Titres au porteur ou titres au nominatif : comment choisir ?
Les titres dématérialisés de droit français peuvent revêtir la forme de titres au porteur ou de titres au nominatif, pur ou administré. Ce choix a un impact sur la relation entre l’émetteur et le porteur, si bien que certaines pratiques sont en train d’évoluer, notamment en matière obligataire.
On rappellera que les titres au porteur sont inscrits dans un compte-titres tenu par un intermédiaire alors que les titres au nominatif sont inscrits dans un compte-titres tenu directement par l’émetteur ou une personne agissant pour son compte. La différence entre le nominatif pur et le nominatif administré tient au fait que l’identité du porteur figure dans le compte-titres tenu par l’émetteur dans le premier cas, alors que le porteur charge un intermédiaire de gérer son compte au nominatif ouvert chez l’émetteur dans le second.
Sur le marché obligataire international, la forme au porteur est privilégiée et l’émetteur ne connaît donc pas l’identité des titulaires de ses titres, sauf à lancer une procédure d’identification depuis que cette faculté a été élargie aux obligations par une ordonnance du 31 juillet 2014.
Sur le marché de l’Euro PP, les obligations étaient encore récemment essentiellement au porteur, que l’opération soit cotée ou non (les titres admis aux opérations d’un dépositaire central peuvent revêtir la forme au porteur même s’ils ne sont cotés sur aucun marché). Ce choix tenait plus à la force de l’habitude qu’à des contraintes opérationnelles, particulièrement pour les émissions non cotées qui représentent désormais la majorité des Euro PP. Or l’anonymat n’a pas beaucoup de sens sur le marché de l’Euro PP, puisque l’émetteur connaît généralement les investisseurs « buy and hold » qui ont souscrit ses titres et qu’il a souvent eu plusieurs échanges avec eux lors de la mise en place de l’opération. Les titres au porteur n’engendrent certes pas de coût supplémentaire pour l’émetteur par rapport à des titres au nominatif et offrent aux investisseurs un cadre qu’ils connaissent, mais la forme nominative peut présenter des avantages.
Un émetteur peut souhaiter connaître à tout moment l’identité des porteurs de ses titres obligataires, or la procédure d’identification ne fournit l’identité des porteurs qu’à un instant donné et elle a un coût. Il peut aussi avoir besoin de contacter les obligataires pendant la vie de l’emprunt, pour leur transmettre des informations (états financiers, certificats relatifs au respect des ratios financiers, etc.), voire pour convoquer la masse des obligataires s’il veut proposer une modification des modalités de l’emprunt. Avec des titres au porteur, l’anonymat contraint l’émetteur à effectuer ses notifications par l’intermédiaire d’Euroclear France, qui transmet l’information à l’ensemble des teneurs de comptes, à charge pour ces derniers d’avertir ceux de leurs clients qui détiennent les titres concernés. Cela ne pose pas de difficulté pour des titres cotés, pour lesquels toute information significative susceptible d’affecter le titre doit de toute manière être communiquée à l’ensemble du marché. Cela peut en revanche être un sujet délicat pour certains émetteurs de titres non cotés qui ont besoin de préserver la confidentialité de ces informations, même si les praticiens ont développé des mécanismes permettant de répondre à cette problématique, y compris en présence de titres au porteur. Avec des titres au nominatif, et a fortiori des titres au nominatif pur, l’émetteur peut s’assurer que les informations communiquées aux porteurs ne seront vues que par eux. Le recours à des titres au nominatif doit également être privilégié si une clause d’agrément est prévue.
Du côté des investisseurs, la plupart n’ont pas de difficulté à souscrire à des titres au nominatif, d’autant que ce n’est pas incompatible avec une admission des obligations aux opérations d’Euroclear France si cela est une contrainte : c’est d’ailleurs l’option par défaut retenue dans le modèle de contrat Euro PP au format obligataire issu des travaux du Comité de Place Euro PP et publié en janvier 2015. Les titres au nominatif devraient donc se développer sur le marché de l’Euro PP.
Il faut se réjouir des différentes possibilités offertes par le droit français en matière de forme des titres : elles permettent de répondre de manière satisfaisante aux besoins de l’émetteur et des investisseurs, selon les particularités d’une opération donnée.
Auteur
Marc-Etienne Sébire, avocat associé, responsable marchés de capitaux.