Quelques réflexions sur le fonctionnement du Comité de l’abus de droit fiscal
Le Comité de l’abus de droit fiscal est inscrit durablement dans le paysage fiscal français et ses avis sont souvent déterminants. Deux avis récents ont pu semer le trouble et sont l’occasion d’examiner le mode de fonctionnement du Comité et d’émettre quelques suggestions.
1. Des règles de procédure asymétriques
Lorsque l’administration fiscale a mis en œuvre, à l’occasion d’un contrôle fiscal, la procédure de répression des abus de droit, l’article L 64 du LPF précise que le litige qui l’oppose au contribuable peut être soumis, soit à la demande du contribuable, soit à celle de l’administration, à l’avis du comité de l’abus de droit fiscal.
Alors que l’article 64-2 du LPF fait obligation au contribuable qui souhaite saisir le CADF d’en faire la demande dans les trente jours suivant la réponse que l’administration a faite à ses observations, l’administration fiscale, pour sa part, n’est enfermée dans aucun délai pour saisir le CADF si ce n’est, en pratique le délai général de prescription de son droit de reprise. L’égalité des armes ne prévaut pas en la matière.
2. Le caractère unilatéral du renversement de la charge de la preuve
La remarque n’est pas anodine si l’on rappelle que l’avis du CADF, lorsqu’il est favorable à l’administration fiscale, se traduit par une inversion de la charge de la preuve, le contribuable devant alors apporter devant les tribunaux la preuve négative de l’absence d’abus de droit. On pourra rétorquer qu’il en va de même pour l’administration lorsque le Comité émet un avis défavorable à sa thèse, si ce n’est que cet avis ne lie pas l’administration et ne l’empêche pas de persister à invoquer l’abus de droit devant les tribunaux. Au demeurant, il n’y pas de réelle anomalie dans un Etat de droit à ce que celui qui porte l’accusation assume la charge d’établir les griefs qui la soutiennent.
On pourra ainsi s’étonner d’un système qui fait qu’une partie, l’Etat en l’occurrence, puisse, à sa seule demande, transférer à un Comité, organe qui n’est pas une juridiction, la possibilité de mettre à la charge du contribuable l’obligation de démontrer qu’il n’est pas « coupable » des faits d’abus de droit qu’on lui reproche.
Le Conseil d’Etat n’a posé de limite à cette situation, au demeurant dans le cadre de l’instruction d’une QPC, que pour les pénalités de 40 % ou de 80 %, considérant ainsi que l’administration devait, quel que soit l’avis du Comité, toujours supporter la charge de la preuve (arrêt SNERR du 29 septembre 2010 n° 341065, 9e et 10e s.-s.).
Les avis du CADF présentent ainsi, ne serait-ce qu’au regard de la charge de la preuve, une importance non négligeable et on doit s’interroger sur les conditions dans lesquelles le CADF conçoit son intervention. Deux affaires récemment traitées par le Comité, visant des questions de droit fiscal international, peuvent à ce titre interpeller les contribuables.
3. Trouble jeté par deux récents avis
Le CADF s’est prononcé récemment (séances des 25 octobre et 22 novembre 2012, affaires n° 2012-42 et 20125-47) sur l’existence d’un abus de droit dans des opérations portant sur des actifs immobiliers français auxquelles avaient pris part des sociétés étrangères.
Dans le premier cas, il s‘agissait d’une société italienne qui, propriétaire d’un immeuble en France, avait transféré son siège social au Luxembourg avant de céder cet immeuble, en franchise d’impôt, sans qu’à l’occasion de ce transfert, l’administration fiscale française n’ait trouvé matière à soumettre à l’impôt la plus-value latente existant sur l’immeuble, la société italienne cessant d’être assujettie à l’IS français et la société luxembourgeoise n’y étant alors pas encore soumise. On ne peut exclure que l’administration fiscale soit intervenue tardivement, à une date laquelle l’exercice du transfert de siège était atteint par la prescription.
Dans le second cas, il s’agissait de sociétés luxembourgeoises qui, ayant procédé à des cessions d’immeubles en France, avaient revendiqué l’exonération conventionnelle alors que tout paraissait démontrer que ces sociétés n’avaient pas de substance et avaient délégué la quasi intégralité de leurs prérogatives à une société française dans des conditions dont on pouvait se demander si elles ne caractérisaient pas l’existence d’établissements stables en France.
En tout état de cause, l’administration fiscale avait, dans ces deux affaires, fait le choix, librement ou pour des raisons liées à la prescription d’autres actions, de recourir à la procédure de répression des abus de droit.
