Actualité jurisprudentielle en matière d’inaptitude : reflet d’un évènement piégeux pour l’employeur
6 avril 2023
Mener une procédure de licenciement pour inaptitude d’un salarié dès lors qu’elle a été constatée par le médecin du travail implique pour l’employeur autant d’étapes à appréhender que de précautions à prendre.
Du constat de l’inaptitude du salarié à la notification de son licenciement, nous revenons brièvement sur plusieurs arrêts rendus au cours des derniers mois.
L’avis d’inaptitude : le « point de départ » de la procédure soumis à un contrôle étendu du juge en cas de contestation
«Les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale» (1) peuvent être contestés devant le Conseil de prud’hommes dans le cadre d’une procédure de référé, dans un délai de 15 jours courant à compter de leur notification.
Une décision de la Cour de cassation du 7 décembre 2022 (2) synthétise l’étendue du contrôle du juge de l’avis d’inaptitude, conformément à son avis rendu l’année précédente (3).
La Cour de cassation énonce qu’en cas de contestation d’un avis d’inaptitude, le Conseil de prud’hommes est compétent pour examiner «les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s’est fondé pour rendre son avis».
Elle ajoute que la décision prud’homale se substitue alors à l’avis après avoir, le cas échéant, ordonné toute mesure d’instruction (auprès d’un médecin inspecteur du travail notamment afin de l’éclairer sur les questions de fait liées à l’état de santé du salarié).
En l’occurrence, un salarié contestait l’avis d’inaptitude établi à son encontre dans la mesure où il n’avait été précédé d’aucune étude de poste et des conditions de travail dans l’établissement ; la procédure était donc irrégulière.
Toutefois, ayant constaté que l’inaptitude ne résultait pas des conditions de travail mais d’une dégradation des relations en cours d’arrêt maladie ayant entraîné des conséquences psychiques sur le salarié, les juges d’appel ont considéré que l’absence d’étude de poste et des conditions de travail récente n’avait aucun impact sur l’avis rendu, qui a donc été validé.
La Haute Juridiction approuve leur position et admet ainsi que l’irrégularité de la procédure ne peut suffire à invalider le constat de l’inaptitude d’un salarié.
Il s’agit là d’une application de l’avis qu’elle a rendu en 2021 : le juge du fond n’est pas juge de la régularité de la procédure mais doit répondre à la question de fond, à savoir l’aptitude du salarié à occuper son poste de travail. La procédure suivie par le médecin du travail constitue seulement un élément d’appréciation de cette aptitude.
L’obligation de reclassement du salarié : un « passage obligé » de la procédure toujours plus encadré
Le Code du travail énonce que l’employeur doit tenter de reclasser le salarié déclaré inapte par le médecin du travail sur tout poste approprié à ses capacités, aussi comparable que possible au poste précédemment occupé et prenant en compte les conclusions écrites du médecin du travail (sauf hypothèses de dispense de reclassement).
Les recherches de reclassement s’effectuent «au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel» (4).
Deux arrêts récents ont précisé les frontières de l’obligation de reclassement.
D’une part, la Cour de cassation a logiquement jugé le 14 décembre 2022 (5) que l’employeur n’a pas à étendre ses recherches de reclassement au sein d’un groupe de sociétés intégré après le licenciement.
Le périmètre des recherches de reclassement est figé à la date de notification du licenciement. Selon la Cour de cassation, il est donc vain qu’un salarié invoque un projet de restructuration ou la constitution à venir d’un groupe de sociétés pour tenter d’élargir le périmètre de l’obligation de reclassement de son employeur.
D’autre part, plus contraignant pour l’employeur, dans une décision du 29 mars 2023 (6), la Cour de cassation admet l’extension du périmètre des recherches de reclassement au domicile du salarié dans le cadre du télétravail, même si ce mode d’organisation du travail n’est pas prévu dans l’entreprise.
Cette solution se justifie en l’espèce par les préconisations du médecin du travail, qui avait indiqué dans son avis que le salarié pouvait occuper un poste aménagé en télétravail à son domicile, sans déplacement et à temps partiel.
Aussi, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui relève que, dès lors le poste occupé par le salarié inapte était susceptible d’être réalisé essentiellement selon ces préconisations, l’employeur se devait de reclasser le salarié dans une situation de télétravail.
