Apport de titres à une société contrôlée : l’Administration publie enfin ses commentaires !
Près de trois ans après l’entrée en vigueur, le 14 novembre 2012, du régime de report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI, la Direction de la Législation Fiscale a soumis ses commentaires du dispositif en consultation publique le 2 juillet dernier. Revue non exhaustive des points saillants.
La plus-value, réalisée directement ou par personne interposée, à raison de l’apport de titres à une société soumise à l’IS contrôlée par l’apporteur, est désormais exclue du sursis d’imposition de l’article 150-0 B et relève d’un régime de report d’imposition de plein droit. Le législateur a entendu encadrer les opérations dites d’«apport-cession» en s’inspirant directement de la jurisprudence du Conseil d’Etat rendue sur le terrain de l’abus de droit. En ce sens, la loi prévoit que la société bénéficiaire des apports ne peut se séparer des titres reçus avant trois ans sous peine de provoquer la cessation du report et la taxation à l’IR, sauf à procéder dans les deux ans au réinvestissement approprié de 50% du produit la cession.
1. Champ d’application du report d’imposition
L’Administration admet l’éligibilité à ce dispositif des apports rémunérés par des obligations convertibles, échangeables ou remboursables en actions – qui n’allait pas de soi à la lettre du texte de l’article 150-0 B ter.
Par ailleurs, le report d’imposition s’applique aux apports de titres en pleine propriété comme aux apports de droits démembrés, exception faite de l’apport d’un usufruit «temporaire» de titres lorsqu’il procède de la première cession à titre onéreux du même usufruit (dans ce cas, la valeur d’apport est taxée comme un revenu de capitaux mobiliers, selon le régime de l’article 13,5 du CGI).
L’Administration confirme ensuite que sont hors du champ du report d’imposition les échanges de titres résultant d’opérations de fusion ainsi que les moins-values d’apport.
S’agissant de la soulte que peut comporter la rémunération de l’apport en report d’imposition, dans la limite de 10% de la valeur nominale des titres émis en rémunération, l’Administration émet –pour la première fois à notre connaissance– une mise en garde au regard de l’abus de droit «s’il s’avère que cette opération ne présente pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport, et est uniquement motivée par la volonté de l’apporteur d’appréhender une somme d’argent en franchise immédiate d’impôt et d’échapper ainsi notamment à l’imposition de distributions du fait de ce désinvestissement». L’Administration considère ainsi qu’il peut être fait un usage absuif d’un dispositif anti-abus. Ce commentaire administratif appelle en tout cas à la plus grande vigilance quant à l’utilisation de la soulte, y compris pour les opérations éligibles au sursis d’imposition.
2. L’expiration du report d’imposition
2.1 Evénements affectant les titres reçus en rémunération de l’apport
L’Administration entend enserrer les possibilités d’apports successifs dans des limites restrictives.
Dans le cas où les titres reçus en report d’imposition 150-0 B ter (PV1) font eux-mêmes l’objet d’un apport soumis au sursis ou au report, la PV1 est maintenue en report et la nouvelle plus-value d’apport (PV2) est soumise suivant le cas au sursis ou au report d’imposition. En revanche, l’Administration indique qu’en cas de nouvel échange des titres reçus lors de la deuxième opération d’apport, quel que soit le régime applicable à cette troisième opération (sursis ou report d’imposition), le report d’imposition initial expire : la PV1 est immédiatement taxable. En d’autres termes, la parfaite neutralité fiscale ne serait assurée que «dans la limite de deux reports successifs». On voit mal la logique économique d’une telle restriction. En revanche, on en perçoit très rapidement les effets délétères de sclérose imminente des opérations de rapprochement et de restructurations d’entreprises …
L’Administration précise que la conversion, l’échange ou le remboursement contre des actions des obligations reçues en rémunération d’un apport, n’entraine pas l’expiration du report d’imposition de la première plus-value d’échange, «dans la mesure où une telle opération est éligible au mécanisme du sursis d’imposition». Cette indication soulève deux interrogations :
- faut-il comprendre que l’échange d’obligations contre des actions qui confereraient le contrôle de la société émettrice, rendrait taxable la plus-value mise initialement en report ? ce qui laisserait à tout le moins perplexe …
- peut-on comprendre que l’échange d’obligations contre des actions ne constitue pas une nouvelle opération à intégrer dans le compteur des échanges successifs fiscalement neutre dont l’Administration estime qu’ils sont limités à deux ?
Rien n’est dit sur l’hypothèse de l’absorption par la société cible de la société bénéficiaire de l’apport. Cette opération de fusion relevant du sursis de l’article 150-0 B du CGI, elle ne devrait à notre sens pas affecter le report d’imposition de la première plus-value d’échange. Y-aurait-il cependant lieu de l’inscrire au compteur des deux apports successifs «autorisés» ?
2.2 Evénements affectant les titres apportés
En cas de cession des titres apportés dans les trois ans de l’apport, la loi prévoit une faculté de réinvestissement au niveau de la société bénéficiaire de l’apport, exonératoire de déchéance du report d’imposition.
