Haro sur les hybrides : BEPS et double non-imposition
La notion de dispositif «hybride» recouvre principalement deux types de situations avec, d’une part, les entités hybrides et, d’autre part, les instruments hybrides. Dans les deux cas, le dispositif, qui s’insère nécessairement dans une situation transfrontalière, cherche à faire bénéficier à son instigateur d’une différence de traitement fiscal entre deux Etats.
Prenons l’exemple d’un instrument «hybride». Celui-ci est émis par une société située en France où il est considéré comme un instrument de dette ouvrant droit à la déduction des intérêts chez l’émetteur. A l’inverse, dans le pays du souscripteur du titre, les Etats-Unis ou le Luxembourg par exemple, l’instrument serait considéré comme assimilé à un titre de capital et les revenus y afférents seraient alors traités comme des dividendes bénéficiant généralement d’une exonération d’impôt sur les sociétés. Dans une telle situation, le groupe comprenant l’émetteur et le souscripteur du titre bénéficie d’un avantage fiscal correspondant à la double non-imposition du revenu : déductible à un niveau et non imposable à un autre.
L’OCDE a, dans le cadre de l’action 2 du projet BEPS («Base Erosion Profit Shifting»), cherché à «neutraliser les effets des dispositifs hybrides». Cet objectif passe par l’adaptation des législations nationales et des conventions fiscales.
La première partie du rapport final sur l’action 2 préconise d’intégrer en droit national des règles visant à empêcher la double non-imposition recherchée du fait de l’asymétrie dans le traitement d’un dispositif hybride dans plusieurs Etats.
Le droit français est d’ores et déjà en accord avec ces objectifs s’agissant de certains instruments hybrides. En effet, la loi de finances pour 2014 a introduit une règle, codifiée à l’article 212, I-b du Code général des impôts, selon laquelle une charge financière ne peut être déductible chez l’entreprise débitrice soumise à l’impôt sur les sociétés en France qu’à la condition de pouvoir démontrer que l’entreprise créancière est effectivement assujettie à l’impôt sur le revenu, à raison de cet instrument, à hauteur d’un montant au moins égal au quart de l’impôt sur les sociétés, soit 8,33 % (hors application des contributions additionnelles).
On remarquera que le taux minimum d’imposition exigé dans le pays du créancier est relativement faible et n’empêche pas complètement un arbitrage entre le taux d’imposition en France et celui applicable à l’étranger. Il est à craindre que le législateur français soit tenté, pour transposer complètement BEPS dans le paysage fiscal français, de restreindre encore plus les conditions de déductibilité pour réduire les effets d’aubaine en augmentant le taux d’imposition minimal des revenus perçus par la société prêteuse.
La question n’est pas neutre dans le domaine du private equity car les holdings d’acquisition sont souvent emprunteuses auprès des fonds d’investissement organisés sous la forme de FPCI et autres SCR qui ne sont pas soumis à l’impôt sur les sociétés.
La règle française anti-hybrides s’applique ainsi en l’absence de toute situation transfrontalière, voire en l’absence même d’instruments hybrides. On notera que, fort heureusement, une limite avait été insérée selon laquelle le dispositif ne s’applique qu’à raison des entités qui contrôlent le fonds d’investissement exonéré d’impôt – c’est au niveau de ces dernières que le niveau d’imposition minimal doit être respecté.
Second volet du rapport final, l’adaptation des conventions fiscales et surtout du modèle OCDE. Dès lors, que les règles BEPS auront été correctement transposées sur le plan national, le besoin de telles modifications, s’agissant à tout le moins des instruments «hybrides», devrait être limité.
Le champ du dispositif anti-hybrides existant en droit français va très loin, en ce qu’il vise tant les situations transfrontalières que franco-françaises, également dans des cas n’impliquant pas des instruments hybrides. Il se révèle tout à la fois un peu trop laxiste au regard des objectifs très restrictifs fixés par BEPS en ayant fixé un taux minimum d’imposition (8,33%) relativement bas.
Ainsi, si la transposition de l’action 2 de BEPS en droit interne peut se réaliser sans révolutionner les dispositifs existants, elle risque de restreindre encore plus, dans des situations n’impliquant pas d’instruments hybrides, la déductibilité des intérêts d’emprunt.
Auteurs
Thierry Granier, avocat associé, en matière de fiscalité internationale,
Florian Burnat, avocat en droit fiscal