Choc de simplification : de nouvelles mesures fiscales bienvenues, mais limitées
Certaines promesses nées de la loi sur la simplification de la vie des entreprises ont été concrétisées par le gouvernement au début du mois de juin. En matière fiscale, le nouveau train de mesures contient des dispositions dont il faut saluer la portée, tout en en relativisant l’ampleur.
Le gouvernement fait durer le plaisir du «choc de simplification», selon les termes qu’il a choisis. La loi n°2014-1545 du 20 décembre 2014 «relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives» avait prévu un certain nombre de mesures et avait habilité le gouvernement à agir par voie d’ordonnance pour poursuivre la simplification.
Le 1er juin dernier, 52 nouvelles mesures ont été annoncées. Parmi celles-ci, une dizaine de mesures spécifiquement fiscales ont été retenues et n’ont pas tardé à trouver une traduction concrète puisqu’elles ont fait l’objet de l’ordonnance n°2015-681 du 18 juin 2015, publiée au Journal Officiel du 19, et entrée en vigueur le 20.
Un certain nombre de ces mesures, d’une importance mesurée, aménagent des modalités de déclaration ou de paiement et s’appliqueront à compter du 1er janvier 2016. On peut noter, à titre d’exemple, le passage d’un rythme mensuel à un rythme trimestriel pour les déclarations et paiements de retenues à la source sur certains revenus versés à des non-résidents.
Les deux mesures les plus significatives concernent la déclaration des revenus mobiliers (imprimé n°2561 dit «IFU») et l’état de suivi des plus-values en sursis d’imposition, et s’appliquent plus spécifiquement aux entités soumises à l’impôt sur les sociétés :
- suppression de l’obligation de mentionner sur l’IFU les distributions à l’intérieur d’un groupe fiscalement intégré pour les distributions mises en paiement à compter du 1er janvier 2015 ;
- suppression de l’obligation, en cas de fusion, pour la société absorbante, de mentionner sur l’état de suivi des plus-values en sursis d’imposition la valeur du mali technique de fusion, pour les états de suivi joints aux déclarations de résultat des exercices clos à compter du 20 juin 2015.
Dans l’un comme dans l’autre cas, la mesure aura pour effet d’alléger les obligations déclaratives des entreprises, mais aussi et surtout de leur éviter l’application d’amendes potentiellement substantielles appliquées à des infractions qui non seulement étaient bénignes, mais en outre, dans la plupart des cas, présentaient un enjeu très relatif pour les finances publiques et ne privaient pas l’administration de ses moyens de contrôle.
IFU : une simplification logique
La simplification concernant l’IFU est, à cet égard, la plus emblématique. L’IFU, déclaration à la charge des personnes versant des revenus mobiliers à des tiers (dividendes, intérêts notamment), est destiné à permettre à l’administration de s’assurer que les bénéficiaires les ont bien compris dans leur bénéfice ou revenu global soumis à l’impôt. Il est prioritairement conçu pour les déclarations par les banques des revenus financiers perçus par leurs clients, particuliers notamment. Son champ d’application est néanmoins très large puisqu’il concerne en pratique, à quelques exceptions près, toutes les personnes physiques et morales qui paient des revenus mobiliers, quelle que soit l’identité du bénéficiaire. Les dividendes ou intérêts versés entre sociétés sont ainsi soumis à cette obligation alors même que ces revenus peuvent difficilement ne pas se retrouver dans les comptabilités des sociétés concernées, et sont, concernant les dividendes, souvent exonérés ou quasi-exonérés d’impôt sur les sociétés.
Cette obligation déclarative n’aurait pas autant fait parler d’elle si elle n’était pas assortie d’une sanction qui peut prendre des proportions considérables : en cas d’oubli, le débiteur des revenus s’expose en effet à une amende égale à 50% des sommes non mentionnées.
Etat de suivi : une simplification appréciable
L’état de suivi des plus-values en sursis d’imposition a, quant à lui, un champ d’application plus spécifique puisqu’il ne trouve à s’appliquer qu’à la suite de certaines opérations de restructurations (fusions, scissions, apports…) placées sous un régime de neutralité fiscale. Doivent y figurer les montants de toutes les immobilisations, amortissables ou non amortissables, qui sont affectées d’une plus-value ou d’une moins-value placée en sursis d’imposition. Pour les restructurations réalisées depuis le 1er janvier 2005, la valeur du mali technique devait également être mentionnée sur cet état.
Un mali technique peut être constaté en cas de fusion entre sociétés apparentées en raison de l’annulation de la participation de la société absorbante dans la société absorbée, lorsque cette annulation dégage une perte comptable (résultant de la différence entre le prix de revient des titres annulés et la valeur comptable des actifs transmis à l’absorbante) qui n’est pas représentative d’une perte réelle. C’est notamment souvent le cas lorsque l’opération est réalisée sur la base des valeurs nettes comptables des actifs transmis, que les actifs ont une valeur comptable faible pour avoir été créés ou acquis depuis longtemps par l’entreprise absorbée, et que les titres annulés ont en revanche été acquis plus récemment par la société absorbante, pour un prix déterminé sur la base de la valeur réelle des actifs.
