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Quand l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) pivote…

Quand l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) pivote…

Après près de vingt ans d’activité, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) s’interroge aujourd’hui sur ses priorités : elle a ainsi lancé à l’été 2015, à grand renfort de communication, sa nouvelle revue stratégique et a identifié un certain nombre de chantiers, qui constituent autant de priorités de régulation pour les années à venir.

Ces chantiers se rattachent aux quatre piliers qui doivent dorénavant guider l’action de l’ARCEP :

  • l’investissement dans les infrastructures ;
  • les territoires connectés ;
  • la problématique de l’Internet ouvert ;
  • et enfin, le « prisme de pro-innovation (sic).

Focus sur quelques chantiers prioritaires

Si le discours de l’ARCEP n’est pas toujours d’une absolue clarté, il est possible de s’arrêter, en ce début de second trimestre 2016, sur certains de ces chantiers identifiés comme « prioritaires » en raison de leur actualité récente. Il en est ainsi de l’investissement dans les infrastructures et les territoires connectés, piliers étroitement liés et appelés à se construire régulièrement sur le front du fixe comme du mobile.

Dans le fixe, l’ARCEP a fait des « PME connectées » une priorité afin de favoriser l’émergence d’un marché de masse de la fibre pour les PME.

En effet, l’une des technologies actuelles qui permet de bénéficier d’un débit fixe, symétrique, garanti et répondant à des besoins importants d’utilisation du cloud ou d’accès distant aux applications métiers et serveurs hébergés, notamment, découle de la mise en place d’un réseau entreprise, avec des fibres dédiées depuis le nœud de raccordement optique (NRO) ou le point de mutualisation jusqu’au bureau de l’entreprise (« Fiber to the office » – FTTO). Or, aujourd’hui encore, ces offres sont excessivement onéreuses pour les PME.

Face à ses offres « entreprises » qui ne sont pas parfaitement adaptées aux besoins, existent principalement des offres de fibres dédiées « grand public » qui intéressent surtout les TPE (« Fiber to the home » dédié point à point, FTTH P2P). Les offres de fibre mutualisées grand public (« Fiber to the home » partagé ou encore point à multi-points, FTTH GPON) ne sont pas non plus adaptées dans la mesure où elles proposent un flux partagé avec les autres utilisateurs après le NRO ou le point de mutualisation et donc, avec un risque de saturation du réseau aux heures de plus grande consommation. Il s’agit désormais de savoir comment cet équipement des PME en fibre optique va se développer sur le plan concurrentiel dans un contexte où l’opérateur historique, récemment sanctionné par l’Autorité de la concurrence pour avoir freiné abusivement le développement de la concurrence sur le marché de la clientèle « entreprise » depuis les années 2000 (décision n°15-D-20 du 17 décembre 2015), reste le principal opérateur sur l’offre FTTO. L’ARCEP souhaite en réalité créer un milieu de marché, à partir de la fibre FTTH mutualisée entre logements et locaux professionnels, assorti d’une garantie de temps de rétablissement demandée par les PME.

Toujours sur le fixe, l’autre chantier est celui, plus large, du développement de la fibre optique et de l’incitation à l’investissement et à la migration vers cette technologie, notamment à travers la tarification de la paire de cuivre (dégroupage). Sur ce point, l’ARCEP vient de revoir à la hausse les plafonds des tarifs de gros d’accès aux lignes cuivre dégroupé afin d’inciter les opérateurs à investir dans la fibre optique et à abandonner la boucle locale cuivre :

  • la part versée par les opérateurs alternatifs à Orange pour accéder à la boucle locale voit son plafond passer de 9,05 euros HT/mois en 2015 à 9,10 euros HT en 2016 et 9,45 euros HT en 2017 ;
  • le plafond des frais d’accès au service passe en revanche de 56 à 50 euros en 2016, comme celui des frais de résiliation, passant de 20 à 15 euros ;
  • et le plafond du tarif d’intervention tombe également à 105 euros contre 135 euros en 2015 (décision n°2016-0206 de l’ARCEP du 16 février 2016).

A noter que l’ARCEP a pris le même jour deux autres décisions allant dans le même sens (décisions n°2016-0207 portant sur l’encadrement tarifaire de l’offre d’accès activité généraliste sur DSL livré au niveau infranational de la société Orange, pour les années 2016 et 2017 et décision n°2016-0208 portant sur l’encadrement tarifaire de la vente en gros de l’accès au service téléphonique et du départ d’appel associé pour les années 2016 et 2017).

Toujours dans une logique de développement de la fibre optique, l’ARCEP a rendu à la fin de l’année 2015 un avis favorable au projet d’arrêté relatif à l’information préalable du consommateur sur les caractéristiques techniques des offres d’accès à l’Internet en situation fixe filaire et, notamment, sur le raccordement final utilisé (avis n°2015-1492 du 3 décembre 2015). Un arrêté publié au début du mois de mars 2016 encadre l’utilisation du mot « fibre » dans les publicités prévoit une information sur le raccordement final utilisé (fibre ou câble coaxial en cuivre) et informe sur le débit montant quand le débit descendant est indiqué (arrêté du 1er mars 2016 portant modification de l’arrêté du 3 décembre 2013 relatif à l’information préalable du consommateur sur les caractéristiques techniques des offres d’accès à l’Internet en situation fixe filaire). Cet arrêté vient mettre fin à un bras de fer engagé depuis plusieurs années entre Orange et Free, d’une part, et SFR Numéricâble, d’autre part, découlant du fait que ce dernier n’utilise la fibre optique que jusqu’à l’immeuble (« Fiber to the building » – FTTB), le raccordement final se faisant en câble coaxial cuivre, à la différence de ce qui se fait pour la technologie FTTH, privilégiée par Orange et Free, pour laquelle le raccordement final est en fibre optique.

