BREXIT : conséquences fiscales de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne
Conformément à l’accord du 29 janvier 2020 sur le retrait du Royaume-Uni, le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union européenne depuis le 1er février 2020.
L’accord trouvé entre l’UE et le Royaume-Uni a pour objectif de préserver à titre transitoire la totalité des effets de l’appartenance à l’Union européenne et d’en prolonger d’ores et déjà certains aspects pour la période postérieure à celle de transition (Accord 2019/C 384 I/01 du 12 novembre 2019, JOUE C 384 I).
I – Jusqu’au 31 décembre 2020 au moins : statu quo ante
Pendant la période de transition, qui expire en principe le 31 décembre 2020 mais pourrait être prolongée pendant un ou deux ans, l’ensemble du droit de l’Union s’applique au Royaume-Uni en matière fiscale comme dans les autres domaines (art. 126 et 127 de l’accord) et cet Etat demeure traité comme un Etat membre (art. 7, paragraphe 1 et 127, paragraphe 6).
Le droit de l’UE produit donc à l’égard du Royaume-Uni et de son territoire les mêmes effets juridiques que ceux qu’il produit au sein de l’UE et de ses Etats membres. Cela signifie par exemple que, pour l’application de la Directive TVA, l’ensemble des règles, et en particulier celles de territorialité pour les transactions transfrontalières entre un Etat membre de l’Union européenne et le Royaume-Uni, sont celles applicables entre deux Etats membres de l’UE.
De même, les exonérations de retenues à la source prévues par les directives mères-filiales et intérêts-redevances continueront de s’appliquer pendant la période de transition ainsi que la neutralité des opérations de restructuration visées par la directive fusions. Devraient également demeurer exonérées de CSG et de CRDS sur leurs revenus et gains immobiliers de source française les personnes relevant du régime de sécurité sociale britannique, sans être à la charge d’un régime obligatoire français de sécurité sociale, conformément au règlement portant coordination des systèmes européens de sécurité sociale (jurisprudence « de Ruyter »).
De façon plus subtile, continueront également de s’appliquer les règles du droit de l’UE qui sont intégrées dans le droit interne des Etats membres sans être issues de directives ou de règlements européens. Le paragraphe 6 de l’article 127 de l’accord de retrait indique en effet que « sauf disposition contraire du présent accord, pendant la période de transition, toute référence aux États membres dans le droit de l’Union applicable en vertu du paragraphe 1, y compris dans sa mise en œuvre et son application par les États membres, s’entend comme incluant le Royaume-Uni ». On peut en déduire que lorsque le droit interne tire les conséquences, en droit interne, de la nécessité de respecter les libertés fondamentales énoncées par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, il doit être considéré comme « mettant en œuvre et appliquant » le droit de l’UE.
D’un point de vue pratique, il nous semble par exemple en découler que les titres de sociétés établies au Royaume-Uni continuent d’être éligibles au PEA jusqu’à la fin de la période de transition en application de l’article 221-31 du Code monétaire et financier qui exige que ces titres soient ceux de sociétés dont le siège social se situe en France, dans l’UE ou dans un Etat de l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative. L’identification des titres éligibles répond en effet à l’obligation pour la France de respecter le principe européen de liberté de circulation des capitaux.
De même, le contenu de l’accord de retrait du 12 novembre 2019 se substitue pendant la période de transition aux règles de droit interne qui ont été adoptées pour faire face à l’hypothèse d’un « hard brexit ». A titre d’exemple, on se souvient que pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2018, il avait été prévu par l’article 32 de la loi de finances pour 2019 que le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ne mettrait pas fin aux groupes intégrés existants jusqu’à la clôture de l’exercice en cours au jour du retrait, que la société britannique soit une entité mère non résidente, une société étrangère (cas d’un groupe horizontal) ou une société intermédiaire (groupe horizontal ou vertical). Si l’accord de retrait du 12 novembre 2019 n’était pas intervenu, ce texte aurait permis de laisser subsister les groupes intégrés concernés jusqu’à la clôture des exercices intervenant à compter du 1er février 2020. L’application de l’accord de retrait conduit néanmoins à un résultat plus favorable car il permettra potentiellement de continuer à traiter les sociétés britanniques comme des sociétés établies dans l’UE au-delà du 31 décembre 2020 si la période de transition est prorogée. Si, en revanche, la période de transition s’achève en décembre 2020, le droit interne pourra s’avérer plus favorable dans l’hypothèse où une société ouvre un exercice entre le 1er janvier 2020 et le 1er février 2020 : elle sera en effet réputée réunir les conditions d’éligibilité de l’intégration jusqu’à sa date de clôture au-delà du 31 décembre 2020.