L’Administration confirme que les opérations :
- de rachat par la société émettrice des titres apportés,
- d’échange des titres apportés contre des titres d’une société opérationnelle dont la société bénéficiaire des apports obtient ainsi le contrôle,
- et d’absorption par la société bénéficiaire des apports de la société dont les titres sont apportés (où il n’est pas précisé que la société absorbée doit exercer une activité éligible, ce qui nous semble implicite),
ouvrent droit à la solution de réinvestissement exonératoire de déchéance du report d’imposition, ce qui ne coulait pas de source à la lecture de la loi.
Cela étant, on observe que :
- le cas du rachat n’est envisagé par le BOFIP que pour le remploi par financement d’activité et par prise de contrôle de sociétés, mais pas à ce stade pour le remploi par souscription en numéraire,
- les cas de remboursement et d’annulation des titres apportés ne sont pas expressément envisagés à ce stade comme ouvrant la possibilité d’un réinvestissement exonératoire.
Par ailleurs, l’Administration indique que «le réinvestissement doit être effectué dans une perspective d’investissement de long terme» et que «cette condition est présumée satisfaite lorsque les biens ou les titres objet du réinvestissement sont conservés pendant au moins 24 mois, ce délai étant décompté depuis la date de leur inscription à l’actif de la société».
Sur les modalités de réinvestissement
Notons d’emblée que le réinvestissement exonératoire peut procéder d’un panachage des trois modalités ci-après telles que prévues par la loi.
- Réinvestissement dans le «financement d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière»
L’Administration précise «que le financement d’une activité éligible s’entend de l’acquisition» (…) «de moyens permanents d’exploitation».
Par ailleurs, il est indiqué que par activités financières admises au remploi, il convient d’entendre les activités de banque (dépôts, distribution de crédit, gestion de fonds), de finance (administration de marchés financiers, courtage de valeurs mobilières) et d’assurance.
Il résulte a priori de ce qui précède qu’est exclu des remplois éligibles le financement de l’activité opérationnelle d’une société autre que la société bénéficiaire des apports, sous forme d’acquisition d’obligations (convertibles/échangeables/remboursables en actions ou non). En revanche, il semble qu’un apport en compte courant au profit de filiales serait admis à condition qu’il ait permis l’acquisition d’actifs nécessaires à l’activité sans qu’il n’y ait eu de recours à l’emprunt ; en revanche, l’apport en compte courant permettant le refinancement d’une filiale endettée ne serait pas admis. Le réinvestissement s’opère en général au moyen de liquidités, mais l’Administration envisage également le cas où un rachat des titres apportés est rémunéré par la société émettrice par l’attribution d’une «une branche d’activité éligible».
Bien que l’Administration précise que les activités commerciales s’entendent de celles qui entrent par nature dans le champ d’application des bénéfices industriels et commerciaux, elle précise que l’acquisition de biens immobiliers destinés à la location immobilière meublée n’est pas éligible au remploi.
Enfin, il est précisé que les FCPR ne constituent pas des réinvestissements éligibles.
- Réinvestissement dans l’acquisition du contrôle d’une société opérationnelle
Il peut s’agir d’un investissement effectué au moyen de numéraire obtenu en contrepartie de la vente des titres apportés ou à l’occasion de l’apport des titres apportés, d’une fusion ou d’une scission. En toute occurrence, il s’agit impérativement d’acquérir le contrôle d’une société que l’on comprend comme étant opérationnelle mais en aucun cas de simplement renforcer une participation qui conférait déjà ce contrôle, ou d’acquérir un véhicule d’investissement (SCR, SICAV, SPPICAV) ou une pure holding.
Le BOFIP ne prend pas parti sur la possibilité d’acquérir le contrôle d’une société holding animatrice de groupe, ce qu’il faut regretter.
- Réinvestissement sous forme de souscription en numéraire au capital de société opérationnelle.
La souscription au capital d’une holding animatrice de groupe apparaît possible dès lors que le texte de loi et les commentaires administratifs du 150-0 B ter renvoient à l’article 150-0 D ter ; or, les commentaires administratifs de ce dernier texte admettent l’éligibilité des holdings animatrices. Il serait au demeurant souhaitable que l’Administration le confirme explicitement.
Une maladresse rédactionnelle de l’article 150-0 B ter fait craindre que l’activité opérationnelle doive être exercée depuis au moins 5 ans pour rendre une société éligible au réinvestissement exonératoire. Cette incongruité est certes démentie par les travaux parlementaires, mais la sécurité juridique gagnerait grandement à ce qu’elle le soit également par l’Administration.
Conclusion : il reste encore de nombreux points à clarifier et quelques souplesses raisonnables à accorder pour que le BOFiP fasse du report d’imposition un régime moderne, fiable et adapté à la nécessaire mobilité du capital. Gageons à cet égard que la DLF ne manquera pas de tirer tout le parti de la consultation publique qu’elle a opportunément suscitée.
Auteurs
Luc Jaillais, avocat associé, spécialisé en fiscalité directe : Impôt sur les sociétés, Impôt sur le revenu, taxe professionnelle et retenue à la source.
Florian Burnat, avocat en droit fiscal