Arrêt Ricoh France, une mise au point sur les règles comptables à retenir pour calcul de la valeur ajoutée
Par une décision récente[1], le Conseil d’Etat a affirmé le principe de prévalence des normes du plan comptable général sur les normes applicables aux comptes consolidés s’agissant du calcul de la valeur ajoutée.
Rappelons que la valeur ajoutée servait jusqu’en 2009 à encadrer l’impôt avec la cotisation minimale de taxe professionnelle et le plafonnement de la cotisation de taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée produite par l’entreprise. Depuis l’instauration en 2010 de la contribution économique territoriale (CET) en remplacement de la taxe professionnelle, elle sert d’assiette à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et permet de plafonner le montant total de la CET (somme de la CVAE et de la contribution foncière des entreprises « CFE ») hors frais de CCI à 3 % (2 % à compter de 2021) de cette même valeur ajoutée.
Sous l’empire de la taxe professionnelle, la valeur ajoutée était définie à l’article 1647 B sexies du Code Général des Impôts comme étant l’excédent hors taxes de la production sur les consommations de biens et services en provenance de tiers constatés au cours de l’exercice de douze mois clos pendant l’année d’imposition ou, à défaut d’exercice de douze mois clos, celui réalisé pendant l’année civile d’imposition. Ce texte dressait ensuite une liste limitative des postes de charges et de produits à retenir pour le calcul de la valeur ajoutée
En matière de CVAE, la principale innovation prévue à l’article 1586 sexies du CGI tient à l’abandon de la référence aux « consommations de biens et services en provenance de tiers », au profit de la seule liste limitative des postes de charges à retenir.
La jurisprudence a été amenée à de multiples reprises à préciser la norme comptable au regard de laquelle il convient d’apprécier le rattachement d’une charge ou d’un produit à l’une ou l’autre des catégories visées au II de l’article 1647 B sexies du CGI et par extension de l’article 1586 sexies du même code
- Sur l’articulation des dispositions du CGI en matière de valeur ajoutée avec les dispositions du PCG et des plans comptables spécifiques
Le Conseil d’Etat[2] avait initialement jugé que l’application des dispositions de l’article 1647 B sexies du CGI devait se faire à la lumière des dispositions du plan comptable général en précisant que « pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l’une de ces catégories, il y a lieu de se reporter aux dispositions du plan comptable général dans leur rédaction en vigueur lors de l’année d’imposition concernée ».
Dans un second temps, le Conseil d’Etat a substitué[3] au renvoi général au PCG une référence aux « normes comptables » dans leur rédaction en vigueur lors de l’année d’imposition concernée. Toutefois, cet infléchissement n’était que relatif : comme l’expliquait le Rapporteur public S. Verclytte, la règle ainsi posée signifiait « que le périmètre des catégories du CGI est défini en se reportant aux dispositions comptables dont l’application est obligatoire pour les entreprises concernées. » Or, comme le rappelle l’article 38 quater de l’annexe III au CGI, le PCG constitue la norme applicable à la généralité des entreprises ayant une activité industrielle ou commerciale visée au 2 du II de l’article 1647 B.
La jurisprudence a été amenée à préciser comment il convenait d’apprécier le rattachement d’un produit ou d’une charge aux différents postes énumérés à l’article 1647 B sexies lorsque le PCG lui-même envisage plusieurs comptabilisations.
Il ainsi été jugé que lorsque les comptabilisations prescrites par la norme comptable sont complémentaires notamment en cas de dualité d’un plan général particulier et du plan comptable général, il suffit que l’une d’elles figure dans la liste limitative des éléments pris en compte pour la détermination de la valeur ajoutée prévue par l’article 1647 B sexies du CGI pour que ces sommes doivent être incluses dans son calcul. Le Conseil d’Etat juge ainsi que lorsqu’un poste comptable applicable aux établissements bancaires en vertu du règlement du comité de la réglementation bancaire n’est pas spécifique aux activités de ces établissements, il convient d’interpréter ce poste comptable à la lumière des dispositions équivalentes du plan comptable général[4].
Dans l’hypothèse différente où le PCG prévoit une alternative, et non un cumul, entre plusieurs inscriptions comptables également possibles, il y a lieu, pour l’application de la loi fiscale, de retenir la plus conforme à la logique de l’impôt et à la nature réelle de la charge ou du produit en cause[5].