Dans le même sens, l’administration fiscale avait admis, par un rescrit du 6 mars 2019 (BOI-RES-000035) que les produits ouvrant droit au régime mère-fille perçus à raison de participations dans des sociétés britanniques resteraient éligibles à la quote-part de frais et charges de 1 % au lieu de 5 % lorsque les conditions de son application sont remplies (CGI, art. 216) jusqu’à la clôture par la société bénéficiaire de la distribution de l’exercice en cours lors du retrait du Royaume-Uni car ces produits seraient réputés provenir de sociétés établies dans l’Union européenne. L’accord de retrait nous paraît, ici encore, aller potentiellement plus loin en cas de prorogation de la période de transition. Dans les deux exemples qui précèdent, le maintien de l’applicabilité des règles favorables nous paraît justifié par le fait que le droit interne, qu’il soit de source légale ou doctrinale, entend se conformer à la jurisprudence européenne fondée sur la liberté d’établissement.
Reste à savoir si, à supposer que la période de transition s’achève effectivement le 31 décembre 2020, les mesures permettant de considérer comme acquises les conditions d’éligibilité à l’intégration fiscale seront reconduites pour tenir compte de la fin de la période de transition en cours d’exercice. Les sociétés ayant ouvert un exercice postérieurement au 1er février 2020 ne pourront en effet pas se prévaloir des règles de droit interne décrites plus haut, le « retrait » du Royaume-Uni n’étant pas intervenu en cours d’exercice (le retrait, malgré la période transitoire, étant en effet effectif le 31 janvier 2020). On peut espérer que dans cette hypothèse, elles seront reconduites pour tenir compte, non pas du « retrait » du Royaume-Uni, mais de la fin de la période de transition en cours d’exercice.
Les dispositions du droit de l’UE qui entreront en application pendant la période de transition devront en principe être appliquées par le Royaume-Uni jusqu’à la fin de cette période. Cela concerne par exemple les obligations déclaratives imposées à partir du 1er juillet 2020 aux intermédiaires et à certains contribuables par la directive 2018/822 du 25 mai 2018 (« DAC 6 »). Il en irait de même, si la période de transition devait être prorogée, du nouveau régime de TVA applicable au e-commerce prévu par la directive 2017/2455 du 5 décembre 2017 dont les dispositions sont applicables à partir du 1er janvier 2021.
En cas de manquement à ses obligations, le Royaume-Uni supportera, comme tout Etat membre, l’ensemble des conséquences d’une éventuelle violation du droit de l’UE.
II – Quelques règles sont fixées pour la période postérieure à celle de transition
L’accord ne fixe aucune règle pérenne, en matière fiscale, pour la période postérieure à la période de transition qui doit donc permettre à l’Union européenne et, le cas échéant, à ses membres d’organiser leurs relations avec le Royaume-Uni pour l’avenir.
Il fixe néanmoins d’ores et déjà certaines règles qui s’appliqueront temporairement à raison de situations nées avant la fin de la période de transition.
En matière douanière (art. 47 à 49) comme en matière de TVA (art. 51) et d’accises (art. 52), l’accord préserve l’application du droit de l’UE pour les flux débutés avant la fin de la période de transition.
Pour l’application de la TVA, les règles suivantes s’appliqueront :
- la directive TVA s’appliquera aux flux ayant débuté avant la fin de la période de transition et pendant cinq années suivant celle-ci « pour ce qui est des droits et obligations de l’assujetti en ce qui concerne les opérations comportant un élément transfrontière entre le Royaume-Uni et un Etat membre qui ont eu lieu avant la fin de la période de transition » ;
- les demandes de remboursement de TVA par un assujetti non établi pourront être présentées jusqu’au 31 mars 2021 au Royaume-Uni (pour les assujettis d’un Etat membre de l’UE) et dans chacun des Etats membres de l’UE (pour les assujettis britanniques) via la procédure électronique prévue par la directive 2008/9 ;
- et, enfin, les déclarations souscrites via le mini guichet unique avant la fin de la période de transition pourront être rectifiées au plus tard le 31 décembre 2021.
Par ailleurs, les procédures de coopération administrative entre les Etats membres et le Royaume-Uni continueront de s’appliquer à compter du 1er jour suivant la fin de la période de transition pendant une période variant selon les domaines : en matière douanière jusqu’à l’achèvement d’une procédure engagée antérieurement (art. 98), en matière de TVA pendant quatre ans (art. 99) et pendant 5 ans en matière de recouvrement pour les créances fiscales nées avant la fin de la période de transition (art. 100).
L’accès aux systèmes d’information dans les domaines concernés du droit de l’UE sera assuré au Royaume-Uni (art. 50) pour les besoins des opérations nées avant la fin de la période de transition. La durée d’accès varie en fonction des bases de données concernées (annexe IV de l’accord).
A titre d’exemple, la base de données VIES en matière de TVA sera accessible jusqu’au 31 décembre 2024 et devra, dans l’intervalle, continuer à être mise à jour par le Royaume-Uni.
Enfin, des procédures d’aides d’Etat pourront, pendant quatre ans, être engagées par la Commission européenne à l’encontre du Royaume-Uni au titre de situations nées avant la fin de la période de transition. D’une manière plus générale, la CJUE pourra être saisie au titre de manquements constitués par le Royaume-Uni avant cette même échéance.
Article paru dans le magazine Option Finance le 10 février 2020
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