Surveillance des salariés dans les entreprises : mode de recours à la vidéo-surveillance
11 mai 2016
Dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur est en droit de contrôler et surveiller l’activité de ses salariés placés sous sa subordination.
La vidéo-surveillance peut constituer un des éléments du dispositif de contrôle.
Cependant ce contrôle pour être légitime doit s’effectuer dans le strict respect des droits de la personne et des libertés individuelles et collectives des salariés dans l’entreprise, en particulier le droit à l’image et au respect de la vie privée et ce même aux temps et lieux de travail.
En effet les 2 principes fondamentaux suivants doivent être respectés :
- Selon l’article L1121-1 du CT «nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché»
- Selon l’article 9 du CC «chacun a droit au respect de sa vie privée»
L’employeur désireux de mettre en place un système de vidéo-surveillance devra respecter une procédure précise.
1. L’information et la consultation préalable des représentants du personnel
- La mise en œuvre d’un système de contrôle des salariés doit faire l’objet d’une information/consultation des représentants du personnel
- L’employeur ne peut décider de mettre en œuvre un dispositif de contrôle des salariés sans avoir au préalable informé et consulté le Comité d’Entreprise (CE), ou en son absence par suite de carence, les délégués du personnel
- En outre l’information et la consultation préalables du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) peuvent être envisagées en matière de vidéosurveillance puisque l’article L 4612-8 du Code du travail impose à l’employeur de consulter le CHSCT avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail.
Or la vidéo-surveillance peut entraîner pour les salariés un facteur d’augmentation du stress et de la charge psychologique lié à la limitation de leur autonomie et au renforcement de leur contrôle.
En l’absence de CHSCT, les missions dévolues à ce dernier sont exercées par les délégués du personnel.
- L’employeur ne peut pas mettre en place une vidéo-surveillance simplement pour contrôler les faits et gestes des salariés ; il doit invoquer des raisons précises et la justifier par l’intérêt de l’entreprise: sécurité des biens et des personnes, risques particuliers de vol, d’agression, etc.
- Il doit expliquer les modalités (moyens techniques, périodes et durée de surveillance…) et la finalité du contrôle qui doit être justifié par l’intérêt de l’entreprise et être strictement limité aux temps et lieux de travail où s’exerce l’activité des salariés, la vidéo-surveillance ne pouvant pas avoir pour objet de contrôler constamment et en permanence les salarié. Elle peut être limitée aux entrées et sorties des bâtiments, aux issues de secours, aux voies de circulation, et ne doit pas avoir pour seul objet de contrôler tous les faits et gestes des salariés.
- L’employeur peut librement utiliser un système de vidéo-surveillance dans des locaux non affectés au travail ou dans les lieux dont l’accès est interdit aux salariés (entrepôts, toiture, parking, local de rangement …) ; la preuve du vol de marchandises par un salarié, peut être licite si le fait de filmer l’entrepôt de marchandises ne constituait pas l’enregistrement de l’activité de salariés affectés à un poste de travail.
- Seules des personnes habilitées telles que le responsable de la sécurité peut visionner les images enregistrées par la caméra, les images ne devant pas en principe être conservées plus d’un mois. En cas de procédure de licenciement ou disciplinaire, elles peuvent être conservés pendant la durée de la procédure mais doivent être extraites du dispositif d’enregistrement.
2. L’information préalable individuelle des salariés
Le salarié doit ainsi être informé des modes de contrôle mis en œuvre par l’employeur pour le surveiller, et ce préalablement à leur mise en place au sein de l’entreprise. L’administration a pu préciser que cette information peut intervenir par tout moyen, oral ou écrit, individuel ou collectif, tout en recommandant la forme écrite à l’employeur pour des raisons de preuve. Elle doit contenir des informations sur la finalité même du dispositif mis en place au sein de la Société.
Ce principe d’information préalable des salariés trouve son fondement dans l’article L. 1222-4 du Code du travail qui énonce qu’ «aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance».
La jurisprudence n’a apporté aucune précision sur la forme que doit revêtir une telle information. Il apparait néanmoins nécessaire que cette information soit individuelle.
En pratique, elle pourrait figurer sur une note de service remise en main propre contre décharge à l’ensemble du personnel et affichée dans l’entreprise. Une telle note devrait préciser clairement l’objectif poursuivi par la mise en place du système de vidéosurveillance, les conditions de fonctionnement du système et de conservation des données ainsi recueillies.
