Protection des bases de données : la délicate preuve d’investissements spécifiques
Le producteur d’une base de données bénéficie d’une protection sui generis lorsqu’il apporte la preuve d’investissements spécifiques. Dans un arrêt du 12 novembre 2015, la Cour de cassation vient rappeler l’importance de ce critère et préciser, en l’absence de reconnaissance d’un droit sui generis sur la base de données, les limites de son utilisation par un tiers.
En l’espèce, la société Pressimmo On Line (Pressimmo), qui édite et exploite le site Internet « Seloger.com », prétendait que la société Yakaz, spécialisée dans le référencement de petites annonces au niveau mondial, procédait à l’extraction, sans son autorisation, de la totalité de sa base de données d’annonces immobilières pour alimenter sa propre base.
Elle a alors assigné la société Yakaz en réparation de l’atteinte portée à ses droits de producteur de la base de données et en concurrence déloyale.
La demande en réparation de l’atteinte portée aux droits de producteur d’une base de données de Pressimmo avait été rejetée par la cour d’appel de Paris, au motif que cette société «se doit de rapporter la preuve d’investissements spécifiques qui ne se confondent pas avec ceux qu’elle consacre à la création des éléments constitutifs de sa base de données et à des opérations de vérification, purement formelle, pendant cette phase de création consistant à les collecter auprès de professionnels et à les diffuser tels que recueillis de ses clients». La Cour de cassation a censuré les juges du fond pour ne pas avoir suffisamment précisé dans leur décision les investissements qui satisfaisaient ou non aux critères précédemment énoncés. Elle souligne encore que «…le bénéfice de la protection sui generis conférée par les articles L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle n’est pas nécessairement subordonnée à la démonstration d’un «apport substantiel» sur les données collectées» et précise qu’il suffit de rapporter la preuve d’investissements substantiels consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base.
L’éditeur du site Internet avait également fondé sa demande sur la concurrence déloyale et les agissements parasitaires du tiers qui réutilisait une partie du contenu de la base de données d’annonces immobilières. Ici, la Cour de cassation approuve les juges d’appel qui avaient jugé que les actes de parasitisme allégués n’étaient pas caractérisés dès lors que le site litigieux ne mentionnant pas les coordonnées du vendeur du bien immobilier ou de son mandataire, l’internaute intéressé était ensuite invité à se diriger vers le site Seloger.com pour obtenir plus d’informations. Ainsi, ces simples opérations d’indexation des données ne pouvaient être qualifiées de parasitaires.
Enfin, à défaut d’obtenir une protection sui generis de sa base de données, la société Pressimmo avait recherché la responsabilité de la société Yakaz sur le fondement de la violation de la charte d’utilisation de son site Internet qui interdisait l’exploitation, à titre gratuit ou onéreux, de toute ou partie des données sans son consentement. La Cour de cassation a censuré la Cour d’appel au motif qu’elle avait rejeté la demande sans avoir recherché si la société Yakaz avait effectivement commis une faute en méconnaissant ladite charte d’utilisation. Pour l’appréciation de ce point, elle renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Paris.
Si cet arrêt rappelle la délicate appréciation de la notion d’investissements «spécifiques» qui conditionne le bénéfice du régime de protection sui generis de l’article L.341-1 du Code de la propriété intellectuelle, elle n’écarte pas, par ailleurs, la possibilité de recourir à d’autres moyens de protection (charte d’utilisation ou conditions générales) pour les bases de données ne pouvant pas bénéficier de la reconnaissance d’un droit sui generis.
Dans une décision rendue le 15 janvier 2015 (CJUE, 15 janvier 2015, C-30/14, Ryanair Ltd / PR Aviation BV), la Cour de justice de l’Union européenne avait ouvert une nouvelle possibilité pour les titulaires de bases de données non protégées d’en interdire l’usage commercial via leurs conditions générales d’utilisation. C’est donc dans le prolongement de cette décision que s’inscrit l’arrêt rendu par la Cour de cassation (Cass. 1re Civ, 12 novembre 2015, n°14-14.501).
Les éditeurs de site Internet mettant à la disposition du public des bases de données devront donc prendre soin de mettre en place une charte d’utilisation ou des conditions générales aptes à prévenir une réutilisation de leur contenu sans leur consentement.
Auteur
Anne-Laure Villedieu, avocat associée en de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.