Droits de successions 2015 : les décisions marquantes
Le début de la nouvelle année sonne l’heure des bilans. Nous vous proposons une revue rapide des principales décisions de jurisprudence, prises de position de la doctrine administrative ou encore textes réglementaires qui sont intervenus en 2015 en matière de droits de succession.
Les distributions de réserves sont perçues par l’usufruitier au titre d’un quasi-usufruit et la dette de restitution est déductible de sa succession (Cour de cassation, Chambre commerciale, 27 mai 2015, n°14-16.246 P B+R+I)
Par une décision du 27 mai 2015, la Cour de cassation a répondu à une question jusqu’alors non tranchée : en cas de démembrement des titres d’une société, à qui reviennent les distributions de réserves, l’usufruitier ou le nu-propriétaire ? La Cour juge que les réserves, même distribuées, restent la propriété du nu-propriétaire mais qu’elles doivent être versées à l’usufruitier au titre d’un quasi-usufruit, à charge pour lui (et plus particulièrement pour ses héritiers) de rendre au nu-propriétaire, à la fin de l’usufruit, une somme équivalente à ce qu’il a reçu. La Cour réserve le cas de la conclusion d’une convention contraire.
Cette première réponse permet à la Cour de cassation de juger que la dette de l’usufruitier envers le nu-propriétaire consécutive à la distribution de réserves est née d’un quasi-usufruit d’origine légale et non conventionnelle. Cette distinction est importante car les dettes qu’un défunt a envers ses héritiers sont en principe exclues du passif successoral déductible à deux exceptions près : les dettes trouvant leur origine dans la loi (comme celle qui nous occupe) et celles qui sont d’origine contractuelle mais à des conditions très rigoureuses (nécessité d’un acte authentique ou d’un acte sous-seing privé ayant date certaine, preuve de la sincérité de la dette ou de son existence). Le recours à un acte authentique ou à un acte sous-seing privé enregistré auprès de l’administration fiscale reste néanmoins selon nous conseillé, même dans cette hypothèse d’une distribution de réserves, car la convention permettra de définir les droits et les obligations des parties ainsi que les éléments de calcul de la dette de restitution.
La déclaration de succession scelle l’accord des parties sur l’évaluation d’une créance entre époux (Cour de cassation, première chambre civile, 4 mars 2015, PB)
La déclaration de succession n’a pas qu’une portée fiscale, comme l’illustre l’affaire objet de l’arrêt du 4 mars 2015. Au cas particulier, un époux marié sous le régime de la séparation de biens participe au financement de la construction d’une maison située sur un terrain appartenant à son conjoint. L’époux décède en laissant pour lui succéder son conjoint et trois enfants d’une première union. Dans la déclaration de succession, les parties s’accordent pour évaluer la dette du conjoint survivant au titre du financement de la construction selon une méthode d’évaluation conventionnelle dérogatoire de la méthode légale. Puis, au moment du partage, le conjoint survivant refuse de reprendre la même méthode d’évaluation. Cependant, pour la Cour de cassation, le conjoint ne pouvait plus revenir sur l’accord des parties déterminant les modalités d’évaluation de la créance entre époux.
Cet arrêt met en exergue les incidences au plan civil de choix opérés dans une déclaration de succession. Comme elle doit être déposée dans les six mois du décès, les héritiers peuvent être tentés d’accepter des compromis qu’ils pensent limités à la sphère fiscale. Or la déclaration de succession fait figure de «préliquidation civile». Les conseils des parties doivent donc attirer leur attention sur le fait que les choix retenus dans la déclaration de succession risquent de leur être opposés au moment du partage.
L’administration fiscale peut réintégrer la totalité du solde d’un compte joint dans la succession de l’époux l’ayant alimenté exclusivement (Cour de cassation, chambre commerciale, 17 mars 2015, n°14-10.526)
Les faits de l’espèce étaient assez «classiques». Un époux décède en laissant son conjoint et son fils. Parmi les actifs successoraux figurait un compte joint des époux qui est déclaré uniquement pour moitié. L’administration fiscale considère que l’intégralité du compte joint devait être déclarée. La Cour de cassation lui donne raison au motif que la Cour d’Appel a souverainement apprécié que l’époux avait alimenté seul le compte joint.
