Accord de coexistence de marques : l’esprit et la lettre
Après l’annulation, en 1997, par le tribunal de grande instance du Mans de deux marques semi-figuratives de la société Microcaz, sur demande reconventionnelle de la société Oceanet titulaire d’un nom de domaine antérieur, les parties s’étaient rapprochées et avaient conclu en 2000 un protocole transactionnel de coexistence des marques en cause.
Par la suite, estimant que cet accord n’avait pas été respecté par son cocontractant, la société Oceanet a introduit une nouvelle requête. Dans ce cadre, la cour d’appel d’Angers a eu l’occasion de rappeler le principe selon lequel, en vertu de l’article 2048 du Code civil, les transactions doivent être interprétées de façon restrictive (CA Angers, ch. A, 26 janvier 2015, RG n°12/02447, Oceanet Technology / Microcaz ).
Tout d’abord, la société Oceanet reprochait à la société Microcaz d’avoir fait évoluer ses marques de manière non conforme à l’accord de coexistence. Celui-ci prévoyait que « Microcaz s’engage à utiliser ses deux marques semi figuratives ainsi que ses éventuelles marques déclinées avec tous les éléments figuratifs qui les composent et les distinguent« . Or, devant la cour d’appel d’Angers, il était précisément reproché à celle-ci d’avoir fait évoluer ses marques sans utiliser les éléments figuratifs composant et distinguant ces dernières, à savoir une paire d’yeux. A cela, la société Microcaz opposait que la faculté offerte par le protocole d’effectuer de nouveaux dépôts de marques impliquait que les parties entendaient se laisser la possibilité de modifier leurs marques d’origine. En l’espèce, la dénomination Oceanet avait été associée à un logo composé de trois flammes de couleur différente formant un cercle.
Sur ce point, la Cour juge que Microcaz avait certes « la possibilité de faire évoluer l’identité graphique de ses marques« , mais devait le faire en reprenant les « éléments figuratifs de ses deux marques d’origine« . Et les juges de détailler par la suite les modalités de cette évolution qui aurait pu se manifester par « l’adjonction de mots, de formes, de dessins pourvu que dans ses marques déclinées, qu’il n’est certes pas obligatoire de déposer mais qui peuvent néanmoins l’être, et ses nouvelles marques déposées, elle ait pris le soin de conserver les éléments figuratifs distinctifs initiaux« . Ainsi, l’association des éléments figuratifs des deux marques de la société Microcaz étant, aux termes du protocole, le critère discriminant des marques appartenant à Oceanet, les juges n’ont eu d’autre choix que d’enjoindre à Microcaz de n’utiliser le terme Oceanet qu’en association avec les éléments figuratifs précités.
Par ailleurs, l’accord de coexistence contenait une clause prohibant l’installation physique de la société Oceanet dans la région mancelle. Microcaz lui reprochait d’avoir violé cette clause en proposant ses services par l’intermédiaire de deux sociétés mancelles, et d’avoir démarché des prospects dans le périmètre concerné. Cependant, les juges ont considéré que ces faits ne correspondaient pas à la définition contractuellement prévue de l’installation physique. En conséquence, la société Oceanet n’avait pas violé l’accord de coexistence.
Enfin, le protocole prévoyait le partage d’une page d’accueil commune sur Internet sous le nom de domaine oceanet.fr, géré par la société Oceanet, chacune des deux sociétés étant présentée sur une moitié de la page renvoyant vers son propre site Internet. Microcaz reprochait à Oceanet de ne pas avoir respecté ses engagements. En effet, lors d’une recherche sur Google, seules les coordonnées de cette dernière apparaissaient dans la liste des résultats pour le domaine litigieux. La cour d’appel d’Angers répond cependant que le protocole ne prévoyait aucune obligation pour Oceanet quant au référencement sur les moteurs de recherche. Il ne saurait donc lui être reproché un quelconque manquement à cet égard.
Ce principe d’interprétation restrictive a indéniablement les faveurs de la jurisprudence. L’article 2049 du Code civil impose néanmoins de prendre en considération « la suite nécessaire de ce qui est exprimé » dans la transaction, autorisant ainsi une certaine marge interprétative, dont a peu fait usage la cour d’appel. De ce fait, la prudence commande la plus grande attention lors de la rédaction des accords de coexistence, qui ont pour la plupart le caractère de transaction.
Auteurs
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.
Thomas Livenais, juriste en droit de la propriété intellectuelle