Achat d’un téléphone mobile à prix préférentiel couplé à la souscription d’un forfait téléphonique plus cher : les règles protégeant le consommateur à crédit s’appliquent
Nouvel épisode dans la guerre que se livrent entre eux les opérateurs de télécommunications pour dominer le marché : Free a contesté devant les tribunaux la régularité d’une opération commerciale de SFR, proposée entre juin 2011 et septembre 2012.
Il s’agissait d’une offre couplée : la souscription d’un forfait « Carré » associé à une offre « prix Eco ». Les consommateurs qui souhaitaient acquérir un téléphone mobile au moment de la souscription de leur forfait avaient le choix entre :
- l’acquérir à un prix de référence catalogue, en souscrivant à un abonnement à prix « Eco » ; ou
- l’acheter à un prix « attractif », en payant un abonnement téléphonique un peu plus cher pendant 12 ou 24 mois, l’abonnement repassant ensuite à prix « Eco ».
Free, considérant que cette opération constituait en réalité une opération de crédit à la consommation, a assigné SFR, arguant d’une pratique commerciale trompeuse à l’égard des consommateurs, et d’un agissement constitutif de concurrence déloyale à l’égard des autres opérateurs de télécommunications. SFR a ensuite demandé reconventionnellement réparation de son préjudice né des agissements dénigrants de sa concurrente.
Pour déterminer si l’offre couplée de SFR constitue un prêt à la consommation, la Cour de cassation se fonde sur la définition de l’article L.311-1 du Code de la consommation, selon laquelle est un contrat de crédit le « contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit […], sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt, y compris sous forme de découvert ou de toute autre facilité de paiement similaire […] et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture ». Elle réfute la conclusion de la Cour d’appel, qui avait considéré qu’il n’existait aucun engagement du consommateur de payer l’entièreté du prix d’acquisition du terminal téléphonique de manière échelonnée, et qu’il n’était pas davantage établi que les mensualités versées correspondaient audit prix d’acquisition.
Ces arguments sont jugés impropres à exclure la qualification d’opération de crédit, celle-ci s’entendant, à la lettre du Code de la consommation, de « toute facilité de paiement ». La Cour d’appel aurait donc dû rechercher si « le report du prix d’achat du mobile sur le prix de l’abonnement en cas d’acquisition d’un terminal mobile à un prix symbolique n’était pas établi par le fait que la majoration mensuelle du forfait imposée au consommateur était concomitante à la réduction substantielle du prix du mobile », ce qui, d’après la Haute juridiction, ne peut trouver d’autre explication logique. Il s’agit donc d’une opération de crédit à la consommation, quand bien même SFR ne serait pas assurée de rentrer intégralement dans ses frais lors du paiement des échéances du forfait majoré. Le transfert immédiat de la propriété du terminal n’est pas non plus propre à écarter la qualification d’opération de crédit, dès lors que le Code de la consommation n’énonce aucune exigence tenant à une éventuelle réserve de propriété du bien jusqu’au terme des paiements (Cass. com., 7 mars 2018, n°16-16.645).
La société SFR ne peut enfin faire valoir l’indivisibilité des contrats de vente de téléphone et d’abonnement, et faire qualifier l’opération de « contrat de fourniture de services ou de bien à exécution successive de même nature ». C’est pourtant l’argumentaire qu’avait reçu la Cour d’appel, qui avait jugé que ce type de contrat étant exclu du champ d’application de l’article L.311-1 du Code de la consommation, il n’y avait pas pratique commerciale trompeuse. La Cour de cassation casse la décision d’appel sur ce point également, jugeant que ne peut être ainsi qualifiée une opération consistant à livrer un produit dont le prix est payé par des versements échelonnés, intégrés chaque mois dans la redevance d’un abonnement souscrit pour un service associé.
Les contrats couplés d’acquisition d’un terminal mobile à prix préférentiel et d’abonnement téléphonique à un prix plus important doivent donc être qualifiés d’opération de crédit à la consommation, et doivent respecter la réglementation afférente. SFR n’ayant pas mis en œuvre, dans ce cadre, les dispositions du Code de la consommation, il y avait bien de sa part une pratique commerciale trompeuse.
La Cour de cassation confirme néanmoins la condamnation de Free pour dénigrement, la société ayant informé le public du caractère trompeur des pratiques de SFR avant toute condamnation judiciaire. Le dirigeant de Free avait en effet largement fait savoir dans la presse qu’une action en justice avait été introduite. La Haute juridiction considère que cet agissement ne saurait relever de la liberté d’expression, et ne peut davantage être couvert rétrospectivement par l’exception de vérité. La condamnation à verser une somme de 500 000 euros en réparation du préjudice subi est donc confirmée.
La société Free s’est néanmoins réjouie de la décision de la Cour de cassation dans un communiqué de presse du 9 mars 2018, dans lequel elle estime pouvoir toucher « un marché supplémentaire de 17 millions d’abonnés engagés dans ce type de forfait », qu’elle ne proposait pas jusque-là . Un tiers des abonnés à un service de téléphonie mobile recourt en effet encore à ce type de service couplé (observatoire des marchés des communications électroniques en France 1er trimestre 2018 – 5 juillet 2018, page 4).
Auteurs
Hélène Chalmeton, juriste au sein du Département droit des affaires, en charge du knowledge management