Rappelons comment l’article L 64 du LPF définit les prérogatives de l’administration lorsqu’elle se place sur ce terrain. Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
Le Comité, sur le fondement de ce texte, s’est efforcé de rechercher quelle avait pu être l’intention, non plus du législateur français, mais l’intention commune des négociateurs de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958, lorsqu’ils fixèrent les règles d’imposition des plus-values immobilières.
Notre confrère Vincent Agulhon a, dans cette même tribune, expliqué les interrogations que l’exercice auquel s’est livré le Comité pouvait légitimement susciter.
Nous n’y reviendrons pas mais nous ne croyons pas que le Comité pouvait procéder autrement dès lors qu’il entendait rendre un avis sur l’existence ou non d’un abus de droit.
Sauf cas des actes fictifs, le Comité doit, en effet, vérifier aujourd’hui si les actes qui lui sont soumis (i) n’ont pu être inspirés que pour des raisons fiscales, mais alors (ii) en recherchant le bénéfice de l’application littérale de textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs.
Il ne faut dès lors pas s’étonner que le CADF ait recherché en l’espèce ce qui avait pu constituer l’intention des négociateurs de la convention fiscale franco-luxembourgeoise.
Pourrait-on imaginer en effet que le Comité fasse aveu d’échec et puisse convenir qu’il pourrait exister des cas dans lesquels l’intention des auteurs des lois, des décisions, ou bien encore des conventions internationales ne lui serait pas connu ou qu’il ne pourrait l’appréhender dans des conditions suffisamment claires pour que son avis ait un sens.
4. Y avait-il bien matière à délivrance d’un avis dans ces deux affaires ?
Dans ces deux affaires, le CADF ne s’est pas en amont interrogé, semble-t-il, sur la question de savoir si l’administration fiscale avait à bon escient recouru à la procédure de répression des abus de droit. On peut se demander quel abus on peut reprocher à des sociétés étrangères, apparemment dépourvues de substance, ayant constitué en France les éléments qui justifient leur soumission à une imposition en France par l’effet de la loi générale, en tant qu’elles doivent être réputées titulaires d’un établissement stable en France ou posséder leur siège de direction effective en France. Si elles devaient l’impôt, on peut leur reprocher de s’y être indûment soustraites. Mais de quel droit ont-elles abusé ?
De la même façon, il est permis de s’interroger sur l’existence d’un abus de droit dans le cas d’une société italienne détentrice d’un immeuble en France dont le transfert de siège pouvait se traduire par la perte, pour la France, du droit d’imposer l’immeuble et constituer ainsi peut-être un fait générateur d’imposition de la plus-value latente.
Le Comité, dans l’affaire n° 2012-42, a indiqué qu’il n’entrait pas « dans ses attributions de se prononcer sur la question de la prescription invoquée par la société dans ses observations écrites », mais il ne s’est pas en revanche autorisé, semble-t-il, à poser la question du champ de l’abus de droit et du bien-fondé du choix de l’administration de recourir à la procédure de répression des abus de droit.
Or, le Comité, dans son ancienne composition s’était posé ce type de questions notamment à l’occasion de l’examen de dossiers portant sur certaines opérations d’apports cessions de titres (voir notamment affaires n° 2004-63 et 64 publiée par l’Instruction 13 L-3-06).
Les articles 1653 C, 1653 D et 1653 E qui régissent à présent la composition et le fonctionnement du Comité ne contiennent aucun aménagement sur ce point et le Comité peut ainsi librement décider de son mode de fonctionnement effectif et fixer les limites à sa saisine.
L’article 1653 E prévoit ainsi seulement que « lorsque le comité de l’abus de droit fiscal est saisi, le contribuable et l’administration sont invités par le président à présenter leurs observations ».
Le Comité doit assurément, à la demande du contribuable ou de l’administration, examiner le litige qui les oppose et doit rendre un avis sur l’existence ou non d’un abus de droit. Mais rien ne lui interdit de considérer que le dossier qui lui a été confié échappe au domaine d’application de l’abus de droit.
Il est à souhaiter que le CADF ne s’interdise pas cette voie car, à défaut, il sera contraint à une sorte d’obligation de résultat quant à la connaissance de l’intention des auteurs des textes et décisions et à leur interprétation. Or la réforme du CADF de 2008 qui avait permis notamment au Comité de s’ouvrir à des représentants du monde professionnel n’avait pas nécessairement anticipé une telle évolution.
A propos de
Richard Foissac, avocat associé spécialisé en fiscalité directe, il intervient plus particulièrement dans le domaine de la fiscalité des entreprises, de la fiscalité des personnes physiques, de la fiscalité immobilière et financière et de la fiscalité des sociétés d’économie mixte et des collectivités locales.
Article paru dans la revue Option Finance du 11 février 2013
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