Quelle fiscalité s’applique(ra) à l’économie du partage ?
L’économie collaborative constitue déjà un phénomène économique majeur qui, grâce à Internet, se développe très rapidement. Avec l’augmentation des transactions, les gains pour les entreprises et leurs « adhérents » se multiplient. Fiscaliser ces activités est donc devenu un enjeu de taille pour l’Etat.
Dans ce contexte, la Commission des finances du Sénat recommande la création d’un système fiscal spécifique à l’économie numérique du partage. Son rapport, publié le 17 septembre 2015, s’intitule « L’économie collaborative : propositions pour une fiscalité simple, juste et efficace ».
En quoi consiste l’économie du partage ?
Des particuliers participent à l’économie du partage lorsque, à travers une plateforme de mise en relation en ligne, ils offrent ou s’échangent des biens (voiture, logement, matériel, etc.) et des services (covoiturage, bricolage, babysitting, cours de langues, etc.) moyennant rétribution.
Selon son business model, la société à l’initiative de ce service peut ponctionner un pourcentage des transactions ou faire payer à ses adhérents un droit d’entrée sur la plateforme.
Dans la presse, le succès croissant d’Airbnb, Leboncoin, Blablacar, Drivy, Ouicar, Uber, etc. se mesure tant au montant des levées de fonds annoncées qu’aux protestations virulentes des entreprises traditionnelles qui y voient une concurrence déloyale (en particulier les hôteliers et les taxis).
Pourquoi le système fiscal actuel est-il inadapté à cette nouvelle activité ?
Contrairement à ce que pense une majorité de contribuables, les revenus tirés des services collaboratifs ne sont pas exonérés d’impôt, loin s’en faut.
La loi applicable dépend non seulement du montant des transactions réalisées, mais surtout de la nature de l’activité exercée. Quelques exemples :
♦ Lorsqu’un particulier met à disposition son appartement meublé, les revenus qu’il perçoit (après déduction des charges) sont imposables au barème progressif de l’impôt sur le revenu au titre de bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et aux prélèvements sociaux (au taux de 15,5%).
Si ses revenus annuels sont inférieurs à 32.900 €, le contribuable se verra appliquer ce régime ou, ce qui peut s’avérer plus favorable, le régime micro BIC : l’assiette taxable est alors réduite d’un abattement forfaitaire pour frais de 50 % avec un minimum de 305 €, au lieu des charges réelles afférentes à la location.
♦ La pratique du covoiturage est exonérée par la loi dans la mesure où les deniers échangés sont analysés comme une participation aux frais de déplacement. En revanche, les recettes issues du transport payant de passagers sont à déclarer en BIC lorsqu’il s’agit d’une activité commerciale. La frontière entre ces deux activités reste toutefois difficile à établir.
♦ Lorsqu’un prêt est consenti via une plateforme de crowdfunding, les intérêts perçus par le prêteur sont à déclarer dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (RCM). Un paiement doit aussi être effectué à la source, consécutivement à l’encaissement des intérêts, au taux de 24 % (il s’agit en principe d’un acompte sur l’impôt sur le revenu qui sera dû, mais la loi ouvre, sous certaines conditions, une option pour que ce prélèvement soit libératoire de l’impôt sur le revenu) auquel s’ajoutent 15,5 % de prélèvements sociaux.
♦ Les ventes d’objets divers d’occasion (meubles, appareils ménagers, voitures) par un particulier ne sont pas imposables, dès lors que celles-ci n’ont pas un caractère régulier, mais la location de ces mêmes objets devrait donner lieu à taxation au titre des BIC. Une imposition s’applique par exception aux plus-values de cession de certains objets précieux.
Bien entendu, l’imposition de ces gains n’est possible que si le contribuable les déclare correctement. Or beaucoup de contribuables n’accomplissent pas leurs obligations déclaratives, probablement plus par méconnaissance que par choix délibéré.
La Commission des finances révèle une autre pratique bien plus contestable : de « faux particuliers » profitent de ces sites de mise en relation pour exercer une activité professionnelle régulière et lucrative, sans pour autant déclarer leurs revenus.
La législation actuelle est donc partiellement inadaptée. D’une part, les profits de l’économie du partage au sens large sont particulièrement difficiles à appréhender par l’Etat, même quand ils sont engrangés via une plateforme en ligne. D’autre part, les contribuables risquent d’être soumis à des contrôles fiscaux ciblés qui, bien que peu fréquents à ce jour, pourraient s’intensifier d’autant que l’Administration dispose de larges pouvoirs pour obtenir des sociétés commerciales intermédiaires tous documents l’aidant à assurer ses contrôles (ce « droit de communication » a d’ailleurs été étendu par la loi de finances rectificative pour 2014).
Quelles propositions pour créer un système d’« impôt collaboratif » ?
Afin d’endiguer une perte de recettes, le Sénat propose deux réformes majeures :
- un système spécifique de recouvrement de l’impôt. Les entreprises du secteur collaboratif seraient mises à contribution pour comptabiliser le montant des gains reçus par les utilisateurs de leur site. Puis, elles transfèreraient ces données à une plateforme tierce chargée d’établir, pour chaque contribuable, un cumul de tous les revenus de l’économie du partage.
Le fisc, informé chaque année, devra alors faire figurer ce gain total sur la déclaration de revenus pré-remplie de chaque contribuable (comme c’est le cas aujourd’hui pour les revenus salariaux transmis par les entreprises via la DADS – déclaration annuelle des données sociales).
Pour engager et tester un tel type de système, et parce que la taxe de séjour était rarement acquittée par ses membres, Airbnb se charge de la collecter et de la reverser pour la ville de Paris depuis le 1er octobre 2015. - un régime d’imposition spécifique à l’économie collaborative Afin d’imposer les contribuables (en particulier ceux qui opèrent comme des professionnels), tout en évitant d’asphyxier une économie d’avenir, une franchise générale de 5.000 € par an pourrait être mise en place.
Sous ce seuil, les revenus ne seraient pas à déclarer et seraient intégralement exonérés. Si le revenu annuel cumulé est supérieur à 5.000 €, l’excédent sera pré-imprimé sur la déclaration d’impôt sur le revenu de chaque contribuable et taxé en conséquence.
Selon le Sénat, cette formule donnerait lieu à « un impôt moins élevé, mais plus sûrement collecté ».
Ces propositions appellent de nombreuses questions d’application pratique, par exemple :
♦ Comment identifier un contribuable via son pseudonyme ?
♦ Comment taxer des flux issus de transactions internationales ?
♦ En cas de manquement à la procédure de collecte des données qui entrainerait le non-paiement de l’impôt, le législateur prévoira-t-il une sanction pour les intermédiaires déclarants en plus du risque pour le particulier de se voir réclamer une imposition sur des revenus qui n’ont pas été pré-remplis sur sa déclaration de revenus ?
Autant de points qui devront être débattus par le législateur.
Auteur
Stéphanie Némarq-Attias, avocat spécialisé en matière d’impôts directs