filiale peut-elle absorber sa mère ?
Dans le patrimoine transmis par la mère absorbée, la filiale absorbante va recueillir ses propres titres. L’interdiction édictée par l’article L. 236-3 II susvisé ne s’applique pas dans ce cas. Il n’y a donc pas d’obstacle de principe à la réalisation de l’opération dans ce sens. En conséquence :
- si l’absorbante est une société non cotée : elle augmente normalement son capital social puis procède à une réduction de capital en vue d’annuler ses propres titres inclus dans le patrimoine de l’absorbée. Le plus souvent, l’absorbante n’a aucun intérêt à conserver ses propres titres ; toutefois, si l’absorbante est une société par actions, et si elle le désire, elle peut décider de conserver ces actions en portefeuille à condition qu’elle ne possède pas plus de 10% de son capital. Dans le cas contraire, elle sera tenue de céder les actions excédentaires ou de les annuler dans le délai de deux ans après la réalisation de la fusion ;
- si l’absorbante est une société cotée : elle pourra conserver ses propres titres s’ils n’excèdent pas 10% du capital social.
En pratique, l’absorption d’une société mère par sa filiale sera privilégiée lorsque la filiale absorbante est une société opérationnelle, de plein exercice, qui absorbe sa mère non active (holding) en raison de la lourdeur administrative et des difficultés d’ordre juridique susceptibles de résulter du choix de la fusion en sens inverse (problème du transfert de marchés, des contrats intuitu personæ, impact sur le personnel, sort des baux et des cautions dont la filiale est bénéficiaire, etc.). Au cas par cas, il conviendra néanmoins d’examiner le transfert des différents passifs de la mère absorbée (emprunts bancaires notamment) de façon à éviter toute exigibilité anticipée d’une créance à l’occasion de la fusion. De même, l’absorption de la société mère par sa filiale sera privilégiée si ladite filiale est la seule dont les actions sont inscrites aux négociations sur un marché.
- La définition du sens d’une fusion peut être dictée par diverses contraintes spécifiques
Au moment du choix du sens de la fusion, une contrainte peut tenir à l’existence d’immeubles dans le patrimoine de la société absorbée. L’intervention d’un notaire est alors obligatoire pour les besoins de la formalité de la publicité foncière à l’effet d’inscrire les immeubles au nom de l’absorbante. Cette contrainte ne doit pas être omise puisqu’elle entraîne un coût supplémentaire (acquittement de la contribution de sécurité foncière de 0,10% et émoluments du notaire).
Lorsque l’absorbante revêt la forme d’une société par actions simplifiée et en raison des particularités liées à cette forme sociale, la fusion doit être décidée au sein de l’absorbée par tous les associés/actionnaires statuant à l’unanimité (Cass. com., 19-12-2006, n°1497). De même, si l’absorbante est une société en nom collectif (SNC), les associés de la société absorbée doivent approuver la fusion à l’unanimité puisqu’ils deviennent associés en nom de la SNC absorbante. A ce titre, ils encourent une responsabilité indéfinie et solidaire pour le paiement des dettes sociales. Lors du choix du sens de la fusion, ces contraintes de forme sociale doivent être sérieusement examinées à l’effet d’appréhender leur faisabilité sur le plan opérationnel.
Une société déficitaire peut-elle absorber une société bénéficiaire ?
L’administration fiscale s’estime fondée à invoquer l’abus de droit pour s’opposer à l’absorption d’une société bénéficiaire par une société déficitaire lorsque l’opération apparaît « inspirée par la recherche d’une compensation entre les bénéfices et les pertes respectifs des deux entreprises en vue de faire échapper à l’impôt les bénéfices de la société absorbée ou apporteuse » (BOI-IS-DEF-10-10 n°260, 24 novembre 2014).
Le contrôle de l’abus de droit est opéré au cas par cas par la jurisprudence. Le Conseil d’Etat (arrêt Auriège du 21 mars 1986, n°53002) puis la cour administrative d’appel de Paris (arrêt SA Décorative Ouest du 18 juin 2007, n°06-1941) ont considéré que l’intérêt économique avéré d’une fusion est suffisant pour écarter l’abus de droit fondé sur l’intérêt fiscal évident du sens retenu pour la réaliser. Demeurent toutefois critiquables les opérations ne présentant aucun intérêt économique, telle la fusion de deux sociétés n’ayant plus d’activité (CE, 11 avril 2014, n°352999 Garnier Choiseul Holding).
Au surplus, l’élargissement significatif de la notion de «changement d’activité» consécutif à l’introduction dans le Code général des impôts de critères économiques rigoureux limite les hypothèses dans lesquelles l’absorption de la bénéficiaire par la déficitaire permet de conserver l’usage des déficits.
Lorsqu’une fusion caractérise un changement d’activité de l’absorbante, quel qu’en soit le sens (cas où les deux sociétés sont de tailles relativement similaires), seule l’absorption de la déficitaire par la bénéficiaire permet, sur agrément, de conserver l’usage des déficits. Il arrive toutefois que l’absorption de la société bénéficiaire conserve un intérêt fiscal évident. Tel est le cas lorsque la société déficitaire est à la tête d’un groupe intégré disposant de déficits d’ensemble. En effet, un changement d’activité de la tête de groupe n’a pas d’impact sur le report des déficits d’ensemble (seuls sont perdus les éventuels déficits propres antérieurs à l’intégration) alors qu’inversement, le transfert sur agrément des déficits d’ensemble relève d’une procédure complexe et présente des risques de déperdition quand une partie de ces déficits provient de filiales holdings ou immobilières
L’absorption de la société bénéficiaire par la mère intégrante sera alors privilégiée mais il conviendra ici d’être en mesure de justifier que la fusion présente un intérêt économique.
Auteurs
Christophe Le Camus, avocat associé en fiscalité directe.
Chantal Jordan, avocat counsel en droit des sociétés et en droit boursier