Réforme du droit des contrats : le déséquilibre significatif fait son entrée dans le Code civil
Autre nouveauté de la réforme du droit des contrats : une sanction spécifique pour toute clause d’un contrat d’adhésion qui créerait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (art. 1171 nouveau du Code civil).
Ce nouveau texte introduit dans le droit commun des contrats rappelle immanquablement :
- la réglementation des clauses abusives, lesquelles ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (article L 132-1 du Code de la consommation) ;
- la réglementation des pratiques abusives restrictives de concurrence qui sanctionne notamment le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (article L 442-6-I-2 du Code de commerce).
Le droit commun des contrats énonce donc à son tour désormais le principe selon lequel toute clause, dans un contrat d’adhésion, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite, cette appréciation du déséquilibre significatif ne portant ni sur l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix à la prestation.
La réforme limite cependant la portée de cette nouvelle règle aux contrats d’adhésion qui sont définis comme ceux dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties (Article 1110 nouveau du Code civil).
La rédaction choisie de ce nouveau texte, qui s’appliquera aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, donne a priori à penser que son interprétation s’inspirera davantage de la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article L 132 -1 du Code de la consommation. Ce que laisse d’ailleurs entendre le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 dont est issue la réforme.
Les deux textes prévoient en effet la même sanction, à savoir que la clause incriminée sera réputée non écrite, alors que l’article L 442-6I 2° du Code de commerce comporte une plus large palette de sanctions. Quant au fait que la vérification du caractère déséquilibré ne doit notamment pas porter sur l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation du prix à la prestation, cette mesure est commune au Code civil et au Code de la consommation. En revanche, sur le fondement du Code de commerce, la cour d’appel de Paris a déjà pu sanctionner un déséquilibre significatif pour des clauses relatives à des réductions de prix (par ex, CA Paris, 1er juillet 2015, n°13/19251).
En outre, tant le nouvel article 1171 du Code civil que l’article L. 132-1 du Code de la consommation visent la clause ou les clauses créant un déséquilibre significatif tandis que l’article L 442-6 I-2° du Code de commerce oblige à apprécier l’ensemble des droits et obligations découlant d’un contrat ou d’une relation commerciale pour caractériser le déséquilibre significatif (Cass. Com – 3 mars 2015 – n° 13/27525 : RJDA 2005/2015-n° 493).
Reste à s’interroger sur la portée pratique de cet article dans la mesure où :
- les dispositions de l’article L 132-1 du Code de la consommation bénéficient tant aux non professionnels qu’aux consommateurs ; ainsi, il a été dernièrement jugé qu’une société civile immobilière exerçant une activité de promotion immobilière pouvait se prévaloir de la réglementation sur les clauses abusives pour faire déclarer non écrite la clause limitative de responsabilité stipulée au bénéfice de son co-contractant, contrôleur technique chargé d’inspecter la construction (Cass. 3e civ –4 février 2016 –n° 14-29347) ;
- une clause peut être déclarée abusive par le juge, même en l’absence de décret la considérant comme telle (Cass. 1re civ –26 mai 1993 : RJDA 1/94 n°105) ;
- l’article 1171 du Code civil n’a vocation à s’appliquer que pour les contrats d’adhésion.
Un partenaire commercial, qui ne pourra pas remettre en cause une clause d’un contrat d’adhésion au motif qu’elle s’inscrit dans un ensemble de stipulations contractuelles équilibré, pourra-il faire déclarer non écrite ladite clause sur le fondement de l’article 1171 du Code civil ? Telle est l’une des nombreuses questions posées par l’arrivée remarquée du déséquilibre significatif dans le nouveau droit commun des contrats.
Auteurs
Denis Redon, avocat associé en droit de la concurrence
Brigitte Gauclère, avocat Counsel en droit commercial, de la distribution et immobilier.