Les nouvelles mesures de valorisation des carrières et des rémunérations des représentants du personnel
17 février 2016
Entretiens professionnels spécifiques, valorisation des compétences, garantie d’évolution de la rémunération : la loi Rebsamen pose de nouvelles obligations à la charge des employeurs aux contours parfois imprécis.
Issue du constat selon lequel la «crise des vocations» pour exercer un mandat de représentant du personnel ou syndical est devenue un réel problème dans de nombreuses entreprises, la loi Rebsamen du 17 août 2015 a entendu lutter contre ce phénomène en valorisant le parcours professionnel et la rémunération des intéressés.
Entretiens de début et de fin de mandat
Afin d’encourager les engagements syndicaux ou du moins de les valoriser, la loi Rebsamen prévoit la tenue des deux entretiens : l’un en début et l’autre, en fin de mandat (article L. 2141-5 modifié).
Le premier entretien vise à permettre au représentant du personnel titulaire, au délégué syndical ou au titulaire d’un mandat syndical, de bénéficier, à sa demande, d’un entretien individuel avec son employeur au début de son mandat.
Cet entretien individuel, qui ne se substitue pas à l’entretien professionnel prévu à l’article L. 6315-1 du Code du travail porte sur les modalités pratiques d’exercice de son mandat au sein de l’entreprise au regard de son emploi. Il doit permettre d’envisager l’ensemble des questions pratiques relatives à l’exercice du mandat telles que l’utilisation des heures de délégation ou les modalités particulières d’accès à certaines zones de l’entreprise pour des raisons de sécurité ou de confidentialité.
Le représentant peut dans ce cadre se faire accompagner par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise.
Le second entretien est, quant à lui, obligatoirement réalisé à l’initiative de l’employeur, au terme de chaque mandat.
Cet entretien ne bénéficie toutefois qu’aux seuls représentants du personnel titulaires et aux titulaires d’un mandat syndical qui disposent «d’heures de délégation sur l’année représentant au moins 30% de la durée du travail fixée dans son contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement».
Cet entretien est réalisé lors de l’entretien professionnel. Son objet est de recenser les compétences acquises par le salarié au cours de son mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise. A défaut de disposition plus contraignante, il s’agit d’une simple obligation d’évoquer les possibilités de valorisation et non d’une obligation de valoriser l’expérience acquise.
Soulignons à cet égard qu’une «liste de compétences correspondant à l’exercice d’un mandat de représentant du personnel ou d’un mandat syndical» doit en principe être établie par le ministère du travail permettant l’obtention de certifications officiellement reconnues.
Cet entretien doit être différencié des entretiens annuels d’évaluation qui, au contraire, ne doivent en aucun cas faire référence à l’exercice des mandats, une telle mention pouvant constituer, selon la Cour de cassation, un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination.
S’agissant d’un entretien obligatoire, il est bien entendu vivement conseillé de formaliser la tenue de cet entretien au travers d’un compte rendu écrit, que l’employeur conserve et dont il remet une copie à l’intéressé.
Garantie d’évolution de la rémunération
En vigueur depuis le 19 août 2015, l’article 6 de la loi Rebsamen crée un dispositif garantissant à certains élus du personnel et titulaires d’un mandat syndical une progression minimum de leur rémunération.
Sont concernés certains représentants du personnel et représentants syndicaux limitativement désignés «lorsque le nombre d’heures de délégation dont ils disposent sur l’année dépasse 30% de la durée du travail fixée dans leur contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement».
Pour apprécier la limite de 30%, il semble que seuls doivent être pris en compte les crédits d’heures de délégation, légaux ou conventionnels, à l’exception des temps passés en réunion ou en déplacement. Un doute subsiste en revanche concernant les heures de délégation à prendre en compte. La question se pose en effet de savoir s’il s’agit du nombre théorique d’heures de délégation auquel ouvre droit le ou les mandats exercés par le salarié ou du nombre d’heures dont le salarié a effectivement bénéficié compte tenu notamment des éventuels dépassements liés à des circonstances exceptionnelles ou à la mutualisation des heures de délégation dont il a pu, le cas échéant, bénéficier. Si la lettre du texte permet sans doute de soutenir une interprétation stricte, la prudence et le pragmatisme commandent plutôt une interprétation plus extensive tenant compte des dépassements exceptionnels.
