Accord de performance collective : fermeture de site et modalités de négociation dérogatoire
9 mars 2023
Les accords de performance collective (APC) ont été créés par les ordonnances Macron de 2017.
Depuis ils sont réglementés par l’article L.2254-2 du Code du travail. Il s’agit d’un nouvel outil parmi les outils mis en place pour accompagner les restructurations (rupture conventionnelle collective, congé de mobilité, etc.). Leur principal impact est de permettre de modifier le contrat de travail des salariés et de sécuriser le licenciement des salariés qui le refuseraient sans que soit exigé un motif économique de licenciement.
La jurisprudence est encore balbutiante. C’est la raison pour laquelle il est intéressant d’examiner les premières décisions rendues par les juges du fond.
Un arrêt récent de la cour d’appel de Nancy vient d’être rendu au sujet d’un accord de performance collective (Cf. en PJ, CA Nancy, 6 février 2023, n° 21/03031).
En l’espèce, un «accord de performance collective mobilité interne» a été annulé pour des raisons de forme dans la négociation dérogatoire avec le comité social et économique (CSE) puisqu’il n’y avait pas de délégué syndical dans l’entreprise.
L’exigence d’un strict respect des règles de négociation dérogatoire
Il ressort de cette décision que la Cour attache une attention particulière au respect des règles de négociation : «La validité d’un tel accord, au regard des enjeux d’une portée considérable s’agissant des salariés, doit donc être appréciée en s’assurant du respect scrupuleux des règles de négociation définies, s’agissant des accords conclus dans les entreprises dépourvues de délégué syndical et de conseil d’entreprise – situation qui n’est pas contestée être celle dans laquelle se trouve la [société] -, aux articles L.2232-27 et suivants du code du travail, à défaut de quoi sa nullité est encourue.»
En l’occurrence, il est reproché à l’employeur de ne pas avoir fait application des dispositions de l’article L.2232-29 du Code du travail qui s’appliquent en cas de négociation dérogatoire et qui prévoient notamment que la négociation entre l’employeur et le CSE se déroule en respectant la «concertation avec les salariés» et que cette obligation ne repose pas seulement sur le CSE.
Or, la Cour relève qu’«il n’est pas contesté que les salariés n’ont été à aucun moment de la négociation consultés et sollicités, par l’intermédiaire de la direction ou de leurs représentants.»
Selon l’arrêt, «il appartenait à l’employeur soit de procéder lui-même à la consultation des salariés, soit de s’assurer que les salariés élus y procéderaient dans le cadre d’un accord de méthode, dans la mesure où cette concertation est fixée non dans l’intérêt des parties à l’accord, mais au profit des salariés concernés par son application».
«Dès lors, l’absence de la phase indispensable de concertation avec les salariés entache la régularité des conditions dans laquelle l’accord de performance collective a été conclu.»
Faute d’avoir respecté cette règle de concertation, qui relève de la forme de la négociation et non du fond de l’accord, celui-ci est annulé.
Cela confirme en tout état de cause qu’en matière de négociation dérogatoire, il est impératif de respecter scrupuleusement les règles de négociation, faute de quoi la validité même de l’accord qui aurait été signé serait entachée.
La reconnaissance du possible recours à la négociation dérogatoire pour la signature d’un APC
L’arrêt confirme par ailleurs qu’un accord de performance collective peut parfaitement être négocié et signé selon une forme dérogatoire de négociation avec le CSE. La négociation collective avec les délégués syndicaux désignés par les organisations syndicales représentatives n’est donc pas la seule possibilité de négociation d’un APC.
La reconnaissance du possible recours à l’APC dans le cas d’une fermeture de site
De surcroît, la Cour confirme la possibilité de recourir à l’APC en cas de fermeture de site et ce, en prenant le contrepied des précisions administratives figurant dans le questions-réponses publié par le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion en juillet 2020.
Le ministère du Travail y indique en effet que : «l’accord de performance collective ne peut pas être utilisé pour la fermeture définitive d’un site ou d’un établissement, lorsque cette fermeture entraîne un déménagement de l’intégralité des postes et fonctions du site ou de l’établissement et que les conditions de reclassement proposées aux salariés par l’employeur dans le cadre de l’accord présentent des caractéristiques telles qu’un refus de la très grande majorité des salariés concernés peut être anticipé avec un degré de certitude élevé (ex : déménagement d’un site à plusieurs centaines de kilomètres entraînant une nécessaire mobilité géographique des salariés).
