Déclaration pays par pays : un pas de plus en matière de transparence fiscale
Pour leurs exercices ouverts à compter de 2016, les grands groupes devraient être obligés de souscrire une déclaration annuelle comportant la répartition pays par pays de leurs bénéfices, fournissant certaines données économiques et financières ainsi que des informations sur la localisation et l’activité des entités les constituant. Cette obligation doit être anticipée, tant pour pouvoir y répondre que pour analyser l’image qu’elle donnera du groupe.
Le dispositif à anticiper
L’article 47 ter du Projet de Loi de Finances pour 2016 (« PLF 2016 ») prévoit une déclaration pays par pays (en anglais : country-by-country report ou « CbCR ») qui sera codifiée dans un nouvel article du Code Général des Impôts (l’article 223 quinquies C). Cette déclaration comporterait « la répartition pays par pays des bénéfices du groupe et des agrégats économiques, comptables et fiscaux, ainsi que des informations sur la localisation et l’activité des entités le constituant » ; son contenu précis devrait être fixé par un décret à paraître.
Cette déclaration résultant des travaux mené par l’OCDE dans le cadre de son projet BEPS1, il peut être anticipé que les groupes devront indiquer, chaque année et pour chacune des juridictions fiscales où ils exercent des activités, le montant de leur chiffre d’affaires, leur bénéfice avant impôts, les impôts sur les bénéfices qu’ils ont acquittés et ceux qui sont dus. Ils devraient également y indiquer leur nombre total d’employés, leur capital social, leurs bénéfices non distribués et leurs actifs corporels dans chaque juridiction fiscale. Ils devraient enfin identifier dans cette déclaration chacune des entités du groupe qui exerce des activités dans une juridiction fiscale donnée et, pour chacune d’elles, indiquer la nature de ces activités.
Il n’est pas exclu que la déclaration pays par pays mentionnée ci-dessus, conçue pour être remise exclusivement à l’administration fiscale, coexiste avec une obligation de publication au public de données relatives aux données du groupe. Cette déclaration au public a en effet été adoptée par l’Assemblée nationale suite au dépôt d’amendements parlementaires et figure à ce jour à l’article 35 undecies du projet de loi de finances rectificative pour 2015. On peut à cet égard regretter, non seulement le principe d’une telle mesure, qui va bien au-delà de ce que recommande l’OCDE, que l’apparent défaut de coordination avec la mesure votée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016. En témoigne le fait que les entreprises visées ainsi que les seuils d’assujettissement et la nature des informations sont très différentes dans les deux textes, sans que cela semble avoir fait l’objet d’une concertation entre leurs auteurs.
S’agissant de l’entrée en vigueur de l’obligation de reporting par pays à l’administration fiscale, qui seule fait l’objet des développements qui suivent, ainsi de la détermination des entreprises qui y seraient soumises, le projet de texte reprend d’ores et déjà certaines recommandations de l’OCDE.
Cette déclaration, qui devrait s’appliquer aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016, devrait être transmise sous format dématérialisé dans les 12 mois suivants la clôture de l’exercice. Dès lors, les premières déclarations devraient être produites pour le 31 décembre 2017.
Sur les entreprises soumises à cette nouvelle obligation déclarative :
- Il s’agirait en principe des personnes morales établies en France (i) établissant des comptes consolidés, (ii) détenant ou contrôlant, directement ou indirectement, une ou plusieurs entités juridiques établies hors de France ou y disposant de succursales et (iii) réalisant un chiffre d’affaires annuel, hors taxes, consolidé supérieur ou égal à 750 millions d’euros. Les entreprises remplissant ces conditions ne doivent en outre pas être détenues par une ou plusieurs entités juridiques situées en France et tenues au dépôt de cette déclaration, ou établies hors de France et tenues au dépôt d’une déclaration similaire en application d’une réglementation étrangère.
- Par exception, serait soumise à cette obligation, une personne morale établie en France détenue ou contrôlée, directement ou indirectement, par une personne morale établie dans un Etat ou territoire étranger non « transparent » et qui serait tenue au dépôt de la déclaration si elle était établie en France : (i) si elle a été désignée par le groupe à cette fin et en a informé l’administration fiscale ou (ii) si elle ne peut démontrer qu’une autre entité du groupe, située en France ou dans un pays ou territoire étranger « transparent », a été désignée à cette fin. Un Etat ou territoire étranger « transparent » au sens de cette obligation est un Etat ou territoire qui a adopté une réglementation rendant obligatoire la souscription d’une déclaration pays par pays, qui a conclu avec la France un accord permettant d’échanger de façon automatique les déclarations pays par pays et qui respecte les obligations résultant de cet accord. Le projet de texte précise que la liste des Etats ou territoires étrangers « transparents » serait fixée par un arrêté.
En d’autres termes, et conformément aux recommandations de l’OCDE, la loi instituerait le mécanisme suivant :
- La déclaration doit en principe être déposée par la société mère ultime du groupe multinational auprès de son administration de résidence, qui devra elle-même échanger l’information sur une base automatique avec les administrations des juridictions dans lesquelles le groupe opère.
