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Co-emploi : condamnation solidaire de la société-mère, exceptionnelle mais pas impossible

Co-emploi : condamnation solidaire de la société-mère, exceptionnelle mais pas impossible

Par trois arrêts du 6 juillet 2016, la Cour de cassation illustre la difficulté qu’il peut y avoir -dans le cadre d’un contentieux initié à la suite de licenciements économiques- à tracer la ligne entre le fonctionnement coordonné «acceptable» au sein d’un groupe et l’immixtion « anormale » susceptible d’entraîner une condamnation solidaire de la société-mère et de sa filiale pour co-emploi.

Co-emploi, rappel d’une notion jurisprudentielle controversée

Le co-emploi, qui peut évidemment être caractérisé lorsqu’un lien de subordination existe entre un salarié et deux entités distinctes, peut également résulter de l’immixtion d’une société-mère dans la gestion de sa filiale. Par un arrêt du 19 juin 2007, la Cour de cassation a, pour caractériser cette seconde forme de co-emploi, posé la condition de la «confusion d’intérêts d’activité et de direction». Cette notion a été très critiquée par la doctrine et par les praticiens qui lui ont reproché notamment de ne pas prendre en compte la réalité des relations intra-groupe. La Cour de cassation a heureusement apporté des précisions utiles dans un arrêt du 2 juillet 2014 (arrêt «Molex»). Elle a ainsi posé le principe suivant : «une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartement à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière». Plus pragmatique, cette nouvelle définition n’en est pas moins délicate d’application. Les trois arrêts du 6 juillet 2016 en fournissent l’illustration.

La Cour de cassation confirme son appréciation restrictive du co-emploi

En 2015, la Cour de cassation soulignait que «la notion de co-emploi ne peut être mobilisée que pour sanctionner une anormalité dans les rapports sociétaires et qu’elle ne doit donc être qu’exceptionnellement reconnue» (Mensuel de droit du travail n°71, décembre 2015).

C’est dans la droite ligne de cette position qu’elle a tranché deux des trois espèces soumises à son contrôle le 6 juillet dernier.

Dans le plus médiatique des deux dossiers, celui concernant le groupe Continental, la cour d’appel d’Amiens avait donné raison aux salariés licenciés à la suite de la fermeture d’un site de production de pneumatique pour véhicule de tourisme exploité à Clairoix (60). Elle avait considéré que leur licenciement était sans cause réelle et sérieuse et que leur ancien employeur et la société-mère allemande (Continental AG) devaient être condamnés solidairement à payer les condamnations.

Dans la seconde affaire, un directeur d’usine au sein de la société Proma France avait été licencié pour motif économique par le liquidateur judiciaire et contestait son licenciement en tentant de mettre en cause la société-mère italienne en tant que «co-employeur».

Dans chacun de ces cas, la Cour de cassation n’a pas suivi les Cours d’appel et a considéré que les critères du co-emploi posés dans l’arrêt Molex de 2014 n’étaient pas réunis.

Ces deux arrêts apportent des précisions utiles sur ce que la Cour de cassation considère comme des rapports «normaux» entre une filiale et sa société-mère. Les éléments suivants sont ainsi insuffisants pour que soit constatée une situation de co-emploi :

  • dirigeants communs (les dirigeants de la filiale provenaient du groupe et agissaient en étroite collaboration avec la société-mère) ;
  • détermination de la stratégie du groupe par la société-mère ;
    impact sur la filiale de la stratégie fixée par la société-mère ;
  • engagement financier de la société-mère (la société-mère peut s’engager à prendre en charge le financement d’une partie du plan de sauvegarde de l’emploi de sa filiale).

La Cour de cassation semble ainsi vouloir prendre en compte la réalité des groupes : il est en effet très exceptionnel que les filiales soient totalement indépendantes économiquement, socialement et stratégiquement.

Pour autant le risque de condamnation de la société-mère pour co-emploi existe toujours

La Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler le même jour que, bien que circonscrite, la notion de co-emploi demeurait d’actualité.

Dans cette troisième affaire, la société 3 Suisses France avait fermé ses espaces boutiques et licencié l’ensemble du personnel qui y travaillait. Une partie des salariés concernés ont contesté leur licenciement sollicitant, eux-aussi, la condamnation solidaire de la société-mère et de la société «grand-mère» de leur ancien employeur.

Cette fois, la Cour de cassation donne raison à la cour d’appel de Douai qui a caractérisé, par la technique du faisceau d’indices, une confusion totale entre les sociétés et une réelle perte des prérogatives de la filiale. Il a été considéré que les critères du co-emploi étaient réunis après que les éléments suivants ont été relevés :

  • les services support (équipes informatiques, comptables et ressources humaines) avaient été transférés dans la société-mère, ce qui avait conduit à une immixtion de cette société dans la gestion économique et sociale de la filiale, surtout en matière de formation, de mobilité et de recrutement ;
  • le directeur des ressources humaines de la société-mère disposait d’une délégation de pouvoir permanente et générale pour agir dans toutes les sociétés du groupe relevant de son domaine, dont la filiale ;
  • le recrutement était centralisé ;
  • la société-mère prenait en charge tous les problèmes contractuels, administratifs et financiers rencontrés pas la filiale au moyen de son service comptabilité client et bancaire ;
  • le service juridique de la société-mère avait substitué la filiale dans des démarches auprès du parquet à l’occasion de poursuites pénales engagées à l’encontre d’anciens salariés et avait dénoncé des contrats au nom de ladite société.

Ainsi, en réalité, la filiale constituait une simple «business unit» du groupe et n’avait aucune autonomie.

La Cour de cassation nous rappelle ici que la notion de co-emploi n’est pas, pour l’heure, vouée à disparaître. Il est donc essentiel pour les groupes de sociétés de rester vigilants afin de ne pas franchir la ligne entre «l’anormalité» entre collaboration intra-groupe et perte d’autonomie décisionnelle.

Auteur

Emilie Bourguignon, avocat en droit social.

Co-emploi : condamnation solidaire de la société-mère, exceptionnelle mais pas impossible – Article paru dans Les Echos Business le 26 septembre 2016
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