Appropriation de documents de l’entreprise par un salarié : tout est-il permis ?
19 mai 2015
Aux termes d’un arrêt rendu le 31 mars 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation (n°13-24.410) rappelle que, dans le cadre d’un litige prud’homal l’opposant à son employeur, c’est au salarié qui produit des documents appartenant à l’entreprise de justifier qu’ils sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense.
Largement démuni face à la primauté du principe des droits de la défense, comment, dans ces conditions, l’employeur peut-il encore se défendre ?
L’appropriation de documents de l’entreprise par un salarié ne caractérise pas nécessairement un vol
Le salarié ne peut, par principe, s’approprier les documents de l’entreprise.
Partant, un employeur qui constaterait que des documents lui appartenant ont disparu, souvent à l’issue du contrat de travail de l’intéressé, serait fondé à en réclamer la restitution et le cas échéant, à porter plainte pour vol, à moins que le salarié n’invoque l’exercice de ses droits de la défense.
C’est en effet ce qu’ont décidé la chambre criminelle et la chambre sociale de la Cour de cassation, lesquelles ont harmonisé leur jurisprudence depuis les arrêts des 11 mai 2004 (Cass. Crim 03.-85.521) et 30 juin 2004 (Cass. Soc. n°02-41.771).
La Cour suprême admet désormais que la production en justice de documents, ou de copies, appartenant à l’entreprise dont le salarié a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions ne constitue pas un vol, pour autant que leur production dans le litige prud’homal soit strictement nécessaire à l’exercice de droits de la défense du salarié.
Dans ces conditions, les chances que la procédure pénale diligentée par l’employeur pour vol ou abus de confiance aboutisse sont inexistantes si :
- le salarié démontre avoir obtenu les documents en cause dans l’exercice de ses fonctions,
- le salarié démontre que ces documents étaient strictement nécessaires à l’exercice de sa défense.
Loin de s’équilibrer, les droits de la défense du salarié priment sur le droit de propriété de l’employeur et sur la confidentialité des échanges.
Ainsi, dans l’hypothèse d’un contentieux prud’homal, le salarié peut produire tous documents dont il a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions (note, mails, courriers, fichiers, bulletins de paie, données nominatives, etc.), même s’il n’en n’a pas été personnellement destinataire dans le cadre de son travail.
Poursuivant ce raisonnement, elle a été jusqu’à admettre la possibilité de produire en justice des documents appartenant à l’employeur, alors même que ces derniers étaient couverts par le secret professionnel (en l’occurrence secret médical d’une psychologue).
Dans cette affaire, la Cour de cassation a estimé que les documents produits (informations sur la vie privée des patients telles que leur nom, leur date de naissance, leurs pathologies et les diagnostics médicaux) étaient les seuls documents dont pouvait se prévaloir la salariée pour assurer sa défense dans le litige l’opposant à son ancien employeur (Cass. soc., 5 juillet 2011, n°09-42.959).
L’intention du salarié, lorsqu’il s’est emparé des documents, peut être discutée, ce qui revient à s’interroger notamment sur le moment où il s’est approprié les documents en cause.
Dans l’arrêt du 25 novembre 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la décision de la chambre de l’instruction ayant ordonné le non-lieu d’un salarié qui avait appréhendé, dès qu’il avait été informé de son projet de rupture de son contrat par son employeur, sous forme de photocopies, des documents dont il avait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions, ces documents ayant de fait été considérés comme étant strictement nécessaires à l’exercice de ses droits de sa défense (pourvoi n°13-84.414).
Plus précisément, le salarié avait effectué des photocopies de documents entre le 2 et le 13 mars 2009, date à laquelle avait été fixé son entretien préalable pour faute lourde, ce qui laissait supposer un probable litige. Le licenciement du salarié ayant été notifié le 25 mars 2009, c’est à cette date également que l’employeur a déposé plainte avec constitution de partie civile. Le délai entre la pré-constitution de preuves par le salarié et l’action contentieuse était en l’espèce très proche.
La Cour de cassation va encore plus loin et considère que le salarié peut se pré-constituer des preuves à l’aide de documents de l’entreprise, et ce, même dans le cadre d’un litige potentiel dès lors que celui-ci pourrait ensuite invoquer la nécessité de devoir se défendre (Cass. Crim 16 juin 2011, n°1-85.079).
On constate au vu de cette jurisprudence que la Cour de cassation fait clairement primer le principe des droits de la défense sur celui du droit de propriété ou encore du secret des correspondances, même si elle veille à une application stricte de ce principe.
C’est au salarié de démontrer que l’appropriation des documents de l’entreprise était strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense
S’agissant de l’arrêt susvisé du 31 mars 2015, un salarié licencié pour faute grave avait procédé à la copie intégrale du disque dur de son ordinateur portable professionnel avant de le restituer à son employeur.
Devant le Conseil de prud’hommes, l’employeur avait formulé une demande reconventionnelle aux fins de voir condamner l’ex-salarié à détruire la copie des fichiers en cause et en soutenant qu’il existait un risque d’utilisation commerciale desdits documents. La demande de l’employeur n’avait pas été suivie par la Cour d’appel, laquelle ayant estimé que ce dernier ne démontrait ni l’existence d’un risque d’utilisation commerciale des documents, ni que le salarié en avait disposé autrement que pour les besoins de la procédure prud’homale.
La Cour de cassation a censuré cette décision considérant qu’en demandant à l’employeur de justifier le risque de détournement des documents à des fins autres que prud’homales, les juges du fond avaient inversé la charge de la preuve.
La Cour confirme par ailleurs que le salarié peut produire des documents de l’entreprise en cas de contentieux avec son employeur dès lors où ces derniers sont strictement nécessaires à sa défense.
Dans tous les cas, l’employeur restera attentif au moment auquel le salarié s’est approprié les documents litigieux et à la nature de ceux-ci.
Si le salarié s’est pré-constitué des preuves en l’absence de contentieux ou alors même qu’aucune procédure de licenciement n’était engagée (ce qu’il faudra démontrer) ou encore si le salarié s’est approprié plus d’éléments que nécessaire pour sa défense, l’employeur sera fondé à poursuivre pénalement son salarié ou à tout le moins mettre en cause la production de ses documents en justice.
Auteur
Thiphaine Le Bihan, avocat. Elle intervient sur de nombreux aspects du droit social, en conseil et en contentieux en matière de relations individuelles et collectives du travail, tant auprès des entreprises du secteur privé qu’auprès d’Établissements Publics
*Appropriation de documents de l’entreprise par un salarié : tout est-il permis ?* – Article paru dans Les Echos Business le 13 mai 2015
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