Applicabilité de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce en matière de transport, en l’absence de contrat écrit : confusion ou normalisation ?
En matière de transports, plusieurs contrats-types adoptés par décret s’appliquent de plein droit, à chaque fois que les parties n’ont pas convenu de stipulations contraires ou n’ont pas conclu de contrat (articles L.1432-4 et L.1432-12 du Code des transports).
Trois d’entre eux (dont le contrat type sous-traitance de transport) prévoient des durées de préavis en cas de rupture qui s’avèrent plus courtes que la durée des délais fixés par les juridictions en matière de rupture brutale des relations commerciales établies, fondés sur le texte de droit commun, l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce . Dès lors, certaines victimes d’une rupture des relations commerciales gouvernées par l’un de ces trois contrats-types tentent d’exciper des dispositions du droit commun plutôt que de celles des contrats-types.
De ce point de vue, les positions adoptées en jurisprudence ont varié au fil du temps. Ainsi, la Cour de cassation a d’abord considéré que l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, prévoyant une responsabilité de nature délictuelle, ne pouvait trouver à s’appliquer « lorsque le contrat-type […] régit, faute de dispositions contractuelles, les rapports du sous-traitant et de l’opérateur de transport » (Cass. Com., 4 octobre 2011, n°10-20240). Puis plus récemment, pour déterminer le délai de prescription de l’action en rupture brutale d’un contrat de sous-traitance de transport (prescription d’un an propre au transport ou prescription de droit commun de cinq ans), elle a considéré que l’action en rupture brutale des relations commerciales établies nées d’un contrat de transport, engagée sur le fondement l’article L. 442-6 I 5°, ne relevait pas de la prescription annale (Cass. Com., 1er octobre 2013, n°12-23456).
Mais dans ce même arrêt du 1er octobre 2013, la Cour de cassation avait établi la durée du préavis raisonnable par référence au contrat-type de sous-traitance, applicable au cas d’espèce, semblant ainsi faire jouer concomitamment les deux textes.
Nous avions, à l’époque, proposé une interprétation de cette décision, consistant à considérer que l’action en rupture brutale des relations commerciales, dans le cadre d’une activité de transport régie par un contrat-type, est une action de nature délictuelle, mais que la durée du préavis qui doit être respectée est celle prévue par le contrat-type applicable, celui-ci correspondant aux usages du commerce (voir sur ce point notre Lettre des réseaux de distribution de décembre 2013).
C’est cette position que la cour d’appel de Paris semble avoir récemment adopté, en jugeant que « l’application de l’article L. 442-6 1 5° est indépendante de l’existence d’un contrat cadre ou d’une convention écrite entre les parties, mais exige uniquement des relations commerciales établies […] ; qu’en présence de contrats-types régissant les rapports commerciaux toutefois, ceux-ci sont réputés refléter les usages du commerce« . La cour de Paris accueille donc le recours fondé sur les dispositions du Code de commerce pour caractériser l’existence d’une relation commerciale établie selon les critères prétoriens dégagés (« relations assidues« , « volume d’affaires important » « collaboration suivie« ), et fixe la durée du préavis raisonnable par référence aux délais indiqués dans le contrat-type sous-traitance de transport applicable (CA Paris, 10 septembre 2014, n°12/11809).
Il aurait pu, dès lors, être considéré que l’on s’orientait vers une généralisation de cette interprétation dégagée par la Cour de cassation le 1er octobre 2013.
Ce serait sans compter une nouvelle décision de ladite Cour du 23 septembre 2014 rendue dans la désormais célèbre affaire Gefco/Locatex (même affaire que pour l’arrêt précité du 4 octobre 2011). Il y est jugé que « l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ne s’applique pas aux relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants lorsque le contrat-type […] régit, faute de stipulations contractuelles, les rapports du sous-traitant et de l’opérateur de transport » (Cass. Com., 23 septembre 2014, n°12-27387). Cette décision se veut de principe, puisqu’elle doit être publiée au bulletin des arrêts de la Cour de cassation (comme du reste les deux arrêts précédents).
Que peut-on déduire de cette valse-hésitation ? S’agit-il d’un retour à une analyse plus orthodoxe, après une décision du 1er octobre 2013 surprenante, il est vrai ? Il faudra probablement attendre une nouvelle décision pour s’en assurer.
Auteur
Francine Van Doorne-Isnel, avocat counsel en matière le droit du transport routier, droit de la distribution et droit commercial.