Cependant, la Haute juridiction ne crée pas selon nous une obligation générale de reclassement du salarié déclaré inapte en télétravail, dès lors que le médecin du travail n’indique aucune préconisation en ce sens et que ce mode d’organisation du travail est incompatible avec le poste occupé par le salarié.
Le prononcé du licenciement : l’issue de la procédure régie par des règles strictes
Une fois le constat de l’inaptitude définitivement établi et les recherches de reclassement épuisées (ou en cas de dispense de reclassement), l’employeur n’a d’autre choix que de prononcer le licenciement du salarié.
Dans une décision du 14 décembre 2022 (7), la Cour de cassation a de nouveau rappelé que la lettre de licenciement devait mentionner non seulement l’inaptitude du salarié médicalement constatée, mais également l’impossibilité de le reclasser dans un autre emploi.
Contrairement à ce qu’avait jugé la Cour d’appel, cette impossibilité ne se déduit pas et doit faire l’objet d’une mention expresse au sein du courrier de licenciement, sans quoi le motif de ce licenciement n’est pas suffisamment précis.
Face à l’enjeu découlant de l’oubli de cette mention, à savoir l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement (8) (et des sanctions spécifiques si l’inaptitude a une origine professionnelle), la rédaction de la lettre de licenciement implique une attention particulière, d’autant plus que la Cour de cassation a précisé le même jour que cette mention peut être recherchée d’office par le juge (9).
Autre alerte à l’égard de l’employeur confronté au constat de l’inaptitude par le médecin du travail d’un de ses salariés : ce dernier ne peut être licencié pour un autre motif, quand bien même une procédure disciplinaire a été engagée antérieurement à son encontre. Cela ressort d’une décision de la Cour de cassation du 8 février 2023 (10), particulièrement piégeuse pour les employeurs.
La motivation de la Haute Juridiction est la suivante : dans la mesure où les articles L.1226-2 et L.1226-2-1 du Code du travail sont d’ordre public, l’employeur ne peut prononcer le licenciement du salarié déclaré inapte et dont le reclassement est impossible «pour un motif autre que l’inaptitude», l’engagement d’une procédure disciplinaire antérieure au constat de l’inaptitude étant indifférent.
Elle casse ainsi l’arrêt d’appel ayant jugé que l’inaptitude du salarié n’empêchait pas l’employeur de le licencier pour faute lourde à l’issue d’une procédure initiée avant le constat de l’inaptitude du salarié.
Les conséquences sont loin d’être neutres sur un plan indemnitaire. Il semble sévère pour l’employeur de considérer qu’un salarié déclaré inapte est de facto « gracié » de toutes ses fautes professionnelles antérieures.
La Cour de cassation avait déjà considéré que le licenciement pour inaptitude prévalait sur le licenciement économique (11) ou disciplinaire dans le cadre d’une procédure engagée après le constat de l’inaptitude (12).
Elle renforce ainsi sa ligne jurisprudentielle très protectrice de la procédure de licenciement pour inaptitude, en cantonnant le licenciement du salarié inapte pour un autre motif au seul cas de la cessation d’activité de l’entreprise, dans la mesure où l’impossibilité de reclassement du salarié était dans ce cas inéluctable (13).
Xavier Cambier, Avocat Counsel et Camille Allouchery, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocat
(1) Article L.4624-7 du Code du travail
(2) Cass. soc. 7 décembre 2022, n° 21-17.927
(3) Cass. avis 17 mars 2021, n° 21-70.002
(4) Articles L.1226-2 et L.1226-10 du Code du travail
(5) Cass. soc. 14 décembre 2022, n° 21-18.524
(6) Cass. soc. 29 mars 2023, n° 21.15-472
(7) Cass. soc. 14 décembre 2022, n° 21-17.664
(8) Cass. soc. 14 septembre 2022, n° 21-14.719
(9) Cass. soc. 14 décembre 2022, n° 21-19.112
(10) Cass. soc. 8 février 2023, n° 21-16.258
(11) Cass. soc. 10 mai 2012, 11-11.854
(12) Cass. soc. 20 décembre 2017, n° 16-14.983
(13) Cass. soc. 25 septembre 2021, n° 19-25.613
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