Application de l’égalité de traitement : illustration au cas du salarié détaché syndical à temps complet
14 décembre 2021
Un salarié, affecté sur le site d’un client et qui perçoit une gratification de fin d’année définie par un accord collectif dont seule sa catégorie professionnelle bénéfice, peut-il revendiquer le 13ème mois réglé à d’autres salariés travaillant en agence ou au siège de l’entreprise, et qui exercent des fonctions très différentes ? Etant précisé que ce salarié exerce plusieurs mandats syndicaux, est « détaché syndical à temps complet », et siège au Conseil de Prud’hommes (de Marseille).
Telle était la problématique qui se posait devant le Conseil de Prud’hommes d’Aix en Provence dans une affaire où le cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats assurait la défense de l’employeur.
La Formation de Départage du Conseil de Prud’hommes d’Aix en Provence, aux termes d’un jugement qu’elle a rendu le 15 novembre 2021, suivant en cela l’argumentation développée par le cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats, a répondu par la négative à toutes les questions qui précèdent, et a débouté le salarié et le syndicat (CFDT), intervenant volontaire, de l’ensemble de leurs demandes, après avoir retenu la motivation suivante :
Sur la différence de traitement
Le principe « à travail égal, salaire égal » impose à l’employeur d’assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique, effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.
Il appartient au salarié qui s’estime victime d’une inégalité de traitement de soumettre au juge les éléments de fait, loyalement obtenus, laissant supposer son existence. Il doit ainsi mettre en évidence une différence de traitement en se comparant à des salariés qui sont placés dans une situation de travail identique à la sienne au regard de l’avantage en cause.
Il incombe alors à l’employeur de justifier de la différence de traitement par des raisons objectives et pertinentes.
Les différences de traitement entre catégories professionnelles, ou entre des salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d’accords collectifs, négociés ou signés par les organisations syndicales représentatives, sont toutefois présumées justifiées. Il appartient donc à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.
En l’espèce, le salarié, agent de maîtrise d’exploitation, se compare à d’autres salariés dont il affirme qu’ils bénéficient d’une prime de 13ème mois équivalente à un mois de salaire, alors qu’il ne perçoit qu’une gratification de fin d’année d’un montant de 180 euros bruts.
Il n’est pas contesté par l’employeur qu’en effet s’opère une distinction et une inégalité de traitement entre d’une part, les salariés de la société travaillant en agence, qui bénéficient d’une prime de 13ème mois, et les salariés de la société travaillant sur site, qui bénéficient d’une prime de fin d’année fixe de 180 euros.
La gratification de fin d’année allouée aux salariés exerçant leur activité sur site résulte d’un accord d’entreprise dont le personnel d’agence a été postérieurement exclu par accord collectif.
Le treizième mois dont bénéficient les personnels d’agence et que revendique, en l’espèce, le salarié, n’est pas institué par un accord collectif de sorte que la présomption de justification des différences de traitement ne peut être invoquée.
Il est en revanche à relever que si le salarié excipe d’une inégalité de traitement avec les personnels d’agence, il ne justifie pas en quoi il serait placé dans une situation de travail identique à ces derniers.
Il compare sa situation à celle d’un autre salarié. Ce dernier, anciennement agent d’exploitation, a été nommé en décembre 2015 en qualité de chef de site adjoint, qualification maîtrise d’exploitation, rattaché à l’établissement A. Il a intégré à compter de cette date le personnel d’agence et a bénéficié d’une gratification versée en décembre de chaque année, équivalente au salaire de base du mois de novembre.
Les fonctions de chef de site adjoint ne sont cependant pas comparables aux fonctions d’agent de maîtrise d’exploitation.
Le chef de site adjoint, sous la responsabilité duquel sont placés une centaine de salariés, est soumis à des contraintes (gestion des ressources humaines sur un site socialement sensible), objectifs et sujétions (clause de non-concurrence, clause de confidentialité, clause d’exclusivité).
L’agent de maîtrise d’exploitation n’est pas soumis à ces mêmes contraintes, mais à des sujétions de nature différente liées au travail sur site, et pouvant donner lieu à l’attribution de primes (d’habillage, de transport, de salissure…) dont ne bénéficie pas à l’inverse le personnel d’agence.
Plus globalement, les métiers effectués en agence ne sont pas comparables aux métiers exercés sur site. Le personnel d’agence gère toute la partie administrative, le planning du personnel, les relations commerciales et l’interface entre clients et agences. Le personnel sur site réalise concrètement la prestation de prévention et de sécurité au sein des établissements clients.
La gratification annuelle de fin d’année est un élément de la rémunération, directement liée à la prestation de travail, laquelle est différente selon que le salarié est affecté en agence ou sur site.
Selon l’employeur la différence de traitement relative à l’attribution de cette gratification est justifiée par des raisons objectives et pertinentes, fondées sur des considérations de nature professionnelle.
Sur l’impact de la situation de détaché syndical à temps complet du salarié
Le salarié excipe subsidiairement de sa position particulière de détachement syndical à temps complet, acquise depuis la signature d’un avenant à son contrat de travail le 25 juin 2017, et dont il résulte qu’il n’est plus posté sur site.
A cet argument l’employeur rétorque que le représentant syndical doit cependant être traité par de la même façon que les autres salariés occupant le même emploi, sauf à encourir le grief de discrimination.
Si matériellement le salarié n’exerce plus ses fonctions salariées sur site, en raison de l’exercice de son activité syndicale, il demeure juridiquement soumis au régime légal et conventionnel applicable à ses fonctions et qualifications initiales.
L’avenant du 25 juin 2017 stipule ainsi en son article 3 que « la gratification de fin d’année restera acquise dans les conditions d’attribution fixées par l’accord d’entreprise« .
Au surplus, la seule absence de travail effectif sur site ne place pas de facto le salarié dans une situation de travail comparable à celle du personnel d’agence, dont les missions sont de nature différente ainsi qu’il a été développé ci-avant.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la demande de rappels de primes formée par le salarié est rejetée par le Conseil de prud’hommes ».
Incidemment :
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- le salarié a été débouté de sa demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et résistance abusive
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- le syndicat CFDT, intervenant volontaire, a été débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice tiré de l’atteinte aux intérêts collectifs de la profession
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