Qualification de l’activité des plates-formes en ligne : question trop complexe pour le référé
Le tribunal de grande instance de Paris, par ordonnance du 12 mai 2016, a refusé la demande du Syndicat national des transporteurs légers (SNTL) d’interdire l’activité de la plate-forme GoGoRunRun qui permet la mise en relation d’expéditeurs et de coursiers pour le transport de plis et de colis.
Le SNTL avait assigné la SARL GoGoRunRun en référé afin qu’il lui soit fait :
- interdiction de proposer ses services directement ou indirectement au public, qu’il s’agisse de transport de marchandises ou plus généralement de tout système de mise en relation avec des personnes se livrant à des activités mentionnées à l’article 3211-1 du Code des transports ;
- interdiction de proposer toute opération de facturation en relation avec ses services.
La décision vient souligner que les coursiers habilités à s’inscrire sur la plate-forme litigieuse étaient bien eux-mêmes inscrits au registre des transporteurs. La question à trancher était donc relative au seul statut de la SARL GoGoRunRun, dont le SNTL soutenait qu’elle devait être inscrite elle-même au registre des commissionnaires de transport.
Au soutien de sa demande, le SNTL affirmait qu’en organisant la prestation de transport en son nom propre, GoGoRunRun agissait comme un commissionnaire de transport sans respecter les obligations légales applicables à l’exercice de cette activité, en particulier sans être inscrit au registre des transporteurs de marchandises. Selon le SNTL, ce défaut d’inscription est constitutif d’actes de concurrence déloyale, d’un trouble manifestement illicite et d’une pratique commerciale trompeuse.
GoGoRunRun invoquait l’existence de contestations sérieuses et l’absence de trouble manifestement illicite, devant conduire le juge à dire n’y avoir lieu à référé.
Elle soutenait ainsi n’être pas un commissionnaire mais un simple auxiliaire de transport.
Aux termes de l‘article L 1411-1 du Code des transports, un commissionnaire de transport est une personne qui «organise et fait exécuter, en son propre nom, un transport de marchandises selon le mode de son choix, pour le compte d’un commettant». Un auxiliaire de transport est «une personne qui concourt à l’opération de transport sans toutefois l’exécuter ni en fournir les moyens d’exécution».
Pour le SNTL l’activité de la plate-forme entrait parfaitement dans la définition du commissionnaire, dès lors qu’elle organisait, selon lui, le transport pour le compte de l’expéditeur. Le donneur d’ordre ne connaîtrait que GoGoRunRun, cette dernière se chargeant :
- du choix du transporteur, l’application ne donnant ni son nom, ni le mode de transport utilisé ;
- de facturer la prestation pour le donneur d’ordre ;
- de gérer les réclamations.
Pour se définir comme simple auxiliaire de transport, GoGoRunRun revendiquait au contraire que son activité se bornait à gérer la plate-forme de mise en relation. Ainsi :
- elle n’était pas partie au lien contractuel qui se crée, via l’application, entre le coursier et l’expéditeur ;
- le point de départ et le point d’arrivée étaient définis par l’expéditeur ;
- elle ne choisissait ni le coursier ni son itinéraire ;
- elle n’organisait pas les conditions d’enlèvement et de remise et ne facturait qu’au nom et pour le compte des coursiers.
Le Tribunal souligne que si ces assertions sont factuellement exactes, les conclusions qu’en tirent chacune des parties ne sont pas évidentes. Ainsi, l’absence d’indication du nom du coursier et du mode de transport utilisé n’implique pas que ceux-ci soient choisis par GoGoRunRun, le choix étant opéré selon le positionnement des coursiers par rapport au besoin exprimé par le donneur d’ordre. De même, l’envoi du reçu de paiement à l’expéditeur ne constitue pas une facturation au nom de GoGoRunRun, celle-ci agissant en qualité de mandataire des coursiers. Dès lors, la liberté dans le choix des modes de transport et des coursiers et l’intervention en son nom et pour le compte du donneur d’ordre, critères essentiels de la qualité de commissionnaire, n’apparaissent pas comme des caractéristiques évidentes de l’activité de GoGoRunRun.
Par ailleurs, l’affirmation de GoGoRunRun selon laquelle elle serait complètement étrangère au lien contractuel apparaît peu sérieuse au Tribunal, dès lors que la relation entre coursier et expéditeur ne peut se lier que par son intermédiaire. Le Tribunal en conclut que la prétention de GoGoRunRun de ne pas être le fournisseur des moyens d’exécution de la prestation, condition nécessaire pour pouvoir qualifier l’activité de simple auxiliaire de transport est contraire à la réalité de son intervention.
Le Tribunal conclut à l’impossibilité de qualifier l’activité de GoGoRunRun et renvoie les parties à se pourvoir au fond.
Cette décision, dont la logique semble difficilement discutable, souligne les difficultés du droit à s’adapter aux nouvelles activités d’intermédiation multiforme des plates-formes en ligne.
Auteur
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.