En termes de montant, la garantie d’évolution de rémunération est définie par référence aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l’ancienneté est comparable, sur l’ensemble de la durée de leur mandat. A défaut de tels salariés, la garantie est calculée par rapport aux augmentations générales et la moyenne des augmentations individuelles perçues dans l’entreprise dans son ensemble.
Précisons que cette garantie trouve à s’appliquer lorsqu’aucun accord collectif de branche ou d’entreprise ne prévoit de garanties au moins aussi favorables, ce qui suppose de pouvoir évaluer si le dispositif conventionnel existant dans l’entreprise ou le groupe, revêt un caractère plus ou moins favorable.
Les éléments de rémunération à prendre en compte sont ceux visés à l’article L. 3221-3 du Code du travail. Au salaire de base, s’ajoutent donc en principe tous les autres avantages et accessoires dont bénéficie le salarié en raison de son emploi.
Si les rémunérations variables dépendant de la réalisation d’objectifs ne sont pas a priori exclues du mécanisme de cette garantie, il nous semble toutefois que les évolutions qui dépendent uniquement de la variation du niveau d’atteinte des objectifs ne devraient pas être prises en compte, dès lors et sous réserve que les représentants concernés aient pu bénéficier d’une rémunération variable selon des modalités adaptées tenant compte de leur mandat, comme l’impose la jurisprudence (Cass. soc. 6 juillet 2010, n°09-41354).
On peut également penser qu’à l’instar des précisions apportées par l’Administration s’agissant du mécanisme de rattrapage salarial à l’issue du congé de maternité ou d’adoption, doivent être exclues de la base de calcul les augmentations liées à une promotion entraînant un changement de catégorie, les primes liées à une sujétion particulière qui ne concerne pas la personne salariée (salissures, travail de nuit, du dimanche, etc.) ainsi que les primes exceptionnelles liées à la personne du salarié (mariage, ancienneté, médaille du travail, etc.).
S’agissant du panel de comparaison, la situation du représentant du personnel concerné doit être comparée à celle des salariés de la même catégorie, c’est-à-dire, si l’on se réfère aux précisions apportées par l’Administration dans le cadre du dispositif de rattrapage salarial à l’issue du congé de maternité ou d’adoption, relevant du même coefficient dans la classification applicable à l’entreprise pour le même type d’emploi (en ce sens, Circ. min. 19 avril 2007, Fiche 3). La loi Rebsamen limite toutefois le panel de comparaison aux seuls salariés disposant d’une ancienneté comparable. A défaut d’autre précision et en pratique, il est possible de retenir les salariés entrés dans l’entreprise la même année, ainsi que ceux entrés l’année précédente et l’année suivante, par référence aux pratiques ayant cours en matière de contentieux en discrimination syndicale.
S’agissant enfin du moment auquel cette garantie doit s’appliquer, il résulte du texte que l’évolution des rémunérations s’apprécie «sur l’ensemble de la durée du mandat». Sauf usage ou accord plus favorable, il n’y a donc pas d’obligation de faire évoluer la rémunération des représentants du personnel en cours de mandat, même s’il peut être opportun en pratique, d’opérer chaque année la vérification de l’évolution de la rémunération des représentants du personnel par rapport à celle des salariés placés dans une situation comparable.
Il est à noter que le non-respect de ces dispositions –dont il est précisé qu’elles sont d’ordre public– donne lieu, à minima, à dommages et intérêts (art. L. 2141-8 du Code du travail) sans préjudice, le cas échéant, d’éventuelles poursuites sur le terrain de la discrimination syndicale.
Auteurs
Raphaël Bordier, avocat associé, département droit social.
Loïc Fehr, avocat, département droit social
Les nouvelles mesures de valorisation des carrières et des rémunérations des représentants du personnel – Article paru dans Les Echos Business le 17 février 2016
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