Accident du travail : pas de licenciement pour faute grave sans manquement à l’obligation de loyauté
5 juillet 2021
« Pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’employeur peut seulement, dans le cas d’une rupture pour faute grave, reprocher au salarié des manquements à l’obligation de loyauté ». C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt non publié rendu en février 2021 (Cass. soc., 3 février 2021, n°18-25.129).
Dans cette affaire, un salarié en arrêt de travail pour accident du travail depuis le 17 décembre 2014 avait été licencié pour faute grave le 30 décembre de la même année en raison de retards répétés et fréquents à sa prise de service, en dépit de l’avertissement prononcé en 2013, commis avant la suspension du contrat de travail, de leur impact sur l’organisation du service et de ses absences injustifiées.
Cette décision, pour le moins curieuse, est l’occasion de faire le point sur les conditions du licenciement pour faute grave du salarié dont le contrat de travail est suspendu en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
L’étendue de la protection des accidentés du travail contre le licenciement
L’article L.1226-9 du Code du travail institue au profit du salarié en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, une protection contre le licenciement.
Cette protection juridique des accidentés du travail s’applique dès lors que l’employeur a eu connaissance du caractère potentiellement professionnel de l’accident ou de la maladie, ce qui est le cas lorsque l’accident est survenu au temps et au lieu du travail (1) ou si le salarié a transmis à son employeur un certificat médical valant demande d’établissement de maladie professionnelle (2), peu important à cet égard qu’au jour du licenciement, l’employeur ait été informé d’un refus de prise en charge au titre des accidents du travail ou des maladies professionnelles (3).
En outre, cette protection joue pendant toute la période de suspension du contrat de travail, c’est-à-dire non seulement pendant la durée de l’arrêt de travail proprement dit mais aussi pendant le délai d’attente et la durée du stage de réadaptation, de rééducation ou de formation professionnelle que doit suivre l’intéressé (4).
A cet égard, considérant que l’art R. 4624-31 du Code du travail fait obligation de soumettre le salarié absent depuis au moins 30 jours pour cause de maladie ou d’accident professionnel ou non, à une visite de reprise auprès du médecin du travail, la Cour de cassation en a déduit que le contrat de travail d’un salarié en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle est suspendu jusqu’à la date de la visite de reprise et non jusqu’à la date de la reprise effective du travail (5).
Le licenciement reste possible en cas de faute grave
La loi autorise néanmoins le licenciement du salarié dont le contrat de travail est suspendu à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle soit en raison de l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif non lié à la maladie ou à l’accident, soit en raison d’une faute grave.
Rappelons à cet égard que l’exigence d’une faute grave subsiste même si le licenciement est notifié après la fin de la période de protection dès lors que les faits en cause ont été commis pendant cette période (6) .
Tout licenciement prononcé en dehors des deux cas autorisés est nul (7). Le salarié est alors en droit de demander en justice soit sa réintégration et les salaires correspondant à la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, soit une indemnisation (indemnités de rupture et indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement moins égale aux salaires des six derniers mois).
Au terme d’une jurisprudence constante, la faute grave se définit comme la faute d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis et justifie la rupture immédiate du contrat de travail.
En principe, s’agissant d’un salarié dont le contrat est suspendu à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, la faute grave peut résulter :
-
- de faits commis par le salarié avant la suspension de son contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, tels que notamment des violences, des actes d’insubordination, des injures, des actes de harcèlement ou de vol ;
-
- de faits commis par le salarié qui sont à l’origine de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle. Ainsi, il a été jugé que constituaient une faute grave les manquements répétés du salarié au regard notamment des règles de sécurité les plus élémentaires de son art malgré une mise à pied précédente pour son comportement chez différents clients (8);
-
- de faits commis par le salarié pendant l’arrêt de travail.
S’agissant des faits commis pendant l’arrêt de travail, à l’instar de ce qui a été jugé à propos des accidents et maladies non professionnels, la jurisprudence décide que les faits commis pendant l’arrêt de travail ne peuvent justifier un licenciement pour faute grave que s’ils constituent un manquement à l’obligation de loyauté, seule obligation contractuelle qui subsiste pendant l’arrêt de travail (9).
Il a été jugé, par exemple, que ne constitue pas un manquement à l’obligation de loyauté l’exercice d’une activité, pour le compte d’une société non concurrente de celle de l’employeur, pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie d’origine non professionnelle(10) .
En revanche, le fait pour un salarié, basketteur professionnel dont le contrat de travail était suspendu à la suite d’un accident du travail, d’avoir refusé de se prêter aux soins nécessaires à la restauration de son potentiel physique, d’honorer le rendez-vous destiné à organiser les séances de kinésithérapie prescrites par le médecin traitant de l’équipe et de n’être pas demeuré à la disposition du kinésithérapeute pour suivre le protocole de soins est constitutif d’un tel manquement justifiant la rupture du contrat de travail pour faute grave (11).