En effet, l’accord de performance collective ne saurait se substituer aux dispositions applicables en matière de licenciement collectif pour motif économique qui s’imposent à tout employeur dont la situation correspond aux prévisions légales. L’utilisation de l’accord de performance collective dans une telle situation pourrait être constitutive d’un abus de droit destiné à contourner les dispositions prévues aux articles L.1233-2 et suivants du Code du travail, cette infraction étant susceptible d’être relevée par voie de procès-verbal transmis au Procureur de la République par l’inspection du travail, conformément aux dispositions de l’article L.8113-7 du même code.»
Cette précision semait le doute sur le principe du recours à l’APC en cas de fermeture de site. Le ministère du Travail l’interdisait mais semblait limiter cette interdiction à des cas bien identifiés (déménagement de l’intégralité des postes et des conditions de reclassement insuffisantes aboutissant à ce que la très grande majorité des salariés refusent la mobilité géographique), ce que certains semblaient oublier en retenant une interprétation extensive et absolue de cette interdiction : l’APC ne peut en aucun cas être utilisé en cas de fermeture d’établissement.
Pour autant rien dans l’article L.2254-2 du Code du travail n’allait en ce sens et ne permettait de justifier cette position absolue et excessive, dès lors que, aux termes de cette disposition, l’APC peut légitimement «déterminer les conditions de la mobilité […] géographique interne à l’entreprise».
La cour d’appel de Nancy a quant à elle précisé : «Les appelants contestent la validité de l’accord au motif d’une part qu’il organise la fermeture d’un site, ce qui ne correspondrait pas au périmètre des accords de performance collective et d’autre part qu’il a abouti à une compression des effectifs, les salariés licenciés pour n’avoir pas accepté la modification de leur contrat de travail n’ayant pas été remplacés.
Or, sur le premier point, [le juge reconnait qu’] une telle limitation n’est pas prévue à l’article L.2254-2 du code du travail. En outre, l’accord de performance collective peut être conclu pour une durée indéterminée en application de l’article L.2222-4 du code du travail – comme c’est le cas en l’espèce -, ce qui autorise des mesures irréversibles. Enfin, un tel accord pouvant déterminer les conditions de la mobilité (…) géographique interne à l’entreprise, il s’en déduit qu’il peut organiser le transfert de la totalité des effectifs affectés à un site sur un autre site de l’entreprise et la fermeture du premier.»
Sur le second point, la Cour apporte toutefois un garde-fou : «En revanche, un accord de performance collective ne peut avoir pour objet ou pour effet de supprimer des postes, s’agissant uniquement d’aménager les conditions de travail, concernant la durée et l’organisation du travail, la rémunération et la mobilité professionnelle et géographique des salariés. Il convient donc que l’employeur, qui seul dispose des éléments probatoires, justifie du remplacement par de nouveaux salariés de l’ensemble des salariés licenciés pour n’avoir pas accepté la modification de leur contrat de travail.»
Cette dernière précision peut se comprendre mais ne devrait pas être absolue, l’employeur pouvant adapter son projet et ne pas forcément remplacer tous les postes qui ne seraient pas transférés.
Là encore, l’article L.2254-2 du Code du travail n’interdit pas expressément que la mise en œuvre d’un APC puisse entrainer des suppressions de poste.
Toutefois, il est vrai que si l’employeur ne remplaçait pas tous les postes, il pourrait y avoir un abus de droit et un détournement de l’objet de l’APC alors que d’autres outils tels que la rupture conventionnelle collective (RCC) ou le licenciement économique collectif auraient été plus appropriés.
Il convient donc de rester prudent sur le sujet et de ne pas commettre d’abus dans le recours à l’APC en veillant à remplacer les salariés licenciés en application de l’APC.
Cet arrêt est donc très important et confirme qu’il n’existe aucune incompatibilité de principe entre un accord de performance collective et une fermeture de site.
Il parait en tout état de cause prudent de bien remplacer sur le site d’accueil tous les salariés (ou une très grande majorité) qui refuseraient leur transfert. Ainsi aucune suppression de poste ne serait effectuée au sein de l’entreprise et aucune critique ne pourrait être faite à l’APC.
Comme tous ces nouveaux outils qui peuvent avoir des effets puissants, il est donc recommandé de les manier avec précaution et réflexion.
Guillaume Bossy, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Lyon Avocats
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