Créateurs d’entreprise : anticipez la sortie dès l’entrée
S’il est bien un sujet que les entrepreneurs n’abordent pas toujours suffisamment au démarrage de leur activité, c’est celui de la cession de la structure qu’ils sont tout juste en train de créer. Et pourtant … anticiper les incidences d’une cession future de son entreprise peut permettre de décider au mieux des modalités de sa constitution, et notamment de la forme juridique à adopter.
L’une des premières interrogations à survenir lors d’un démarrage de l’activité réside dans le choix à opérer entre la constitution d’une entreprise individuelle ou celle d’une société.
Il semblerait à cet égard que les créateurs d’entreprise ayant choisi de débuter leur activité sous la forme d’une entreprise individuelle avant de l’apporter à une société, soient susceptibles, au moment de la cession des titres de leur société, de se trouver moins bien traités fiscalement que les créateurs ayant fait le choix dès le départ de constituer une société. En effet, par une remarque insérée au Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP), l’administration laisse à penser qu’elle pourrait refuser l’application de l’abattement renforcé visé à l’article 150-0 D, 1 quater du Code général des impôts (CGI) aux plus-values issues de la cession de titres de sociétés constituées par apport de l’entreprise individuelle, et ce quand bien même cette opération d’apport aurait été réalisée sous le régime de neutralité fiscale de l’article 151 octies du CGI.
1. Rappel des règles applicables aux plus-values de cession de valeurs mobilières
Rappelons que depuis le 1er janvier 2013, les plus-values de cession de valeurs mobilières sont imposées au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Elles sont par ailleurs soumises aux prélèvements sociaux au taux de 15,5% ainsi que, le cas échéant, à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR)1.
Les plus-values ne sont toutefois soumises à l’impôt qu’après imputation des moins-values de même nature, et application, mais seulement pour l’impôt sur le revenu, d’un abattement pour durée de détention.
La loi de finances pour 2014 a prévu que l’abattement s’élève, en régime de droit commun, à 50% du montant de la plus-value imposable lorsque les titres cédés ont été détenus entre deux et huit ans et à 65% pour une détention supérieure à huit ans (soit, dans ce dernier cas, un impôt sur le revenu au taux maximal de 15,75%, auquel se rajoutent les prélèvements sociaux de 15, 5% et, le cas échéant, la CEHR).
Dans certains cas limitativement visés, un abattement renforcé prévu par l’article 150-0 D, 1 quater du CGI s’applique : il est fixé à 50% pour une détention entre un et quatre ans, à 65% pour une détention entre quatre et huit ans et à 85% pour une détention supérieure à huit ans (dans ce dernier cas, l’impôt sur le revenu est perçu au taux maximal de 6,75% auquel se rajoutent les prélèvements sociaux et éventuellement la CEHR).
2. Problématique posée par la cession de titres de sociétés constituées par apport d’une entreprise individuelle
Sont notamment visées par l’abattement renforcé les plus-values réalisées lors de la cession de certains titres de PME de moins de 10 ans à la date de souscription ou d’acquisition des titres2. Un certain nombre de conditions doivent être remplies pour ce faire. Notamment, la société dont les titres sont cédés ne doit pas être issue d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activités préexistantes.
2.1. Origine de la notion de reprise ou de restructuration d’activité préexistante
Cette notion de restructuration ou de reprise d’activité préexistante existe dans le cadre du dispositif d’exonération temporaire d’impôt sur les bénéfices prévu en faveur des entreprises nouvelles créées dans certaines zones du territoire (article 44 sexies du CGI).
En effet, ce dispositif de faveur ne peut s’appliquer qu’aux entreprises véritablement nouvelles qui ne sont pas créées dans le cadre d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activités préexistantes.
On notera à cet égard que lorsqu’une ou plusieurs entreprises individuelles remplissant les conditions pour bénéficier des allègements prévus à l’article 44 sexies du CGI sont apportées à une société, l’administration admet que cette dernière bénéficie des mêmes allègements (BOI-BIC-CHAMP-80-10-10-30 n°360).
2.2. Insertion d’une remarque au BOFiP sur les plus-values mobilières
Lorsqu’il a été mis en ligne le 14 octobre 2014, le BOI-RPPM-PVBMI-20-30-10 commentant les conditions d’application de l’abattement renforcé aux titres de PME de moins de 10 ans renvoyait simplement aux développements de la doctrine administrative relatifs au dispositif d’exonération temporaire en faveur d’entreprises nouvelles (BOI précité n°60).