Le manquement à l’obligation de loyauté, seul motif de licenciement pour faute grave du salarié en arrêt de travail pour accident du travail
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, les faits fautifs avaient été commis avant le début de l’arrêt de travail du salarié pour accident du travail. Il était en effet reproché au salarié des retards répétés à sa prise de service. Rien ne semblait donc s’opposer au licenciement du salarié, y compris pendant la suspension de son contrat de travail pour accident du travail, sous réserve que les fautes commises puissent bien recevoir la qualification de faute grave.
Pour dire que cette faute était caractérisée et le licenciement justifié, la Cour d’appel avait retenu que, compte-tenu de la fréquence de ces retards, de leur répétition en dépit de l’avertissement décerné en 2013, de leur impact sur l’organisation du service et de ses absences injustifiées, la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis était impossible.
Pourtant la Cour de cassation, sans remettre en cause l’appréciation des faits en cause, casse cette décision au motif que n’était pas caractérisé un manquement à l’obligation de loyauté, qui seul peut justifier le licenciement pour faute grave pendant la suspension du contrat de travail pour accident du travail.
Ainsi, même commis avant l’arrêt de travail, seuls les faits constitutifs d’un manquement à l’obligation de loyauté sont susceptibles de justifier un licenciement pour faute grave pendant la période de suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle.
Il s’agit d’un arrêt non publié. Néanmoins, si cette jurisprudence devait se confirmer, elle serait de nature à conférer au salarié une immunité disciplinaire. Désormais des faits, mêmes graves, commis avant l’arrêt de travail tels qu’un vol ou une agression physique, pourraient rester impunis au motif qu’ils ne sont pas constitutifs d’un manquement à l’obligation de loyauté à l’égard de l’employeur.
En effet, depuis 1996, la jurisprudence décide que, dès lors qu’une procédure de licenciement pour un motif non lié à l’accident ou à la maladie, peut être engagée au cours des périodes de suspension du contrat de travail provoquée par un accident du travail ou une maladie professionnelle, le délai de prescription de deux mois dont dispose l’employeur à compter de la connaissance des faits fautifs pour engager la procédure disciplinaire n’est ni suspendu ni interrompu pendant cette période (12).
L’employeur doit donc convoquer le salarié à un entretien préalable de licenciement dans ce délai peu important à cet égard que le contrat de travail du salarié soit suspendu pour accident du travail.
De la même façon, la Cour de cassation décide que le délai d’un mois dont dispose l’employeur – après la tenue de l’entretien préalable – pour notifier la sanction disciplinaire (13) n’est pas non plus suspendu ni interrompu du fait de la suspension du contrat de travail pour accident du travail (14).
Or, à défaut d’être notifié dans ce délai, le licenciement pour motif disciplinaire est en principe sans cause réelle et sérieuse. S’agissant du licenciement d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu pour accident du travail, le non-respect de ce délai entraînera la nullité du licenciement.
L’employeur doit donc engager la procédure disciplinaire dans les délais prescrits nonobstant le placement du salarié en arrêt de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle.
Il résultait déjà de la jurisprudence une impossibilité pour l’employeur de notifier au salarié son licenciement pour une faute commise avant l’arrêt de travail si l’absence se prolongeait au-delà du délai d’un mois suivant l’entretien préalable.
Désormais, en cas de prolongation de l’arrêt de travail au-delà du délai d’un mois suivant la tenue de l’entretien préalable, l’employeur pourrait également être dans l’impossibilité de procéder au licenciement pour faute grave du salarié si les faits en cause – commis avant l’arrêt de travail – ne sont pas constitutifs d’un manquement à l’obligation de loyauté.
Une seule possibilité subsisterait alors pour l’employeur, celle d’engager la procédure disciplinaire dans le délai prescrit de deux mois suivant la connaissance des faits et de notifier au salarié une sanction moindre, tel qu’un avertissement, dans le délai d’un mois suivant la date de l’entretien préalable.
Cette évolution jurisprudentielle, si elle poursuit l’objectif louable d’assurer la protection des salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison d’un accident du travail, risque de produire des effets pervers en favorisant des comportements opportunistes de la part de certains salariés qui pourraient être tentés d’obtenir la délivrance d’un arrêt de travail pour accident du travail afin d’échapper à une sanction disciplinaire pourtant justifiée compte tenu de la gravité des faits reprochés.
(1) Cass. soc., 29 juin 2011 n° 10-11.699
(2) Cass. soc., 17 janvier 2006 n° 04-41.754
(3) Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-11.699 ; Cass. soc. 18 septembre 2013, n° 11-27.721
(4) C. trav., art. L.1226-7
(5) Cass. soc., 6 mai 1998, n°96-40.506
(6) Cass. soc., 12 mars 2002, n°99-42.934
(7) C. trav., art. L.1226-13
(8) Cass. soc., 12 décembre 2011, n°10-18.683
(9) Cass. soc., 30 mars 2005, n°03-16.167
(10) Cass. soc., 26 février 2020, n° 18-10.017
(11) Cass. soc., 20 février 2019 n °17-18.912
(12) Cass. soc., 17 janvier 1996, n°92-42.031
(13) C. trav., art. L.1332-2
(14) Cass. soc., 19 janvier 2005, n°02-40.085
Article publié dans Les Echos le 05/07/2021
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