Anticorruption : quand la prévention devient obligation
17 mai 2016
La loi Sapin II va obliger les entreprises de plus de 500 salariés ou appartenant à un groupe dont le chiffre d’affaires consolidé est de plus de 100 millions d’euros à se doter d’un dispositif de prévention des actes de corruption.
Présentation de l’obligation de prévention
Le projet de loi Sapin II, qui sera débattu à l’Assemblée nationale cet été, vise à aligner le droit français sur le principe anglo-saxon selon lequel la corruption ne peut se combattre efficacement qu’au moyen de mesures préventives.
En l’état actuel du projet de loi, deux des dispositions proposées auront sûrement un impact majeur dans la gestion quotidienne des entreprises. La première de ces dispositions prévoit une obligation de prévention des actes de corruption dans les entreprises employant au moins 500 salariés ou appartenant à un groupe de sociétés dont l’effectif comprend au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros. La deuxième disposition crée une nouvelle peine dite «de mise en conformité» que le juge pourrait prononcer si la personne morale était condamnée pour un manquement à la probité et qui imposerait sa soumission, pendant un maximum de 5 ans, à un programme de mise en conformité de ses procédures.
Le projet de loi et les rapports du gouvernement ne cachent pas la volonté du législateur français de faire de ces dispositions une «corporate offence» à la française à l’instar de l’infraction instaurée par la loi anti-corruption du Royaume Uni (le «Bribery Act» 2010). La «corporate offence» est constituée par le manquement d’une entreprise à son obligation de mettre en œuvre un mécanisme efficace de prévention de la corruption. Le droit anglais prévoit que dès lors qu’une personne «associée à une entreprise» en corrompt une autre au profit de cette entreprise, cette dernière encourt une responsabilité de plein droit sauf à démontrer qu’elle a mis en place toutes les mesures de nature à empêcher qu’une telle infraction ne soit commise. La particularité de cette mesure réside, d’une part, dans le fait que c’est à l’entreprise de démontrer l’adoption d’un programme efficace et, d’autre part, dans la sanction pénale pouvant entraîner l’application de peines complémentaires telles que l’interdiction d’accès aux marchés publics. En outre, dans le système du Royaume Uni, le montant de l’amende est déplafonné ce qui laisse au juge anglais une grande liberté d’appréciation.
En France, le respect de l’obligation de prévention sera assuré par le service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption qui devrait bientôt être créé. En cas de manquement, ce service pourra adresser une injonction de mise en conformité ou infliger une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 200 000 euros pour les personnes physiques et à 1 million d’euros pour les personnes morales.
Il s’avère donc que, sans être aussi dure que la loi anglaise, le dispositif présenté au Conseil des ministres exige que les entreprises françaises mettent en place des programmes de prévention plus complets que par le passé.
Au sein de l’entreprise : comment rendre opposable aux salariés ce programme de prévention ?
Comme cela a été fait dans de nombreuses sociétés pour la réglementation Sarbanes Oxley ou pour la conduite à tenir en matière d’informatique ou de déontologie, il semble qu’une partie du programme de prévention devrait être annexée au règlement intérieur des entreprises.
• Le règlement intérieur présente trois avantages
Tout d’abord, la procédure d’élaboration et de mise en place du règlement intérieur est relativement simple. En effet, il suffira de consulter le CE et le CHSCT sur le projet, de le déposer à l’Inspection du travail qui pourra s’assurer de la conformité des règles mises en place, puis de l’afficher dans l’entreprise. Ensuite, cette procédure permet de rendre les règles opposables à tous les salariés présents lors de l’entrée en vigueur ou embauchés ultérieurement. Enfin, en cas de modification des règles, il suffira de mettre en œuvre la même procédure.
• Le règlement intérieur présente toutefois deux limites
En premier lieu, il faut veiller à ce que les règles adoptées soient claires, objectives et nécessaires à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise. En second lieu, il faut rappeler que le règlement intérieur ne peut comporter que des sujets limitativement énumérés par le Code du travail parmi lesquels figurent les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité, ainsi que les règles générales et permanentes relatives à la discipline. Ainsi, toute stipulation ou annexe excédant les sujets limitativement prévus risquent de faire l’objet d’une demande de retrait de la part de l’Inspection du travail. Par conséquent, il faudra veiller à bien présenter la partie du programme de prévention qui concerne les salariés comme une liste de règles générales susceptibles en cas de non-respect de faire l’objet de sanctions disciplinaires.
D’autres mesures telles que la préparation d’un dispositif de formation ou des procédures de contrôle comptable devront être mises en place en parallèle.
Vis-à-vis des tiers : une obligation de vigilance accrue
L’une des mesures phare du programme de prévention est la mise en place de «procédures d’évaluation de la situation des clients et fournisseurs de premier rang ainsi que des intermédiaires au regard de la cartographie des risques».
Cette mesure fait peser deux obligations sur les entreprises. Premièrement, elles auront la charge de réaliser une cartographie des risques qui, selon le projet de loi est un document destiné à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption. Deuxièmement, le projet exige une vigilance accrue des entreprises concernées à l’égard de leurs clients et partenaires commerciaux (fournisseurs, sous-traitants et intermédiaires …).
Certaines lois étrangères de lutte contre la corruption exigeaient déjà, dans leur dimension extraterritoriale, des entreprises internationales qu’elles se dotent de programmes de conformité. La France devrait bientôt franchir ce pas en alourdissant les impératifs de prévention existants.
Auteurs
Alain Herrmann, avocat associé en droit social.
Stéphanie de Giovanni, avocat, membre du Barreau de New York, droit commercial et contrats internationaux.
Anticorruption : quand la prévention devient obligation – Article paru dans Les Echos Business le 17 mai 2016
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