Toutefois, le 20 mars 2015, ce BOI a été mis à jour en vue d’apporter la précision selon laquelle la tolérance doctrinale prévue au n°360 du BOI-BIC-CHAMP-80-10-10-30 (visé supra s’agissant de l’article 44 sexies du CGI) ne s’applique pas au dispositif de l’abattement renforcé applicable aux gains de cession de titres d’une PME de moins de 10 ans.
Cette remarque, loin d’être limpide, semble signifier, eu égard à sa place dans la documentation administrative, que les autorités fiscales considèrent que l’apport d’une entreprise individuelle à une société doit être considérée comme la restructuration ou la reprise d’une activité préexistante.
Retenir un tel raisonnement conduirait l’administration à refuser systématiquement l’application de l’abattement renforcé en cas de cession de titres d’une société constituée par apport d’une entreprise individuelle.
3. Esprit du législateur relatif à la cession de titres d’une société créée par apport d’une entreprise individuelle
Cette position nous paraît contestable au vu de l’objectif poursuivi par le législateur.
En effet, l’article 150-0 D du CGI prévoit dans son paragraphe 1 quinquies que, dans le cas où les titres cédés sont des titres qui ont été reçus en rémunération d’un apport réalisé sous le bénéfice du régime prévu au a du I de l’article 151 octies du CGI, la durée de détention retenue pour l’application de l’abattement, de droit commun ou renforcé, est décomptée à partir de la date à laquelle l’apporteur a commencé son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole.
Dès lors, le législateur semble considérer l’apport comme une opération intercalaire pour l’abattement puisqu’il raisonne comme si les titres de la société étaient détenus par le cédant depuis l’origine de son activité. Il serait donc étonnant que, dans le même temps, le législateur ait souhaité exclure systématiquement les cessions de titres de structures issues d’une mise en société d’une entreprise individuelle du champ d’application de l’abattement renforcé visé à l’article 150-0 D, 1 quater B du CGI.
Par ailleurs, retenir un tel raisonnement reviendrait à sanctionner fiscalement, a posteriori, le choix réalisé par un entrepreneur de débuter son activité sous la forme d’une entreprise individuelle.
Or, on peut valablement s’interroger sur les raisons pour lesquelles le fait que l’entreprise ait débuté son activité professionnelle sous la forme individuelle plutôt que sociétale engendrerait systématiquement une telle distorsion de traitement.
4. Des risques à prendre en compte au moment de la création de l’entreprise
Il n’en demeure pas moins que l’administration semble vouloir refuser l’application de l’abattement majoré aux plus-values de cession de titres de sociétés constituées par apport d’une entreprise individuelle.
Aussi, les contribuables qui se trouveraient placés dans cette situation doivent avoir à l’esprit, même si cette position pourrait être contestée devant le juge, que l’application de l’abattement renforcé à la plus-value qu’ils constateront lors de la cession de leurs titres leur sera certainement refusée par l’administration fiscale, quand bien même toutes les autres conditions d’éligibilité prévues par la loi seraient respectées.
Les futurs entrepreneurs, qui ont encore le choix de la structure et n’envisagent pas de céder rapidement leur entreprise, auront certainement intérêt à débuter leur activité sous la forme sociétale afin de pouvoir bénéficier d’une fiscalité allégée sur la plus-value qu’ils réaliseront à terme (notamment s’ils conservent leurs titres pendant 8 ans), sans avoir à s’engager dans une procédure devant le juge de l’impôt.
Notes
1 S’agissant des contribuables soumis à une imposition séparée, la CEHR s’élève à 3% du revenu fiscal de référence compris entre 250 K€ et 500 K€ et à 4% de ce revenu supérieur à 500 K€, et ces seuils sont doublés pour les contribuables soumis à une imposition commune.
2 Cet abattement renforcé est également susceptible de s’appliquer aux gains de cession de titres au sein d’un groupe familial ainsi qu’aux gains de cession de titres de PME réalisés par les dirigeants lors de leur départ à la retraite.
Auteurs
Hubert Bresson, avocat associé en droit fiscal
Stéphanie Riou-Bernard, avocat en droit fiscal