Brexit : une étude encourageante pour la CICAP
1. La réputation de Londres en tant que lieu privilégié pour la résolution des litiges internationaux n’est plus à faire.
Le Brexit risque cependant de changer la donne.
En effet, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) aura notamment des incidences en matière de coopération judiciaire civile et commerciale : les décisions rendues par les juridictions du Royaume-Uni ne bénéficieront plus du régime de faveur accordé aux décisions rendues dans l’U.E. pour leur reconnaissance et exécution.
Plus exactement, ce régime de faveur ne pourra être maintenu après la sortie effective du Royaume-Uni sans un accord entre celui-ci et l’Union européenne, accord qui n’a à ce jour pas été trouvé.
L’incertitude conduit certains acteurs du monde des affaires à revoir leurs prévisions contractuelles, comme le démontre une étude récente de Thomson Reuters Legal sur le sujet1.
2. L’étude révèle qu’un nombre significatif des personnes sondées remettent déjà en cause la désignation de Londres comme lieu de référence pour la résolution de leurs litiges internationaux :
- 35% des répondants ont indiqué que le Brexit changeait déjà leur approche pour la rédaction des clauses de résolution de litiges, près de 20% précisant qu’ils désignaient désormais d’autres juridictions étatiques, européennes ou non, ou des juridictions arbitrales pour 10% d’entre eux (avec un siège à Londres le plus souvent) ;
- 25% des répondants ont pour l’instant réservé leur décision et ont l’intention de revoir leurs clauses si aucun accord n’est trouvé en mars 2019 au terme de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne ;
- et si 40% des répondants ont prévu de ne rien changer quelle que soit l’issue des négociations, c’est notamment parce qu’ils estiment n’avoir pas besoin d’une reconnaissance européenne de plein droit des décisions, ou qu’ils n’ont pas les ressources pour modifier leur situation.
3. Certains Etats membres y ont vu une carte à jouer pour s’imposer comme référence de premier plan en matière de résolution de litiges internationaux et ont créé des chambres spécialisées.
En Allemagne, il est espéré que le Brexit entraînera la délocalisation des contentieux bancaires et financiers à Francfort, où une Chambre spécialisée en matière de litiges internationaux est opérationnelle depuis le début de l’année2.
Aux Pays-Bas, c’est à Amsterdam que la Netherlands Commercial Court s’apprête à voir le jour3.
En Belgique, c’est évidemment Bruxelles qui hébergera l’International Business Court du pays, à partir du 1er janvier 2020 selon les prévisions du gouvernement. Cette dernière aura notamment la particularité de rendre des décisions insusceptibles d’appel4.
4. La Chambre Internationale de la cour d’appel de Paris (CICAP) créée en février dernier, vingt ans après celle du tribunal de commerce, n’a rien à envier à ses homologues.
Ce deuxième degré de juridiction spécialisé dans la résolution des litiges internationaux a été mis en place à droit constant, en partant de l’hypothèse qu’il est possible de fournir un service juridictionnel conforme aux attentes des opérateurs des affaires internationales tout en restant dans le cadre des règles procédurales en vigueur (cf. notre article paru au Journal Spécial des Sociétés le 26 juillet 2018, n°54, p. 9).
L’objectif est que ces juridictions bénéficient de capacités techniques et humaines adaptées au traitement de dossiers en langue étrangère, et encouragent le développement de diverses pratiques anglo-saxonnes prisées, en particulier l’audition et la discussion à l’audience des témoignages et autres moyens de preuve (« cross-examination »), ou la fixation d’un calendrier complet de procédure ab initio, le tout dans le cadre des dispositions du Code de procédure civile existantes.
La stratégie adoptée semble donc consister à renforcer l’offre judiciaire de Paris sans la bouleverser.
L’avenir nous dira si cette stratégie sera suffisante ou non, certains préconisant déjà , en complément de ces initiatives nationales, la création d’une nouvelle juridiction européenne dédiée5.
Les premières audiences au fond de la CICAP, qui auront lieu dès ce mois-ci, devraient nous permettre de nous faire une première idée.
Notes
1 The impact of Brexit on dispute resolution clauses, Thomson Reuters Practical Law. L’étude a été menée entre le 31 janvier 2018 et le 27 février 2018 auprès de 94 sondés issus de cabinets d’avocats internationaux, d’entreprises, d’autorités publiques et universitaires
2 The Justice Initiative Frankfurt am Main 2017 by Matthias Weller on March 31, 2017, conflictoflaws.net
3 https://www.rechtspraak.nl/English/NCC
4 The Belgian Government unveils its plan for the Brussels International Business Court (BIBC)
5 Towards a European Commercial Court? by Giesela Ruehl on august11, 2018, conflictoflaws.net
Auteurs
Jean-Fabrice Brun, avocat associé, Contentieux et Arbitrage
Laura Bourgeois, avocat, Contentieux et Arbitrage
Edouard Vieille, avocat, Contentieux et Arbitrage
Brexit : une étude encourageante pour la CICAP – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 10 septembre 2018
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