- Lorsque la juridiction dans laquelle est établie la société mère ultime du groupe multinational ne fournit pas les informations aux motifs (i) qu’elle n’exige pas des sociétés mères ultimes de groupes d’entreprises multinationales le dépôt de la déclaration pays par pays, (ii) qu’elle n’est pas convenue d’un accord pour l’échange des déclarations pays par pays ou (iii) que l’absence d’échange effectif de l’information avec une juridiction a été établie, alors qu’elle était convenue de le faire, un mécanisme secondaire est mis en œuvre. En France, ce mécanisme serait ainsi le suivant : une société française serait soumise à l’obligation de déposer la déclaration (i) si elle a été désignée par le groupe à cette fin et en a informé l’administration fiscale ou (ii) si elle ne peut démontrer qu’une autre entité du groupe, située en France ou dans un pays ou territoire étranger « transparent », a été désignée à cette fin.
Dans la mesure où la France devrait figurer parmi les premiers pays à adopter la déclaration pays par pays, il sera particulièrement important pour les sociétés françaises membres d’un groupe multinational de vérifier si l’obligation de dépôt repose sur elles ou si, dans la chaine de détention, l’obligation repose sur une autre entité. A cet égard, il faut espérer que la liste des Etats ou territoires étrangers « transparents » sera dévoilée rapidement (on peut en particulier se demander si les conventions fiscales actuelles seront suffisantes pour considérer qu’un autre Etat est « transparent » ou si de nouveaux accords devront être signés entre les Etats). Dans le cas contraire, et dans un premier temps, toutes les sociétés françaises appartenant à des groupes dépassant le seuil de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel consolidé pourraient en pratique être amenées à déposer des déclarations pays par pays.
Le défaut de production dans le délai prescrit de la déclaration peut en effet avoir des conséquences significatives : le PLF 2016 prévoit une amende « qui ne peut excéder 100 000 € » (futur article 1729 F du Code Général des Impôts). Cependant, on notera que le projet de loi fixe un plafond sans préciser les critères permettant de fixer le montant de la pénalité.
Le texte est encore en cours d’examen et il conviendra d’attendre sa version définitive (ainsi que le décret et l’arrêté qu’il prévoit) pour en mesurer toute la portée. Son adoption fait cependant peu de doutes.
Des impacts potentiels significatifs pour les entreprises françaises
Dans la mesure où la déclaration pays par pays est applicable pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016, les entreprises françaises doivent se préparer dès à présent.
D’un point de vue purement pratique, il est nécessaire, d’une part, de déterminer si l’entité française sera en charge de déposer la déclaration pays par pays et, d’autre part, de mettre en œuvre les outils de reporting permettant de recueillir les informations nécessaires auprès de chaque entité du groupe.
Il sera aussi nécessaire de déterminer quelles données comptables doivent être utilisées. Le projet de loi est à cet égard muet. Les recommandations de l’OCDE laissent le choix au contribuable d’utiliser des données consolidées, sociales ou analytiques. Le choix, qui doit en principe être respecté d’une année sur l’autre et pour l’ensemble du groupe, n’est pas neutre tant en ce qui concerne la collecte des données au sein du groupe que de la cohérence des informations déclarées.
Les sociétés doivent également se préparer afin d’identifier les potentielles conséquences de la déclaration pays par pays. En effet, celle-ci devrait permettre à l’administration fiscale française d’avoir accès à des informations qu’il lui était précédemment difficile d’obtenir. La mise en place de la déclaration pays par pays pourrait modifier les opérations de contrôle fiscal, que ce soit dans le cadre de leur programmation ou de leur déroulement. Il est ainsi probable que l’administration fiscale française utilise à terme les déclarations pays par pays des groupes multinationaux afin d’identifier les sociétés françaises appartenant à des groupes qui ont des dispositifs de prix de transfert qui méritent un examen approfondi. Cette sélection pourrait se faire par exemple si une société française appartient à un groupe qui dispose d’entités qui réalisent des bénéfices importants taxés faiblement alors que leur substance économique apparaît limitée. Même si cela est déconseillé par les travaux de l’OCDE, l’administration pourrait aussi tenter de définir ou conforter des rectifications à partir de la déclaration pays par pays en utilisant une formule de répartition globale des bénéfices.
L’adoption de la déclaration pays par pays s’inscrirait dans la tendance générale d’accroissement de la transparence fiscale demandée aux entreprises membres de groupes internationaux. En France, elle viendrait s’ajouter à la déclaration annuelle de la politique de prix de transfert (qui fait elle-même l’objet de légers ajustements dans le cadre du PLF 2016) et, lors des contrôles fiscaux, à la documentation des prix de transfert et à la présentation des comptes consolidés et de la comptabilité analytique. Dans un contexte européen, à compter du 1er janvier 2017, la prochaine étape devrait être l’échange automatique entre les Etats des rescrits fiscaux et des accords préalables en matière de prix de transfert.
Note
1Les pays de l’OCDE et du G20 ont adopté en 2013 un plan d’action en 15 points visant à mieux faire coïncider le lieu d’imposition des bénéfices des groupes multinationaux avec le lieu d’exercice de leurs activités économiques (projet BEPS : Base Erosion and Profit Shifting). Les recommandations finales du projet BEPS ont été approuvées par les ministres des finances du G20 le 8 octobre 2015.
Auteurs
Xavier Daluzeau, avocat associé, spécialisé en fiscalité internationale
Antoine Faure, avocat en fiscalité internationale