Sur le front du mobile, l’ARCEP « pivote » en continuant de promouvoir les partages d’infrastructures mobiles pertinents pour améliorer la couverture et les débits (zones rurales, métro, etc.). Il existe actuellement trois accords de partage de réseaux mobiles en France métropolitaine : l’accord d’itinérance nationale 2G/3G de Free Mobile sur le réseau d’Orange, l’accord de mutualisation des réseaux 2G/3G/4G de Bouygues Telecom et de SFR sur une partie du territoire avec une prestation d’itinérance 4G fournie par Bouygues Telecom à SFR et l’accord qui implique les quatre opérateurs mobiles pour la couverture des zones blanches du territoire (zone les plus rurales). La loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité, l’égalité des chances économiques dite « loi Macron » a inséré dans le Code des postes et communications électroniques (CPCE) un article L.34-8-1-1 qui attribue à l’ARCEP une nouvelle compétence en matière de partage de réseaux radioélectriques ouverts au public. Cet article dispose que « lorsque l’[ARCEP] constate que cela est nécessaire à la réalisation des objectifs mentionnés à l’article L.32-1 ou au respect des engagements souscrits au titre des autorisations d’utilisation de fréquences radioélectriques par les opérateurs parties à la convention [de partage de réseaux radioélectriques ouverts au public], elle demande, après avis de l’Autorité de la concurrence, la modification des conventions déjà conclues, en précisant leur périmètre géographique, leur durée ou les conditions de leur extinction ». L’ARCEP a ainsi mis en consultation jusqu’au 23 février 2016 un projet de lignes directrices relatives au partage de réseaux mobiles indiquant comment elle fera usage, pour l’avenir, de son nouveau pouvoir.

Simultanément, l’ARCEP a lancé un observatoire des déploiements mobiles en zones peu denses et a rappelé aux opérateurs 4G, que sont Bouygues Telecom et SFR, leur obligation de respecter leur autorisation 4G et donc d’assurer la couverture de 40 % de la population des zones peu denses d’ici le 17 janvier 2017 (voir communiqué de presse de l’ARCEP du 18 février 2016). Dans le même ordre d’idées, l’ARCEP a examiné et approuvé le 2 février 2016, après quelques ajustements, le projet de contrat de partage, entre les quatre opérateurs mobiles, des infrastructures dans le cadre du programme de couverture, en 2G et 3G, des centres-bourgs, afin de régir les relations entre les opérateurs relatives aux conditions de déploiement, techniques ou économiques, du partage d’infrastructures entre eux.

De nouveaux modes de régulation

Par ailleurs, les méthodes de régulation de l’ARCEP évoluent, puisque trois nouveaux modes d’intervention ont été identifiés.

L’ARCEP souhaite ainsi approfondir sa régulation par la data afin de s’appuyer, non seulement sur les données des opérateurs, mais aussi sur celles des utilisateurs des réseaux de télécommunication. Elle entend mettre en place des « cartes de couverture » qui couvriront et enrichiront les données de couverture mobile pour mieux correspondre au ressenti des utilisateurs sur le terrain. Dans la même idée, l’ARCEP privilégiera le crowdsourcing, qui se traduit par le fait de nouer des partenariats pour enrichir les données sur la qualité et la couverture des réseaux. Enfin, et toujours pour recueillir les données utilisateurs, l’ARCEP ouvrira une plate-forme permettant aux consommateurs et aux entreprises de signaler les problèmes qu’ils rencontrent.

L’autre mode d’intervention qui devrait être privilégié par l’ARCEP sera celui d’une co-régulation, afin de développer de nouvelles interactions avec les acteurs. La co-régulation est bien sûr déjà présente dans les méthodes de travail de l’ARCEP : il en va ainsi, par exemple, des procédures de consultation d’autres autorités de régulation prévues par le législateur (cf. consultations de l’Autorité de la concurrence pour la détermination des marchés pertinents en application de l’article L.37-1 CPCE). L’ARCEP souhaite approfondir cette co-régulation en améliorant les procédures de concertation en amont avec les autres autorités publiques, notamment sur la question des objets connectés, sources d’enjeux nouveaux pour les réseaux supportant ces objets et des services associés, sur le comportement des utilisateurs vis-à-vis de ces objets mais aussi vis-à-vis de la politique industrielle de la France. Sur ce sujet, l’ARCEP travaille de concert avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’Agence nationale des fréquences (ANFR) et la direction générale des entreprises (DGE). Enfin et surtout, la co-régulation espérée est une co-régulation avec les acteurs, qui existe mais que l’ARCEP souhaite développer sur le modèle de ce qui a été mis en place avec l’Association des plates-formes de normalisation des flux inter-opérateurs (APNF), créée en 2009 par les principaux opérateurs pour gérer la portabilité fixe qui gère, désormais, notamment, la plate-forme de localisation des appels d’urgence et le référentiel des numéros des services à valeur ajoutée, ou encore sur le modèle du GRACO, groupe d’échange entre l’ARCEP, les collectivités territoriales et les opérateurs.

Enfin, l’ARCEP essaiera aussi d’endosser le rôle de l’expert neutre dans le numérique comme dans le postal. Après vingt ans de régulation, l’ARCEP a donc encore de multiples chantiers en perspective.

 

Auteur

Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat en droit public.

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