Baux commerciaux et obligations essentielles : le contrôle du juge renforcé
Le nouvel article 1170 du Code civil, issu de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, prévoit que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur » doit être réputée non écrite. Les baux commerciaux comportent fréquemment des clauses vidant de leur substance certaines obligations essentielles du bailleur. La vigilance quant à la rédaction des clauses du bail commercial s’impose.
La volonté du législateur est claire : aller au-delà de la consécration de la célèbre jurisprudence Chronopost (Cass. com., 22 oct. 1996, n°93-18632 : Bull. civ. IV n°261) qui a réputé non écrite une clause limitative de responsabilité et éradiquer du bail commercial les clauses permettant au bailleur de s’affranchir de ses obligations essentielles.
L’application de l’article 1170 du Code civil est promise à un certain succès, compte tenu des termes généraux employés, bien que demeure la question de déterminer « l’obligation essentielle du débiteur », ou plus exactement les obligations essentielles du bailleur dont ce dernier cherche à se décharger généralement lors de la négociation des clauses du bail.
Précédemment, notre confrère Aline Divo avait identifié l’obligation de délivrance du bailleur, prévue à l’article 1719, 1° du Code civil comme « l’obligation essentielle » par excellence du bailleur (Lettre de l’Immobilier, 28 nov. 2016, p.13). Comme il l’avait été indiqué, on peut s’interroger sur la faculté du juge de réputer non écrite une clause exonérant le bailleur d’une de ses obligations essentielles qui ne relève pas de l’obligation de délivrance, alors que l’article 1170 du Code civil se réfère à «l’obligation essentielle» et non aux « obligations essentielles ».
En effet, outre l’obligation de délivrance, l’article 1719 du Code civil prévoit que le bailleur est également tenu d’entretenir la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
S’agissant de l’obligation d’entretien, les baux commerciaux dits « investisseurs », notamment rencontrés dans les centres commerciaux, exonèrent le bailleur de tout travaux mais aussi de tout paiement de charges, impôts et taxes. Il convient de s’interroger sur la question de savoir si le juge considèrera l’ensemble des clauses limitant l’obligation du bailleur comme des clauses vidant de sa substance l’obligation essentielle du bailleur ; ce qui reviendrait à remettre en cause l’équilibre contractuel du bail et, plus généralement, les conditions financières du contrat.
S’agissant de l’obligation de jouissance paisible, il conviendra d’être vigilant quant à la portée de certaines clauses présentes dans les baux des centres commerciaux, notamment celles exonérant le bailleur d’une quelconque responsabilité s’il réalise dans les locaux loués des travaux modifiant lesdits locaux et ce, quelle que soit leur durée, ou celles l’exonérant de son obligation d’entretien des parties communes du centre commercial.
Sous couvert de respecter un équilibre contractuel entre le bailleur et le preneur, la sanction du réputé non écrit, instaurée par l’article 1170 du Code civil, crée une grande instabilité juridique puisqu’aucun délai de prescription n’est applicable à l’action en constatation du caractère non écrit de la clause à la différence de l’action en nullité de la clause.
Les praticiens seront certainement amenés à s’interroger sur l’étendue de la sanction : le juge doit-il réputer non écrite l’ensemble de la clause ou se contenter d’éradiquer la seule stipulation ? Un éclairage est donné par la jurisprudence en matière de clause d’indexation ne variant qu’à la hausse laquelle, sous réserve d’être considérée comme essentielle par le juge, répute non écrite la clause d’indexation en son entier et non la simple stipulation (Cass. 3e civ., 14 janv. 2016, n°14-24681).
Auteurs
Géraldine Machinet, avocat en droit immobilier
Louis Urvois, avocat en droit immobilier