Cet arrêt est l’occasion de rappeler que si l’article 753 du Code général des impôts permet de présumer que les comptes joints des époux sont détenus à parts égales, la présomption légale est une présomption simple : l’administration peut rapporter la preuve contraire, notamment dans le cas caricatural où l’époux décédé était le seul à percevoir des revenus. A noter cependant que pour éviter la réintégration de l’intégralité du compte, il pourra être soutenu dans certaines circonstances, et en particulier lorsque le compte joint était l’unique compte bancaire des époux, que le versement de l’époux titulaire des revenus relevait de la contribution aux charges du mariage (en ce sens : CA RIOM 22 septembre 1994 Juris-Data n°045176). De même, nous considérons que la réintégration n’aura pas à intervenir si le versement sur le compte constitue une donation dite « rémunératoire » qui a pour contrepartie les sacrifices du conjoint survivant en faveur du foyer (contra : Cass. com. 19 janvier 2010 n°09-12.140).
La notion de domicile dans le régime d’exonération de droits de succession entre frères et sœurs est une notion de fait (Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, première chambre, section A, 23 juin 2015 JurisData n°2015-022878)
Suite au décès de sa sœur, un contribuable revendique le régime d’exonération de droits de succession prévu à l’article 796-0 ter du Code général des impôts. Ce régime est notamment soumis à une condition de domiciliation de l’héritier avec le défunt pendant les cinq années ayant précédé le décès. En l’occurrence, le contribuable vivait avec sa sœur à Marseille. L’administration fiscale tente de remettre en cause l’exonération en soutenant que le contribuable était domicilié à Toulon puis à Bandol. Elle s’appuie sur les déclarations d’impôt sur le revenu de ce dernier et le paiement à Bandol de la taxe d’habitation comportant un abattement pour résidence principale. La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence valide la domiciliation à Marseille et par suite l’exonération de droits de succession, à partir des éléments de fait concordants et précis établis par l’héritier qui montraient qu’il vivait sur place avec sœur. Ce dernier s’est notamment appuyé sur neuf attestations de voisins très proches et un certificat d’inscription sur les listes électorales de Marseille accompagné de la preuve de votes effectifs.
La Cour d’Appel rappelle ainsi que la notion de domicile de l’article 796-0 ter du Code général des impôts est une notion de fait. Les déclarations fiscales du contribuable et les avis de taxe d’habitation ne sont que des indices de la domiciliation qui peuvent être combattus par des éléments de preuve contraires. Cela étant, pour limiter le risque de contentieux, les contribuables devraient indiquer dans leurs déclarations fiscales leur domicile de fait.
Une appréciation stricte de la notion de neveu-nièce pour l’application de l’abattement de 7.967 € (art. 790 V CGI)
La réponse ministérielle LE DEAUT du 30 juin 2015 (JOAN p.5033) précise que l’abattement de 7.967 euros pour les donations et successions au profit des neveux/nièces, applicable depuis 2011, ne joue qu’en faveur des seuls enfants des frères et sÅ“urs du donateur ou du défunt. Il ne profite pas aux neveux et nièces «par alliance» c’est à -dire aux enfants des frères et sÅ“urs du conjoint du donateur ou du défunt. Il n’est pas non plus «réversible» et ne joue donc pas en cas de transmission par le neveu/nièce au profit de son oncle/tante.
Des précisions favorables sur les régimes de crédit de paiement différé ou de paiement fractionné par le décret du 27 novembre 2015
Ces deux régimes de crédit sont réservés au paiement des droits de succession. Le paiement différé s’applique, principalement, lorsque les enfants héritiers reçoivent des biens en nue-propriété sous l’usufruit du conjoint survivant (les droits de succession étant différés jusqu’au décès de l’usufruitier ou jusqu’à la cession des biens démembrés) et le paiement fractionné, lorsque la succession comporte des biens non liquides.
Profondément modifiés en 2014 avec notamment, la réduction de sa durée pour le crédit fractionné et la modification des modalités de calcul du taux de l’intérêt, ces régimes connaissent en 2015 de nouvelles modifications mais de moindre importance :
- La constitution de garanties autres que les sûretés réelles et les engagements de caution solidaire sont autorisés (CGI, ann. III 400, al.1er ). La liste des garanties n’est plus limitative ce qui devrait ouvrir la possibilité de constituer des garanties de toute nature.
- Le délai dont disposent les redevables pour constituer ces garanties est utilement allongé de trois à quatre mois (CGI, ann. III 400, al.3).
Enfin, concernant cette fois uniquement le régime du paiement fractionné, la liste des biens non liquides susceptibles d’ouvrir le droit à un allongement de la période de fractionnement des droits de succession vise dorénavant les «parts sociales» en remplacement du terme incertain de «parts d’intérêts» (CGI, ann. III 404 A).
Auteurs
Sylvie Lerond, avocat Counsel, Responsable du service Droit du Patrimoine.
Grégory Dumont, avocat en matière de Droit du patrimoine