Ce mali technique doit être inscrit à l’actif de la société absorbante en tant qu’immobilisation incorporelle et il doit être explicitement mentionné dans l’annexe aux comptes pour y être affecté (extra-comptablement) aux actifs porteurs de plus-values latentes qui sont reçus par l’absorbante à l’occasion de l’opération. Il a une valeur fiscale nulle et doit être sorti de l’actif (générant une perte fiscale non déductible) en même temps que les actifs auxquels il est affecté.
En principe, ce mali peut donc difficilement échapper à la vigilance de l’administration qui a tout loisir, à la simple lecture de la comptabilité, de s’interroger sur son origine et son régime. Pour autant, l’absence de mention du mali sur l’état de suivi exposait jusqu’à présent les sociétés à une amende égale à 5% de son montant. Là encore, selon les sommes en jeu, l’amende pouvait représenter une pénalisation très significative, pour une faute n’ayant généré aucun préjudice pour le Trésor Public.
La suppression de risques réels pour les entreprises
Depuis quelques années, eu égard à l’état des finances publiques et dans l’objectif de poursuivre plus systématiquement les manquements à la loi fiscale, les contrôles fiscaux se sont durcis et l’administration s’est intéressée de plus près aux obligations formelles des entreprises, notamment lorsqu’elles sont assorties de sanctions potentiellement significatives.
L’attention des entreprises pour ces formulaires, dont la raison d’être est souvent mal comprise, étant parfois insuffisante, les cas d’application des amendes se sont multipliés et ont largement occupé les services financiers des entreprises concernées et leurs conseils, mais également les services de contrôle de l’administration, obligés de gérer des contestations vives contre des sanctions largement disproportionnées et de procéder à des remises plus ou moins larges.
Immanquablement, le juge a fini par être saisi de la question. Malheureusement, aucun secours n’est venu des plus hautes juridictions qui ont été amenées à se prononcer. Dès 2008, le Conseil d’Etat estimait que le fait qu’une amende soit appliquée à un taux unique potentiellement important, et que le juge ne puisse pas en moduler l’application, n’était pas contraire à l’article 6, 1 de la convention européenne des droits de l’Homme (CE 27 juin 2008 n°301343, 8e et 3e s.-s., Sté Segame). Dans la même affaire et dans une décision du 7 juin 2012 (aff. 4837/06, 5e sect., Segame c/ France), la Cour Européenne des Droits de l’Homme validait cette position et par conséquent l’essentiel du système français d’amendes fiscales. Quelques semaines plus tard, le Conseil Constitutionnel a fini par considérer qu’eu égard, notamment, au but de lutte contre la fraude fiscale poursuivi par le législateur, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, l’amende de 50% des sommes déclarées, applicable en cas de manquement à la déclaration IFU, n’était pas manifestement disproportionnée et ne portait pas atteinte aux principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation des peines qui découlent de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (décision du 20 juillet 2012 n°2012-267 QPC, Irène L.).
La suppression des obligations déclaratives afférentes aux dividendes distribués au sein d’un groupe fiscal ou au mali de fusion constitue donc un progrès certain vers une application plus pertinente de ce type de sanction, et doit être saluée.
Une simplification qui gagnerait à être prolongée
Il est néanmoins possible de regretter que le « choc » de simplification ait été aussi ciblé, concernant notamment l’IFU. La suppression aurait pu être étendue, par exemple, aux intérêts versés entre sociétés d’un même groupe fiscal.
A l’avenir, une faculté de régularisation élargie sans sanction pourrait être prévue, à l’image de celle qui existe pour la déclaration des honoraires et commissions (imprimé DAS 2). L’obligation de déclaration mériterait également d’être revue pour les intérêts versés à des résidents fiscaux étrangers.
Enfin, l’administration pourrait prendre en compte l’une des causes principales de difficulté de l’IFU pour les entreprises, à savoir le décalage qui peut exister entre l’année de paiement des intérêts (année à retenir pour la déclaration) et l’exercice de leur comptabilisation (qui est seul pertinent pour les sociétés à l’IS). Il pourrait être admis que les intérêts versés entre sociétés soumises à l’IS soient déclarés au titre de l’année de leur comptabilisation et non de leur paiement.
La suppression des obligations déclaratives afférentes aux dividendes distribués au sein d’un groupe fiscal ou au mali de fusion constitue un progrès certain au regard des sanctions encourues par les contribuables et de l’intérêt très limité de ces déclarations. La simplification aurait pu néanmoins être plus étendue, concernant notamment l’IFU.
Auteur
Frédéric Gerner, avocat associé en droit fiscal