Un simple affichage sur les lieux de travail serait insuffisant. Cependant un panneau affiché de façon visible dans les locaux sous vidéo surveillance doit indiquer pour les personnes concernées (visiteurs et employés) :
- l’existence du dispositif
- le nom de son responsable
- la procédure à suivre pour demander l’accès aux enregistrements visuels les concernant
Il est également prudent pour les entreprises de mentionner dans le règlement intérieur l’existence d’un système de surveillance afin d’assurer l’information des salariés sur son existence et de définir l’utilisation qui pourra en être faite par l’employeur. Une charte informatique plus détaillée peut en définir les modalités.
3. Les formalités préalables à effectuer auprès de la CNIL
- Pour tous les traitements de données à caractère personnel, l’employeur doit respecter les obligations de la loi dite «informatique et libertés» du 6 janvier 1978.
- Sauf désignation d’un correspondant aux données personnelles, les traitements automatisés de données à caractère personnel constitués à l’occasion de la mise en œuvre d’un dispositif de contrôle des salariés doivent en principe être déclarés à la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) avant leur mise en œuvre et, dans certains cas, doivent même faire l’objet d’une autorisation préalable de cette dernière.
- La formalité à effectuer à la CNIL diffère selon le caractère plus ou moins intrusif de l’outil par rapport à la vie privée du salarié.
- S’agissant de la mise en place d’un système de vidéosurveillance sur un lieu de travail, une déclaration normale auprès de la CNIL est nécessaire, sauf si l’entreprise a désigné un correspondant à la protection des données personnelles. En effet, seule une déclaration auprès de la CNIL est nécessaire quand le dispositif est installé dans un lieu privé et que les images sont enregistrées ou conservées dans des traitements informatisés ou des fichiers structurés qui permettent d’identifier des personnes physiques.
- Il n’existe pas de déclaration simplifiée pour les fichiers obtenus par le biais de la vidéosurveillance.
- En pratique, la déclaration normale devra être effectuée en ligne sur le site de la CNIL. Une fois ce formulaire en ligne validé, celui-ci est télétransmis à la CNIL qui adresse par courrier électronique un récépissé dans un délai d’environ une semaine.
- La CNIL a par ailleurs rappelé, dans une délibération du 22 avril 2010, qu’un dispositif de vidéosurveillance ne doit pas entraîner un contrôle général et permanent des salariés.
4. Les sanctions
- La première sanction pour l’employeur n’ayant pas respecté les conditions de mise en œuvre d’un dispositif de contrôle de l’activité des salariés réside sur le plan prud’homal dans l’inopposabilité à l’égard du salarié de ce mode de preuve.
La Chambre sociale de la Cour de cassation estime en effet que lorsque le contrôle s’effectue sur le lieu de travail à l’insu des salariés, les enregistrements effectués constituent un mode de preuve illicite (Cour de Cassation, Chambre sociale, 20 novembre 1991).
Même si les enregistrements vidéos sont accablants, le licenciement disciplinaire sera jugé sans cause réelle et sérieuse. Il importera peu que la vidéo-surveillance ait été mise en place pour une autre finalité que le contrôle des salariés.
En revanche sur le plan pénal, une preuve même illicite peut être retenue.
- De plus, l’article 226-16 du Code pénal prévoit que le non-respect de ces formalités préalables est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.
- L’enregistrement dans un lieu privé à l’insu du salarié de son image constitue une atteinte à la vie privée passible d’une amende de 45 000€ et d’un an de prison (article 226-1 du code pénal).
- La non consultation des représentants du personnel peut également constituer le délit d’entrave à leur fonctionnement régulier et engager la responsabilité pénale du chef d’entreprise et celle de l’entreprise, personne morale.
- Il est donc particulièrement important de s’assurer que cette procédure a bien été suivie, l’employeur devant exécuter le contrat de travail de bonne foi, doit être le plus clair et précis dans sa communication à l’égard des représentants du personnel et des salariés.
Les systèmes de vidéo-surveillance sont légitimes pour assurer la sécurité des biens et des personnes mais ils ne doivent pas conduire à placer les salariés sous surveillance constante et permanente ; ils ne doivent pas filmer les employés sur leur lieu de travail sauf cas particulier (employé manipulant de l’argent par exemple), ni les zones de pause ou de repos , ni les toilettes, ni les vestiaires, ni les cabinets médicaux ou infirmeries, ni les locaux syndicaux ou des représentants du personnel.
La CNIL surveille les employeurs qui abusent des systèmes de vidéo-surveillance, par une surveillance excessive et disproportionnée du personnel.
Auteur
Françoise Albrieux-Vuarchex, Avocat associé, en droit social, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon
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