Litiges de propriété intellectuelle impliquant une personne publique délégante : le juge judiciaire est compétent
L’article L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que les actions relatives à la propriété littéraire et artistique « sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire ».
Rappelons que le Tribunal des conflits a déjà décidé que cette exclusivité de compétence, au profit du juge civil spécialisé, devait s’appliquer dans le cas où une telle action est engagée dans le cadre de l’exécution d’un contrat administratif, cas où le juge administratif est sinon habituellement compétent (TC, 7 juillet 2014, n°3954 ; TC, 7 juillet 2014, n°3955 ; voir notre commentaire dans la Lettre des propriétés intellectuelles de janvier 2015).
Ce faisant, le Tribunal des conflits a opéré une unification du contentieux de la propriété intellectuelle. Pour autant, certaines questions restaient en suspens, comme l’illustre l’affaire commentée.
En l’espèce, un photographe avait prêté à une association, gestionnaire d’un musée départemental par délégation de service public, 181 tirages photographiques originaux. A la suite de l’exposition, et des encadrements effectués pour l’occasion, une partie des clichés avaient été irrémédiablement détériorés. Le photographe avait alors assigné en justice, d’une part, l’association devant le Tribunal de grande instance, d’autre part, le département de la Somme, en tant qu’autorité délégante, devant le tribunal administratif d’Amiens. Ce dernier, doutant de sa compétence au regard de l’article L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle, avait saisi le Tribunal des conflits.
Celui-ci a considéré, dans une décision laconique, que « la juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige soulevé par M. R. au titre des dommages subis par ses œuvres photographiques mises à disposition de l’Association« , et ce peu important que le photographe recherche, au cas particulier, la responsabilité délictuelle et non pas contractuelle de la collectivité délégante (TC, 12 octobre 2015, n°4023). Cela atteste, à nouveau, de la volonté ferme du Tribunal des conflits de faire du juge judiciaire le seul juge compétent en matière de litiges de propriété littéraire et artistique.
Des questions demeurent toutefois, comme l’illustre la présente affaire. Pour démontrer la compétence du juge administratif, le photographe avait développé un argumentaire fondé sur la distinction entre les dommages causés aux œuvres de l’esprit, qui relèveraient de l’article L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle, et ceux occasionnés aux supports matériels de ces œuvres, en l’occurrence les tirages, qui eux resteraient soumis aux règles de compétence de droit commun. Le rapporteur public, dans ses conclusions, avait suggéré de raisonner comme la Cour de cassation, qui a déjà pu juger qu’un support matériel pouvait être doté d’originalité et faire partie intégrante de l’œuvre immatérielle qu’elle porte (voir notamment Cass. 1re civ., 4 mai 2012, n°11-10.763). Il proposait de considérer que le « tirage particulier sur un papier photographique spécifique dit « AGFA record Rapid », désormais introuvable [avait permis de créer] une œuvre propre tant du fait de la haute qualité des reproductions que de leur format« . Ainsi, au cas particulier, le support matériel devait être considéré comme indivisible de l’œuvre. Le Tribunal des conflits semble l’avoir implicitement approuvé. A contrario, il paraît donc possible d’envisager que dans certains cas, le juge administratif puisse être reconnu compétent pour une partie du litige, lorsque le support peut être considéré comme divisible de l’œuvre. A suivre…
Auteur
François Tenailleau, avocat associé en droit public des affaires