Le Conseil d’Etat a ainsi affirmé le principe selon lequel le pouvoir de requalification des écritures comptables par le juge est permis dans l’hypothèse où elles contreviennent à la réalité économique de l’opération[6].
La grille de lecture du Conseil d’Etat relative à l’articulation entre les dispositions du CGI et les normes comptables générales ainsi qu’avec les normes comptables spécifiques propres à certains secteurs sont désormais connues.
- Sur la concurrence entre normes du PCG et les normes applicables aux comptes consolidés
C’est d’une nouvelle problématique qu’a été saisie la Haute Assemblée puisqu’elle concerne l’articulation entre les normes comptables générales applicables aux comptes sociaux et les normes applicables aux comptes consolidés.
Dans cette affaire, la société Ricoh France était liée avec des sociétés de financement par des contrats de « location-mandatée » en application desquels la société concluait avec son client un contrat de location qui prévoyait la mise à disposition de matériel bureautique et la maintenance de celui-ci, puis revendait à la société de financement le matériel qu’elle avait préalablement acheté et transférait à la société de financement le contrat de location, pour sa seule partie financière, à l’exclusion des prestations accessoires prévues par le contrat (entretien …). Dans ce cadre, la société Ricoh encaissait la totalité des loyers mais reversait à la société de financement la part de ces loyers correspondant à la seule mise à disposition du matériel au client final et conservait la part afférente aux prestations accessoires.
Ces contrats, dits de « location-financement », s’analysent généralement comme une sous-location de sorte que les loyers reversés sont qualifiés de consommations de biens ou de services en provenance de tiers selon les normes comptables du plan général applicables aux comptes sociaux individuels (et déduits en tant que tels de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation minimale).
A l’inverse, ces loyers reversés sont regardés par les normes IAS/IFRS ainsi que par les normes issues du règlement du CRC n° 99-02 relatif aux comptes consolidés des sociétés commerciales comme des charges financières, lesquelles sont non déductibles de la valeur ajoutée tant au sens des dispositions de l’article 1647 B Sexies que 1586 sexies I du même code.
L’administration fondait initialement ses rehaussements sur le fait qu’après avoir vendu les matériels à la société de financement, la société Ricoh les avait repris en crédit-bail pour les sous-louer à ses clients. Or, le CGI interdit au crédit-preneur de minorer sa valeur ajoutée à raison desdites redevances de crédit-bail même en cas de sous location.
Ayant échoué à démonter l’existence d’opérations de crédit-bail, l’administration a pris appui sur les normes des comptes consolidés qui analysent le reversement des loyers, non pas comme des consommations de biens ou de services en provenance de tiers, mais comme des charges financières pour écarter leur déduction de la valeur ajoutée.
Si la Cour administrative a accueilli favorablement cette prévalence des normes des comptes consolidés sur les normes du PCG, le Conseil d’Etat s’y est clairement opposé.
C’est ainsi que le Conseil d’Etat a rappelé, en principe général, que pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l’une des catégories de la liste limitative des éléments comptables fixée par l’article 1647 B sexies du CGI précité, il y a lieu de se reporter, pour les entreprises pour lesquelles son application est obligatoire, aux dispositions du plan comptable général, applicables aux comptes sociaux individuels, dans leur rédaction en vigueur lors de l’année d’imposition concernée, et non aux normes comptables applicables à l’établissement des comptes consolidés.
Il convient de saluer cette décision qui tend à sécuriser les traitements opérés par les entreprises dans le cadre du calcul de leur imposition.
[1] Décision CE du 20 avril 2021, n° 431224, Société Ricoh France.
[2] Décision CE du 4 août 2006 n° 2647150, min. c/ Société foncière Ariane.
[3] Décision CE du 3 novembre 2006 n° 266314, min. c/ Caisse fédérale du Crédit mutuel Océan.
[4] Décision CE du 16 mars 2016, SA Guyenne et Gascogne, n° 383536.
[5] Décisions CE, 30 décembre 2002, Sté Hyper Média, n° 2338030; et CE, 4 août 2006, SA Colas Sud-ouest, n° 270961.
[6] Décisions du CE du 4 août 2006 n° 270961 à 270965, SA GA n° 267150 et SA Colas Sud-Ouest.